Comment analysez-vous le report de la finalisation du deal entre EDF et General Electric pour le rachat de la partie nucléaire ?
Le problème est simple. Je me mets à la place d’EDF. Il ne peut pas racheter une entreprise qui, demain, pourra être sous sanctions américaines, car la majorité du carnet de commandes de Geast (l’entité nucléaire de General Electric, issue de la vente d’Alstom en 2015 et qui s’appellera dorénavant Arabelle Solutions, NDLR) est avec le Russe Rosatom (premier opérateur mondial du nucléaire, NDLR).
Pouvez-vous expliquer ce volet sanctions que vous évoquez dans votre article publié dans Marianne ?
Les Américains ont commencé à sanctionner certaines filiales de Rosatom, qui n’étaient pas liées au nucléaire, dans le cadre des mesures contre la Russie pour son invasion de l’Ukraine. Mais là, ce sera le cas. La décision sera annoncée prochainement. Ça s’accélère. Huit turbines ont été commandées par Rosatom à Geast (pour des projets en Égypte, Turquie et en Hongrie, NDLR). Et si on ne peut pas les exporter, le carnet de commandes repose seulement sur le projet d’Hinkley Point (Angleterre) et Flamanville (Manche). Je pense qu’EDF demande de renégocier le prix et négocie qu’il soit exclu du paquet de sanctions [ces exportations de turbines] car les commandes ont été passées avant la guerre en Ukraine et qu’il a des obligations de livraison. Il faut donc obtenir un engagement ferme des Américains qu’ils ne poursuivront pas Arabelle solutions si elle livre les turbines.
Cela peut-il faire capoter le deal, selon vous ?
La valeur (1,2 milliard annoncé en février 2022, NDLR) a baissé. Mais GE veut-il baisser le prix ? Par ailleurs, les Américains ont de nouvelles ambitions dans le nucléaire. La Pologne a choisi l’Américain Westinghouse pour son programme nucléaire. Les États-Unis veulent se positionner en Europe de l’Est (Estonie, Bulgarie). Ils veulent aussi attraper le marché des SMR (small modular reactor, de petits réacteurs nucléaires modulaires, NDLR). Il y a un enjeu industriel. Ils veulent isoler Rosatom et nous emmerder. Je pense que c’est cette situation qui a entrainé ce report. Je me mets à la place des négociateurs, ils ne prennent pas de risque. Ils essaient d’obtenir des garanties. Tout se passe aux États-Unis. C’est un problème politique. On ne peut pas se permettre de plier Arabelle, car on en a besoin, au moins pour le futur en France.
Pourquoi les Américains accélèrent-ils maintenant ?
Les Américains continuaient de faire retraiter une partie de leur uranium par Rosatom. Dès 2025, sur une décision de Joe Biden, il ne doit plus y avoir un gramme d’uranium enrichi par Rosatom. Nous avions réussi à ce que le nucléaire civil ne soit pas dans les sanctions européennes. Et ce sont les Américains qui vont le mettre.
A-t-on les moyens d’agir ?
C’est compliqué. Plus les négociateurs ont avancé, plus ils se sont aperçus que des éléments du control command [des turbines] s’étaient américanisés. Il faudra les « refranciser » pour les exporter, sinon, avec des composants américains sur Arabelle, il faudrait l’autorisation américaine. Et la seule capacité d’exportation que nous avions, c’était Rosatom. L’erreur colossale qui a été faite est d’avoir refourgué la partie nucléaire et la partie hydro-électrique à General Electric en 2015.