Lundi 24 février, 4 h 30. L’équipe de production de nuit d’Eurocast, à Delle, se met en grève. L’équipe du matin, puis celle d’après-midi prendra le relais dans la foule. C’est une grève « à 100% suivie dans les équipes de production », selon les salariés rencontrés lundi matin. Palettes en train de brûler, ils attendent que Messaoud Drideche, délégué syndical CGT, sorte d’une réunion avec la direction nationale du groupe. La grève vise à obtenir une augmentation générale de 150 euros bruts, alors que les premières propositions, émanent de la troisième réunion tenue dans le cadre des négociations annuelles obligatoires (NAO) vendredi dernier, s’élèvent à 37 euros brut. Ce mardi, à midi, les propositions se sont élevées à 45 euros brut pour le général, mais cela ne convainc personne.
Un piquet de grève a été installé sur la voie publique, à l’entrée de la rue des Parcs, bloquant les camions venant chercher la marchandise de l’usine. Depuis le début du mouvement, une dizaine de poids lourds ont dû rebrousser chemin. « Nous sommes dans une grève illimitée », précise Messaoud Dridreche, par téléphone ce mardi. Au-delà des salaires, tous, dont lui, relatent des inquiétudes, légitimes : la cession imminente du groupe auquel appartient Eurocast, le groupe GMD, acteur majeur de la sous-traitance automobile avec 35 sites dans le monde, dont 15 en France. Il est en proie à des difficultés financières. Le fondateur du groupe, Alain Martineau, a confirmé en janvier que des discussions étaient en cours pour une reprise « industrielle globale et pérenne ».
« On a déjà soutenu l’usine en 2007, en rachetant du foncier pour lui donner de la trésorerie », se souvient Christian Rayot, président de la communauté de communes Sud Territoire. Cette fonderie aluminium a ensuite été rachetée par le groupe GMB, qui a « beaucoup investi » assure l’élu : des outils de production à commande numérique, des outils d’injection de l’aluminium. « Ce sont plusieurs dizaines de millions d’euros », assure-t-il. Il note que le groupe est hyper « endetté », mais ne mesure pas le poids de la crise automobile ou la responsabilité des donneurs d’ordre dans cette situation.
Une cession sous tension
« On ne nous dit rien, on ne sait rien », déplorent les salariés sur le piquet de grève. Ils savent que des propositions ont été faites. Dont une, qui retient plus l’attention : celle de Pierre-Edouard Stérin. Il pourrait reprendre via Montyon Capital, structure soutenue par Otium Capital, le fonds d’investissement du milliardaire.
Exilé fiscal en Belgique selon L’Humanité et connu pour ses engagements politiques conservateurs, catholique traditionaliste, le milliardaire est soupçonné de vouloir réaliser une opération purement financière, au détriment de l’emploi et du maintien des activités en France. Pour le moment, sa fortune est bâtie sur les services et des investissements dans la tech. Il a notamment fait fortune avec ses coffrets Smartbox. « Ce n’est pas un industriel, nous n’avons aucun avenir avec ce personnage clivant. Avec lui, il y aura de la casse sociale; il n’aura aucune pitié pour nous », redoute Messaoud Drideche, de la CGT. Il précise que son offre apparaît comme la plus sérieuse, à côté d’une autre, d’un fonds d’investissements chinois.
Selon une enquête de L’Humanité, Bercy suit le dossier Stérin de près, notamment via le Comité interministériel de restructuration industrielle (CIRI). Pourtant, l’absence de garanties sur le projet industriel et les conditions avantageuses du rachat – prévu à l’euro symbolique, avec un abandon potentiel des dettes – suscitent l’indignation.
Le Parti Communiste Français 90 réclame, dans un communiqué, ce 25 février, une nationalisation de GMD pour préserver l’outil industriel et l’emploi, appelant le Premier ministre à intervenir d’urgence. « Ce n’est pas par patriotisme économique ou par souci de l’avenir de la filière automobile que Pierre-Edouard Sterin s’intéresse à la reprise du groupe créé en 1986 par un industriel français. Toujours à la recherche d’une nouvelle proie, ce vautour de la finance, compte, à n’en pas douter, sur cet « achat » plus que symbolique pour faire main basse sur les actifs de GMD estimés à 400 millions d’euros. Une sacrée plus-value en perspective ! », alarme le syndicat.
Dans ce contexte tendu, la mobilisation des salariés d’Eurocast se poursuit, sans se limiter à une simple bataille salariale. Les salariés réclament non seulement une meilleure reconnaissance de leur travail, mais aussi des garanties sur l’avenir de leur entreprise et de leurs emplois. Le site dellois comprend aujourd’hui 100 personnes en CDI et 40 intérimaires. La direction du site, malgré nos appels, était injoignable ce mardi.
26/02 : la grève levée [mise à jour]
La grève a pris le 25 février dans l’après-midi. Les ouvriers ont repris l’activité à la suite d’un accord avec la direction. Ils ont réussi à obtenir une augmentation de 50 euros bruts de salaire, une prime de 450 euros et la prise en charge de la hausse du tarif de leur mutuelle. Ils demandaient, lundi, 150 euros d’augmentation.