Le Trois –

Aire urbaine investissement, un outil économique en péril

En commun pour Belfort critique la révision du plan local d'urbanisme opérée par Damien Meslot et la ville de Belfort.
L'ancêtre d'Aire urbaine investissement fut l'un des outils pour réaménager le Techn'Hom à Belfort et attirer de l'activité. | ©Le 3​

C’est un morceau de l’histoire industrielle et du développement économique de Belfort, puis du nord Franche-Comté, qui est fragilisé. Les nouvelles méthodes de gestion des fonds de revitalisation affaiblissent Aire urbaine investissement dont l’objectif est la création et le maintien des emplois dans la région. Explications.

Avec 1 400 emplois supprimés., la fermeture de Bull, en 1991, est un coup terrible pour la cité du Lion. De cette crise émerge cependant une vision de l’avenir, qui est incarnée par trois personnages : Jean-Pierre Chevènement, Christian Proust et le préfet de l’époque, Didier Cultiaux. Maintenir Bull était selon eux une chimère. Il fallait plutôt se mobiliser pour préparer l’avenir, en réaménageant le site et en travaillant à l’implantation de nouvelles activités, estiment alors les trois hommes.

Pour participer à cette ambition, la société Sybel est créée à l’automne 1991. Son objectif est de « favoriser la création et le maintien d’emplois durables dans le bassin d’emploi de Bull Belfort », comme le rappelle l’article 2 de ses statuts, cité par Christian Proust dans son livre En prison pour l’emploi. Sybel, devenu aujourd’hui Aire urbaine investissement, était et reste « une innovation juridique », estime l’ancien président du conseil général. Et cet esprit d’un dispositif privé de reconversion industrielle favorisant la création, l’implantation et le développement d’activités industrielles ou de services à l’industrie se poursuit aujourd’hui.

Aire urbaine en 2009

Le fonds attribuait des subventions d’équipements, des avances remboursables, des prêts ou des prises de participation. À la création de la société, 600 000 francs sont engagés par l’État, le conseil général et Bull. « Le dispositif a très bien fonctionné » se souvient Philippe Chevallier, actuel directeur d’Aire urbaine investissement. L’argent a été distribué et 800 emplois perdus ont été « retrouvés » en 1997-1998. À la même époque, les avances remboursables avaient été rendues à leur propriétaire.

Face à la réussite de Sybel, l’initiative est prolongée. En 1999, Sybel devient Belfort Investissement, avec l’engagement d’Alsthom ; 50 millions de francs sont injectés. En 2000, Alstom remet au pot, imité en 2003 par General Electric.

En 2007, Belfort Investissement devient mandataire des fonds de revitalisation, créés par une loi de 2002. Lorsqu’une entreprise procède à un licenciement collectif, qui affecte par son ampleur le territoire où elle est implantée, elle a le devoir de contribuer à la création d’activités ou au développement des emplois. Une convention de revitalisation est alors signée entre l’entreprise et les services de l’État.

En 2009, Belfort Investissement devient Aire urbaine investissement ; la structure gère alors les fonds de revitalisation du pays de Montbéliard (PSA, Peugeot Motocycles, Faurecia). En 2015, Aire urbaine investissement devient aussi compétente en Haute-Saône.

« Proche de nous »

Serge Pellisier, Waterform (Montbéliard)

Le covid n’a pas épargné Waterform, à Montbéliard. La situation est alors particulièrement délicate, notamment au moment du 1er confinement. Aire urbaine investissement réussit à débloquer des fonds pour maintenir les 28 emplois de l’entreprise témoigne Serge Pellissier, le gérant, âgé de 72 ans. « Et les autres banques ont suivi », confie le patron, notamment avec un prêt garanti par l’État (PGE). « Cette avance nous a permis de ne pas tomber », ajoute-t-il. « Philippe Chevalier a été proche de nous », salue également Serge Pellisier, encore reconnaissant. « Une personne qui vous tend la main, vous n’oubliez jamais », glisse-t-il par la suite. « La somme d’argent est importante », observe Serge Pellisier. Mais il n’y a pas que cela… « S’il n’y avait eu que l’argent, nous aurions continué à glisser. »

Un lien qui responsabilise

Au 31 décembre 2022, 414 dossiers avaient été accompagnés par les différentes structures, depuis 1991. Et depuis 2009, ce sont 1,5 million d’euros d’aides qui sont distribués chaque année dans le nord Franche-Comté par Aire urbaine investissement. On peut estimer à 350 emplois le nombre d’emplois créés ou maintenus, chaque année, grâce à ses actions. Depuis 1999, près de 17 millions d’euros ont été engagés en avances remboursables et 5,4 millions d’euros en subventions.

Si Aire urbaine investissement octroie des subventions, conformément aux accords signés au début des années 2000, elle appuie surtout l’écosystème économique avec des avances remboursables. L’avantage de l’avance remboursable, « c’est qu’elle nous permet de rester en contact avec l’entreprise », appuie Christian Bleicher, le président d’Aire urbaine investissement. « Ça nous intéresse de savoir sa vie. Car nous voulons qu’elle fonctionne. » Philippe Chevallier abonde : « Le lien est important, car il responsabilise. » En trois décennies, Aire urbaine investissement a acquis une expertise du tissu local. Et la structure fournit aussi, gracieusement, des conseils en ingénierie financière aux entreprises, pour qu’elles puissent grandir.

« Des conseils plein de bon sens »

Julien Morel, MS Inov (Belfort)

Aujourd’hui, l’entreprise est le premier fabricant de robots collaboratifs français, avec capitaux français, rappelle Julien Morel, à la tête de MS Innov, au Techn’Hom, à Belfort. D’abord, l’entreprise était plutôt tournée vers les services d’ingénierie aux entreprises. Elle menait en parallèle un travail d’innovation. « Philippe Chevalier l’avait décelé dès le départ », se souvient Julien Morel. Des aides ont été accordées, sous forme d’avances remboursables, pour les premiers emplois. L’entreprise compte jusqu’à 43 salariés. Elle grandit très vite. Le covid-19 a fortement fragilisé l’activité, qui s’arrête alors en quinze jours. Aire urbaine investissement l’accompagne pour maintenir les emplois, illustrant la réactivité de l’outil.  « Il m’a aidé aussi sur la stratégie d’entreprise », apprécie Julien Morel. « Ils donnent des conseils plein de bon sens », ajoute-t-il. Cette aide et les conseils ont permis de rebondir, en lançant un projet de robot et en lançant une levée de fonds. « Aire urbaine investissement a une valeur dans l’écosystème économique local, supérieur au simple fait de partager des sous », insiste l’entrepreneur.

Et le remboursement des aides permet ensuite d’accompagner d’autres entreprises, en les aidant à leur tour. « C’est un modèle vertueux », observe Philippe Chevallier. Un modèle d’autant plus vertueux que le service d’Aire urbaine investissement est gratuit ; cette flexibilité lui permet, contrairement à une banque, d’avoir « un droit » à la perte et d’accepter des décalages de remboursement si l’activité de l’entreprise le nécessite. « Nous avons la capacité à accepter un risque que ne peuvent pas forcément faire les banques, valide Philippe Chevalier. Et nous avons une crédibilité, pour que les banques suivent ensuite. »

« Depuis 2005, nous tournons sans appeler [de nouveaux fonds] », souligne Philippe Chevallier, en dehors des fonds issus des conventions de revitalisation. « Mais c’est un système vertueux, tant que nous avons la capacité d’avoir un fonds de roulement, prévient Philippe Chevalier. D’où le fait aussi de favoriser l’avance remboursable. »

Moins de fonds de revitalisation

Mais face à ce prestigieux passé, « notre avenir s’assombrit », alerte Christian Bleicher. Qui souligne ensuite : « On a entre 10 à 15 % de pertes, chaque année, sur les avances remboursables. » Inéluctablement, la part du gâteau se réduit. « Petit à petit, nous arrivons au bout », souffle Christian Bleicher, un ancien cadre de premier plan de General Electric.  

De plus, aujourd’hui, la gestion des fonds de revitalisation s’éloigne des territoires regrettent les deux hommes. Auparavant, 80 % des fonds de revitalisation étaient réinvestis localement, assurent-ils, pour maintenir ou créer des emplois locaux. Aujourd’hui, c’est 10 à 12 % estiment-ils. Les sommes sont gérées depuis Paris, par de grands cabinets, regrettent Christian Bleicher et Philippe Chevallier. Si Aire urbaine investissement peut-être associée aux fonds de revitalisation, elle n’est aujourd’hui mandatée que pour gérer « la portion congrue », critiquent-ils. Surtout, « nous ne participons plus à la répartition », regrette Christian Bleicher. Limitant ainsi sa capacité d’actions sur le territoire. « Nous perdons la capacité à réinjecter » et le « fonds de roulement », regrettent-ils.

"Un facilitateur"

Christian Monnier – MGR Monnier Énergies (Chaux)

« Lors de la reprise de MGR en juillet 2013, Aire urbaine investissement a soutenu mon dossier de reprise par l’apport d’une aide sous la forme d’une avance remboursable dans le cadre du maintien des emplois et de la création de nouveaux. Ce soutien nous a permis de consolider notre besoin en fonds de roulement nécessaire, surtout au démarrage de l’activité, tout en consolidant notre trésorerie. Au moment de la reprise de MGR – devenue MGR-Monnier Énergies en juillet 2013 – nous étions 17 salariés. Aujourd’hui, nous sommes 56 et travaillons toujours en collaboration avec Aire urbaine investissement. La différence avec toute autre structure de prêt – sans dénigrer les autres – c’est l’écoute, les compétences, la compréhension, la connaissance par la proximité des enjeux économiques de notre territoire et avant tout, la confiance mutuelle. C’est également un facilitateur qui apporte conseils et mises en relation avec toutes les institutions locales. »

Des entreprises locales sont aidées par ces fonds de revitalisation gérés depuis la région parisienne. Aire urbaine investissement le reconnait. Mais la nouvelle méthode ne fournit plus un travail fin sur le territoire. Ni le suivi qui fait la réputation d’Aire urbaine investissement (lire par ailleurs). Pour les deux hommes, les cabinets vont directement vers des dossiers sûrs, pour répondre à des objectifs de résultats, mais sans avoir la connaissance ni le temps d’Aire urbaine investissement. Ils redoutent la précipitation et un entre-soi dans la gestion des dossiers. « Le tissu local bénéficie de moins en moins [de ces fonds] », regrettent-ils. Et les aides ne vont plus forcément vers « des emplois opérationnels », déplore Philippe Chevallier. Christian Bleicher et Philippe Chevallier alertent : « On détruit des emplois qualifiés. »

Les fonds historiques fondent, mécaniquement. Les montants octroyés par les fonds de revitalisation se réduisent. Aire urbaine investissement est « dans un entonnoir », analyse Christian Bleicher, qui estime la durée de vie de l’outil, si on ne fait rien, à deux ans. Aujourd’hui, ils poussent un cri d’alarme.

Depuis trente-deux ans, c’est un outil discret, mais non moins essentiel. Sa notoriété auprès du grand public est certes limitée. Elle est inversement proportionnelle à l’importance qu’a eu Aire urbaine investissement ces dernières décennies dans le maintien de l’industrie dans le nord Franche-Comté.

Les actionnaires d'Aire urbaine investissement (©Le Trois).

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