La menace est agitée depuis plusieurs mois. Maintenant, c’est la réalité. Des syndicats de l’entité turbines à gaz de General Electric saisissent le tribunal administratif sur le rôle de l’État dans le non-respect des engagements pris en 2014 par l’industriel américain.
La menace est agitée depuis plusieurs mois. Maintenant, c’est la réalité. Des syndicats de l’entité turbines à gaz de General Electric saisissent le tribunal administratif et mettent en cause l’État dans le non-respect des engagements pris en 2014 par l’industriel américain.
« Nous saisissons le tribunal administratif de Paris sur la responsabilité de l’État dans le non-respect de l’accord de 2014 », annonce Philippe Petitcolin, à la sortie d’une nouvelle assemblée générale de l’intersyndicale, réunie ce lundi matin. Après avoir mis en demeure l’État de faire respecter cet accord au début de l’été, les syndicats montent d’un cran. La contre-proposition de la direction de General Electric les a convaincus. « C’est totalement déloyal », dénonce Philippe Petitcolin.
Cet accord a été signé le 4 novembre 2014 entre l’État français et General Electric, à la suite du rachat de la branche énergie d’Alstom par l’industriel américain. Et dans cet accord, que Le Trois avait publié au mois de juin, il est stipulé que « Tout litige découlant de la validité, de l’interprétation et de l’exécution du présent Accord ou y ayant trait sera soumis à la compétence exclusive des tribunaux français ». Les syndicats CFE-CGC et Sud Industrie saisissent donc le tribunal administratif de Paris. La CGT ne s’associe pas à la démarche juridique. Une décision confédérale. L’organisation estime qu’aujourd’hui, c’est le temps de la mobilisation. Quand la décision de justice tombera, il sera trop tard, selon eux. « Notre action en justice est aujourd’hui inévitable pour protéger l’avenir de nos emplois et de notre territoire, écrivent les deux syndicats dans un communiqué de presse annonçant la démarche judiciaire. Néanmoins, l’intersyndicale s’engage à retirer sa saisie si le gouvernement obtenait une modification très significative du plan et conforme à l’accord 2014. » Ce sont eux qui jugeront ou non de la validité de cette modification du plan.
Les collectivités locales s’associent
Cet accord de 2014 prévoit notamment la localisation à Belfort des « quartiers généraux européens actuels de GE pour les activités turbines à gaz de grande taille à usage industriel de 50 Hz ». Les équipes mondiales afférentes à ces activités doivent aussi être localisées en France. Les fonctions suivantes sont concernées : les fonctions corporate de chaque activité ; la stratégie de fabrication ; le marketing et le développement produits ; la supervision des activités commerciales, y compris les offres ; la stratégie en matière de chaîne d’approvisionnement (supply chain) ; ainsi que ; les activités R&D et recherche et développement appliquée spécifique à chaque activité.
Depuis 2015, les représentants du personnel alertent sur le départ des directions mondiales basés à Belfort et « les managers basés à Belfort ont été progressivement rétrogradés dans la hiérarchie », note le communiqué. « De fait, Belfort est passé d’un centre de décision à un centre d’exécution », ajoute-t-il. Le communiqué dénonce la stratégie « purement financière matérialisée par : la fermeture de sites ; la délocalisation d’activités dans les pays dits low cost ; la réduction des budgets R&D, le gel des investissements ». Le communiqué regrette également que cette stratégie ait déstabilisé l’entreprise et dégradé ses performances. « Jusqu’alors très lucrative, la filière accuse un déficit de 500 millions de dollars en 2018, écrivent les deux syndicats. L’activité aurait pourtant été bénéficiaire sans une perte de 1 300 millions de dollars due aux problèmes de qualité, de délais et de performances directement imputables à la totale désorganisation de l’entreprise. » Aujourd’hui, la direction cherche à faire 70 millions d’euros d’économies dans l’entité turbines à gaz.
Vendredi, les collectivités locales (Grand Belfort, conseil départemental et Région) ont annoncé qu’elles « s’associaient » à cette démarche juridique.
Une nouvelle proposition et une action qui se prépare
Ce lundi matin, selon les syndicats, près de 800 personnes (1) ont assisté à l’assemblée générale, réunie dans un bâtiment de la rue de la Découverte, à Belfort. « Cela fait trois mois que l’on se bat », a glissé Philippe Petitcolin à l’assemblée. La manifestation a été retransmise en direct sur les réseaux sociaux. « Nous sommes face à des gens irresponsables, prêts à tout détruire », poursuit-il. « Il est hors de question de négocier la misère », a déclaré pour sa part Cyril Caritey (CGT). Ce matin, aucune action forte n’a été décidée. L’intersyndicale doit se déplacer dans les services et les ateliers pour demander aux gens ce qu’ils veulent comme modes d’action. « On veut être vertueux. Il faut sauvegarder l’outil de travail, assure Cyril Caritey. Mais s’il faut créer le rapport de force, on ira. » Certains salariés l’attendent de pied ferme. « La direction se fout de notre gueule », tance un salarié en sortant de l’assemblée générale. La déception se lisait sur plusieurs visages. « Nous en sommes à un tel point, relève Stéphane. Toutes les actions sont bonnes à prendre, mais il faut monter d’un cran. » En attendant, l’intersyndicale va faire une nouvelle contre-proposition à la direction, en partant de leur plan et en faisant des économies également : suppression des voitures de fonction ; suppression des stocks options ; suppression des bonus pour les salaires supérieurs à 100 000 euros (ils sont 80 à Belfort selon Philippe Petitcolin) ; suppression du service d’ordre. L’intersyndicale souhaite aussi revoir l’accord sur les droits à la technologie. « Même avec ce plan, on serait déficitaire », poursuit Philippe Petitcolin. Ce droit est directement proportionnel à la taille de la machine. Plus elle est grosse, plus on paie, mais la recherche & développement n’est pas proportionnelle à la taille de la machine. Lorsque l’on fabrique la 9HA, cela pèse très fortement. Dans les contre-propositions, les syndicalistes demandent aussi une répartition équitable de la marge entre les différentes entités du groupe.
(1) La presse n’a pas été autorisée à entrer dans les bâtiments par la direction. « Il faut vraiment que l’on applique le règlement intérieur », explique un porte-parole de General Electric, évoquant une « tension palpable » au sein de l’entreprise.