Le spécialiste français des batteries Saft lance jeudi le chantier d’une ligne de production pilote à Nersac (Charente), en présence d’Emmanuel Macron, première étape d’un projet européen visant à fournir l’industrie automobile à grande échelle face à la concurrence asiatique.
AFP – Daniel Aronssohn
Le spécialiste français des batteries Saft lance jeudi le chantier d’une ligne de production pilote à Nersac (Charente), en présence d’Emmanuel Macron, première étape d’un projet européen visant à fournir l’industrie automobile à grande échelle face à la concurrence asiatique.
Cette ligne, destinée à de premiers tests d’industrialisation, commencera sa production à partir de mi-2021, et fera passer les effectifs de l’usine de Nersac de 90 actuellement à environ 200 à terme. Une deuxième étape prévoit la fabrication de batteries à grande échelle à Douvrin (Pas-de-Calais) “à partir de fin 2021” puis à Kaiserslautern (Allemagne) à partir de 2024 avec près de 2 000 emplois sur chacun des deux sites vers la fin de la décennie, selon Bercy.
Le projet est porté par Saft, filiale du géant pétrolier Total, et PSA (Peugeot, Citroën, DS, Opel, Vauxhall). Les deux groupes étudient la création d’une coentreprise à 50-50 pour produire des cellules lithium-ion, élément-clé des batteries rechargeables des voitures électriques. “La concrétisation de la filière des batteries électriques est une bonne nouvelle pour l’emploi, mais aussi pour la souveraineté économique et technologique européenne”, estime le ministre de l’Économie Bruno Le Maire, qui avait lancé le projet en décembre 2018 avec son homologue allemand Peter Altmaier. “Ni la France, ni l’Europe ne sont condamnées à dépendre des importations technologiques des États-Unis ou de la Chine”, assure-t-il.
Les ventes de véhicules électriques sont en plein essor sous la pression de réglementations environnementales toujours plus sévères. Or, les batteries représentent à elles seules un tiers de la valeur ajoutée des véhicules, et aujourd’hui, elles sont la chasse gardée de champions chinois, japonais et sud-coréens. L’Europe représente seulement 1 % de la production mondiale. L’objectif du projet Saft-PSA, soutenu par les gouvernements français et allemand, est de démarrer une filière européenne en associant le savoir-faire d’un fabricant de batteries avec celui du deuxième constructeur automobile européen. Fiat Chrysler, en cours de fusion avec PSA, lui donnerait une dimension encore plus forte. Le patron de PSA Carlos Tavares s’inquiète régulièrement de la dépendance de l’Europe envers les batteries asiatiques. Il avait besoin de s’associer avec un partenaire apportant le savoir-faire dans ce nouveau métier et partageant des coûts d’investissement très élevés.
"Airbus des batteries"
Saft conçoit et fabrique des batteries pour les industries aéronautique, ferroviaire ou le stockage d’énergie. Le groupe emploie 4 500 personnes dans le monde pour un chiffre d’affaires de 788 millions d’euros en 2018. Un tiers des effectifs sont basés en Nouvelle-Aquitaine : à Nersac, Poitiers et Bordeaux. La capitale girondine accueille son centre mondial de recherche et développement.
L’alliance des deux groupes, qui prend une dimension franco-allemande avec Opel, filiale de PSA, est soutenue par les pouvoirs publics qui financeront près d’un quart des 4 à 5 milliards d’euros d’investissements prévus. L’État français doit apporter au moins 800 millions d’euros et l’Allemagne 300 millions, le reste étant financé par les industriels, selon une source proche du dossier. La ligne pilote de Nersac représente déjà un investissement de 200 millions d’euros.
Le projet franco-allemand est le noyau d’un plan européen validé en décembre par Bruxelles. Parfois baptisé “Airbus des batteries”, il prévoit 8 milliards d’investissements, dont 3,2 milliards d’argent public apportés par sept États membres à un consortium de 17 entreprises et organismes de recherche pour faire émerger une filière européenne. L’initiative est saluée par les syndicats. La CFDT de PSA a notamment indiqué “se féliciter de la création d’un Airbus des batteries en France, car de nouveaux emplois vont naître d’un marché qui deviendra crucial”.
Les experts sont cependant réservés sur les chances de succès. “On arrive tard dans la bataille et on aura du mal à rivaliser avec les effets d’échelle mis en place en Asie”, estime Clément Le Roy, du cabinet de conseil Wavestone. Cet expert voit, derrière le terme “Airbus des batteries”, plusieurs consortiums européens concurrents qui laissent augurer d’un match entre la France et l’Allemagne sur ce marché estimé à 45 milliards d’euros en 2027. Face à PSA, Volkswagen investit de son côté massivement avec le groupe suédois Northvolt, tandis que Daimler (Mercedes) et BMW pourraient se rapprocher dans ce domaine, constate-t-il.
Pas dans le nord Franche-Comté
Marie-Guite Dufay, la présidente du conseil régional Bourgogne-Franche-Comté, avait tenté sa chance : faire venir dans le nord Franche-Comté cette usine de batteries à proximité de l’usine PSA de Sochaux. La démarche et le lobbying ont été vains. C’est la région des Hauts-de-France qui a remporté la mise et qui va accueillir la première gigafactory. Le 21 janvier, l’antenne sochalienne de Force ouvrière métaux a écrit une lettre ouverte à Carlos Tavarès pour demander une nouvelle fois, “solennellement”, d’accueillir à Sochaux cette usine. “Avec son projet “Sochaux 2022” ce sont plusieurs bâtiments et dizaines d’hectares que PSA va libérer : alors pourquoi ne pas en profiter pour y installer l’Airbus de la batterie, avait interpellé le syndicat. Après les déboires de GE à Belfort, il est temps de miser sur des valeurs sûres, Peugeot et aujourd’hui le groupe PSA, en font partie.” Le syndicat avait listé les atouts du territoire, notamment le savoir-faire historique, la présence de 40 000 ouvriers liés à l’indsutrie automobile et la localisation du nord Franche-Comté, au coeur de l’Europe. Mais ce ne sera pas le cas.