Le Trois –

GE : un recours contre l’État et un collectif pour une nouvelle stratégie industrielle

Le flou entoure le projet de délocalisation de
Élément de la turbine à gaz 9HA de General Electric, dans un atelier à Belfort. | ©Le Trois – Thibault Quartier

Les syndicats CFE-CGC et Sud Industrie de l’entité turbines à gaz de General Electric ont déposé ce jeudi 1er juillet un recours contre l’État français au tribunal administratif pour non-respect des accords de 2014, a-t-on appris à l’occasion d’une conférence de presse sur la naissance du collectif Reconstruire, qui milite pour une nouvelle stratégie industrielle française.

Les syndicats CFE-CGC et Sud Industrie de l’entité turbines à gaz de General Electric ont déposé ce jeudi 1er juillet un recours contre l’État français au tribunal administratif pour non-respect des accords de 2014, a-t-on appris à l’occasion d’une conférence de presse sur la naissance du collectif Reconstruire, qui milite pour une nouvelle stratégie industrielle française.

« Devant l’incapacité́ de l’État français à défendre les intérêts des salariés et des sous-traitants de GE à Belfort, la CFE-CGC et SUD n’ont plus d’autres choix que de saisir une nouvelle fois le tribunal administratif [de Paris] jeudi 1er  Juillet 2021 », déclarent les deux syndicats. Ils déposent un recours contre l’État pour ne pas avoir fait respecter les accords de 2014, lors du rachat de la branche énergie d’Alstom par le conglomérat américain General Electric. Selon les syndicats, l’État a une « responsabilité » dans « la mise à mort d’un territoire industriel stratégique ». En 2019, pendant le conflit, ils avaient menacé de déposer ce recours. Après avoir obtenu des garanties, ils avaient abandonné la procédure. Aujourd’hui, ces garanties sont en péril. « La pérennité du site de Belfort est toujours menacée, malgré le rebond du marché », dénonce Philippe Petitcolin, de la CFE-CGC.

Les syndicats pointent du doigt les délocalisation en Suisse (2015) puis à Dubaï (2021) du quartier général mondial des turbines à gaz 50 Hz. Ils dénoncent la délocalisation des équipes mondiales de direction vers la Suisse et les États-Unis. Ils dénoncent aussi la délocalisation « des brevets et des profits dans les paradis fiscaux », ajoute Philippe Petitcolin. Autre remarque, la délocalisation de bureaux d’études en Indes et la délocalisation d’une ligne de production en Hongrie.

Baisse des emplois

Selon le délégué syndical, le nombre de salariés de General Electric est passé de 4 800 à 3 000 à Belfort depuis 2015 et de 20 000 à 11 000 en France. Et Philippe Petitcolin de rappeler le poids de ces restructurations, en citant Jeff Immelt, ancien p-dg de General Electric, qui dit qu’un emploi industriel dans l’énergie implique huit emplois dans la chaine industrielle. « Les conséquences de ce désengagement industriel de GE à Belfort a des conséquences économiques dramatiques pour l’économique locale qui se matérialisent par l’arrêt d’activités économiques indirectes, l’effondrement du marché immobilier et la diminution des moyens financiers des collectivités locales avec l’augmentation des impôts locaux, ce qui appauvrit tout un bassin démographique du Nord Franche-Comté́ », évoquent les deux syndicats. 

« La logique financière », dixit Philippe Petitcolin, de l’industriel américain a eu des conséquences lourdes pour Belfort. Alors que le site avait accumulé 3 milliards de profits et dividendes depuis 1999, la nouvelle organisation en place dès 2016 plonge le site dans une situation financière délicate.

Malgré cette attitude, le géant américain a touché 52 millions d’euros de fonds européens entre 2014 et 2020 selon un rapport du Parlement européen (à lire ici) ; la sénatrice de la gauche républicaine et socialiste (GRS) Marie-Noëlle Lienemann a interpellé le Gouvernement à ce sujet le 24 juin. « Que l’Union européenne finance ses concurrents et les destructeurs de son tissu industriel est inacceptable et suicidaire ! » a-t-elle dénoncé. « Il faut, sans tarder, imposer des critères sociaux, environnementaux et de production au sein de l’Union pour toute aide publique européenne », invite-t-elle.

Souveraineté et dérèglement climatique

En parallèle, les intervenants ont présenté le collectif Reconstruire, façonné autour de syndicalistes de General Electric, Alcatel et Technip. À ces syndicats « qui vivent ces tragédies », note Philippe Petitcolin, sont associés des spécialistes comme Christian Harbulo, directeur de l’école de guerre économique, Maxime Renahy, lanceur d’alerte sur les pratiques d’évasions fiscales, ou Charles Huet, le co-fondateur de la Carte française. Des fiscalistes sont aussi dans la boucle. Ce collectif s’inscrit dans la suite de l’Appel de Belfort (lire la tribune).

« Ce collectif vise à définir une nouvelle stratégie industrielle française », explique Philippe Petitcolin, qui insiste sur le caractère trans-partisan de la démarche. Il regrette un abandon d’une stratégie industrielle depuis les années 1980 par les élites françaises. « Cet évènement n’est pas anodin, insiste Christian Harbulo. Toute la pédagogie du rôle de l’industrie est à faire. »

Le collectif veut reconstruire « une économie souveraine prenant en compte le dérèglement climatique », ajoute-t-il. « Comment recréer de l’activité dans nos territoires », questionne Christian Harbulo, qui glisse « que l’indépendance énergétique est tout aussi importante que la transition énergétique ». « L’enjeu est vital », relève Charles Huet. Il ne faut pas que la volonté de relocalisation et de réindustrialisation, nées de la crise sanitaire, reste « un vœu pieux », formule-t-il. Ce collectif permet de porter un regard plus large sur l’industrie, « afin de bâtir une France forte », autour d’industries de l’énergie, de la santé ou de l’agro-alimentaire. Maxime Renahy n’hésite pas à pointer du doigt la « corruption » ou « l’évasion fiscale » comme des responsables de cette désindustrialisation.

Appauvrissement

Reconstruire invite à s’appuyer sur les salariés, qui peuvent construire une intelligence économique nécessaire à la construction d’une stratégie industrielle. « Toute politique industrielle qui n’intègre pas les salariés est vouées à l’échec », estime Philippe Petitcolin. Selon lui, ce sont aux représentants du personnel de vérifier les engagements des industriels.

« Les territoires français s’appauvrissent à cause de la désindustrialisation », insiste Nicolas Ravailhe consultant sur les questions européennes. Il glisse que le PIB par habitant de toute la France, excepté en Ile-de-France, est inférieur au PIB moyen par habitant européen. Et ça, c’est une nouveauté. « On sait tout mais on ne se bat pas », regrette-t-il. « C’est l’avenir économique de la France qui est en jeu, conclut Philippe Petitcolin. L’État français doit défendre son industrie. » Pour porter leur idée, ils vont informer le grand public, démarcher les partis politiques voire engagé des démarches juridiques.

10 propositions

Le collectif Reconstruire a adressé 10 propositions aux nouveaux exécutifs régionaux pour les aider dans une politique de réindustrialisation, visant à construire « une économie souveraine prenant en compte le dérèglement climatique ».

« 1) Utiliser tous les moyens légaux en vigueur ou déjà existants, fiscaux et juridiques pour combattre les délocalisations sauvages, protéger les fleurons industriels stratégiques, notamment en poursuivant devant les tribunaux les responsables qui sacrifient l’intérêt général au profit d’intérêts particuliers.

2) Promouvoir les acteurs économiques socialement responsables en introduisant des critères environnementaux, sociaux et de gouvernance dans les arbitrages pour les attributions d’aides ou de subventions publiques.

3) Créer un programme décliné régionalement d’intelligence économique intégrant des représentants des salariés des différentes filières, des universitaires, des citoyens motivés ou experts, pour prendre en compte une stratégie industrielle capable de protéger, développer et créer les acteurs industriels en harmonie avec l’histoire et la géographie des territoires.

4) Intégrer des représentants des salariés et d’associations dans la définition des axes stratégiques des aides publiques et des garanties en terme d’investissements et d’emplois, puis dans la phase de contrôle dans les entreprises du respect des engagements contreparties aux aides publiques.

5) Anticiper les évolutions des marchés et des impacts sur l’emploi par filière industrielle, par la construction d’activités de diversifications et par l’adaptation de l’offre de formations en conséquence.

6) Créer un programme de gestion prévisionnelle des emplois et des compétences au niveau des Régions pour identifier les métiers, les compétences en recul, en tension, pour définir une politique de reconversion et de formations continues reconversion et de formations continues adaptées aux bassins d’emplois.

7) Créer des fonds régionaux pour la prise de participation dans le développement et la création de nouveaux acteurs industriels de la transition énergétique pour les énergies décarbonées.

8) Créer un autre fonds alimenté par l’épargne citoyenne et garantie par l’État, dans le but de soutenir et développer l’industrie locale et la libérer ainsi d’une financiarisation dévastatrice pour les territoires.

9) Imposer que les centres de décisions des entreprises soient locaux et lutter contre l’évasion fiscale qui appauvrit les entreprises, les salariés et les ressources des territoires.

10) Promouvoir les carrières et emplois des filières industrielles par notamment l’organisation de visites d’entreprises proches et la création d’une journée de l’industrie au collège et au lycée. »

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