En marge de la manifestation de soutien des salariés de General Electric, particulièrement ceux de l’entité Hydro, les représentants du personnel de General Electric évoquent de nouveau le front juridique. Leur recours contre l’État est de nouveau agité si la pression n’est pas mis sur le géant américain. Mais un nouveau front est visé : celui de l’évasion fiscale.
En marge de la manifestation de soutien des salariés de General Electric, particulièrement ceux de l’entité Hydro, les représentants du personnel de General Electric évoquent de nouveau le front juridique. Leur recours contre l’État est de nouveau agité si la pression n’est pas mise sur le géant américain. Mais un nouveau front est visé : celui de l’évasion fiscale.
« Plus on produit, plus on est en déficit. » Philippe Petitcolin, délégué syndical CFE-CGC, résume simplement les choses. L’organisation financière du groupe industriel américain fragilise les unités françaises. Les bénéfices sont dirigés vers la Suisse. Les coûts vers les autres entités. Mais au-delà de ces pratiques nommées parfois “optimisation”, Philippe Petitcolin n’hésite pas à dénoncer une pratique « illégale ». La première d’entre elles concerne le paiement des droits à la technologie. Des droits payés pour fabriquer les turbines à gaz, comme la 9HA, la plus grande et plus puissante du monde, fleuron technologique belfortain. Rappelant, au passage, que dès le rachat de la branche énergie d’Alstom en 2014, les bénéfices et les brevets liés à Alstom ont été transférés en Suisse.
Ces droits à la technologie sont reversés pour financer la recherche et le développement. Ce qui semble logique. Mais un coefficient est appliqué à ce prix en fonction de la taille de la turbine. Plus elle est grosse, plus vous payez. « Nous finançons [donc] beaucoup plus que la R&D, déplore Philippe Petitcolin. C’est la formule qui nous grille. » L’unité belfortaine supporte donc un surcoût dans la conception. Et cet argent reste quand même dans le giron de General Electric ; elle est transférée à une autre entité.
Autre sujet: celui de la répartition des marges entre les différentes entités de General Electric intervenues dans la réalisation d’un produit. « On peut avoir des profits en Suisse [dans les entités GE localisées en Suisse, NDLR] qui sont 300 à 400 % supérieurs à nous, alors que rien n’est produit en Suisse », dénonce-t-il. « Cette répartition de la marge devrait être faite par rapport à la valeur ajoutée », tance Philippe Petitcolin. Mais il estime que la France peut agir, depuis qu’elle a ratifié des principes de l’organisation de coopération et de développement économique (OCDE). « Il faut activer les leviers », insiste-t-il. « Nous ouvrons donc un nouveau champ d’actions juridiques », révèle-t-il en amont de la manifestation qui a rassemblé un millier de personnes, ce samedi 24 octobre.
La loi Pacte
Philippe Petitcolin rappelle, une nouvelle fois, que General Electric n’a pas respecté les accords de 2014, signés au moment du rachat de la branche énergie d’Alstom. Et la réorganisation de l’organigramme intervenue au cœur de l’été ne plaide pas en faveur du renforcement des centres de décision en France. « Nous allons agir avec l’État, mais s’il ne fait rien, nous allons agir », poursuit-il.
Il est prêt à déposer de nouveau le recours contre l’État, qui n’a pas fait respecter ces accords. Une pression qui a permis, il y a un an, de construire le rapport de force permettant de réduire l’ampleur du plan social. « Nous n’avons aucun moyen de pression contre General Electric, c’est l’État qui en a », insiste Philippe Petitcolin. Et de rappeler que le recours n’a été retiré que s’il y a un projet industriel en face. Le 13 novembre, une nouvelle réunion paritaire est programmée au ministère de l’Économie, rassemblant l’État, les représentants des salariés et General Electric. C’est le comité de suivi du plan signé en octobre 2019. S’il n’y a pas de budget face aux 8 axes de développement industriel identifiés et validés au début de l’été, les représentants du personnel agiteront de nouveau la pression du recours juridique.
Dans ce cadre, le leader syndical rappelle à l’État ses moyens d’actions, inscrits dans la loi Pacte, adoptée par les parlementaires au printemps 2019. Il se réfère à l’article 152 : « En cas de réalisation d’un investissement sans autorisation préalable, d’obtention par fraude d’une autorisation préalable, de méconnaissance des prescriptions du II de l’article L. 151-3, d’inexécution totale ou partielle des décisions ou injonctions prises sur le fondement de l’article L. 151-3-1, Le ministre chargé de l’économie peut (…) lui infliger une sanction pécuniaire dont le montant s’élève au maximum à la plus élevée des sommes suivantes : le double du montant de l’investissement irrégulier, 10 % du chiffre d’affaires annuel hors taxes de l’entreprise qui exerce les activités définies au I de l’article L. 151-3, cinq millions d’euros pour les personnes morales et un million d’euros pour les personnes physiques. » Des doutes existaient quant à la pertinence d’utiliser cette loi vis-à-vis du plan social dans l’entité turbines à gaz, car elle ne faisait pas partie, en 2014, du périmètre d’Alstom racheté par General Electric. Ce n’est plus le cas aujourd’hui. L’entité Hydro, ciblée actuellement par un plan de suppression de postes, dont 89 à Belfort, faisait partie d’Alstom avant 2014. La loi Pacte doit pouvoir s’appliquer. On est loin des 1000 emplois créés et de l’installation de centres mondiaux de décision, inscrit dans cet accord.
L'évasion fiscale au détriment des collectivités locales
« General Electric a menti à tout le monde, poursuit Philippe Petitcolin. Il a triché. » Comme le rappelait Libération le 18 septembre, General Electric a perçu plus de 200 millions d’euros d’aides emploi et recherche depuis 2015 (25 millions d’euros de CIR et 5 millions d’euros de CICE par an). Le tout, « pour délocaliser », dénonce-t-il.
Le délégué syndical interpelle alors les collectivités sur cette évasion fiscale. C’est autant de contribution sur la valeur ajoutée des entreprises (CVAE) en moins pour elle, alors que leurs budgets sont de plus en plus contraints. « Ce sont des zones grises, acquiesce Philippe Petitcolin. Mais si ça passe, [les entreprises] continuent. » Il estime que l’on pourrait reprocher à General Electric « de dégrader artificiellement » ses comptes. Et selon lui, le fait que la France ait ratifié les principes de l’OCDE permet d’agir. Marie-Guite Dufay, présidente de la région Bourgogne-Franche-Comté, dit ne pouvoir être « que d’accord avec le raisonnement contre l’évasion fiscale ».
Quel est le but de cette pression ? L’État peut s’appuyer sur ces problèmes d’évasion fiscale pour négocier avec General Electric la vente d’entités et repenser sa souveraineté industrielle et énergétique. « Avec quel périmètre ? Avec quel projet industriel ? Et avec quels actionnaires ? » résume alors Christian Mougenot, coordinateur métallurgie de la CFDT du Territoire de Belfort. Mais l’idée est de bien sauvegarder les savoir-faire et les compétences de Belfort : « Le seul site au monde qui adresse tous les marchés de l’énergie », rappelle avec fierté Philippe Petitcolin. Nucléaire, gaz, hydroélectrique, éolien… Il faudrait bien éviter que cela ne s’évapore.