« Tout ce qui m’entoure me dépasse et pourtant, je suis bien là, témoin privilégié de la beauté et de la magie de notre planète », écrit Philippe Perrin, dans son ouvrage En Apesanteur. Nous sommes en juin 2002. Philippe Perrin est le 9e Français à être parti dans l’espace et le 3e à « marcher » dans l’espace. À son actif, trois sorties extravéhiculaires, dans le vide intersidéral, pendant près de 20 heures. Il participe alors à la construction de la station spatiale internationale, depuis la navette Endeavour.
Cette expérience spatiale lui a aussi ouvert les yeux. « J’ai réalisé la fragilité de la Terre », confie-t-il, quelques heures avant de confier son témoignages aux participants du forum Hydrogen business for climate, à Montbéliard, organisé les 1er et 2 octobre. « Cela fait très longtemps que la Nasa la documente. Ils ont une tradition de sensibilisation à ce phénomène », indique-t-il. Et il en a profité à partir de 1996 jusqu’à son vol dans l’espace.
Cet ancien pilote de chasse, vétéran de la Guerre du Golfe, a poursuivi sa carrière chez Airbus, en qualité de pilote d’essai. Aujourd’hui, il est consultant pour la start-up Blue spirit Aero, une entreprise qui développe un avion d’aéroclub, fonctionnant avec une pile à combustible.
Philippe Perrin se revendique des analyses de Jean-Marc Jancovici. Il veut participer à la decarbonation de l’aviation. « Elle est une des sources majeures des pollutions planétaires », observe-t-il. L’aviation pèse environ 2,5 % des émissions de CO2, mais contribue à plus de 5 % au réchauffement climatique. « On ne peut pas continuer comme cela », convient-il. La proportion doit grandir, compte tenu du trafic qui augmente. Et mécaniquement, si des domaines se décarbonent, celui-ci prendrait encore plus de place. Il faut donc agir. « C’est obligatoire, il n’y pas d’autre choix », interpelle le pilote. « Comment demander des économies d’énergie quand certains continuent de voler », acquiesce-t-il.
« L’aviation de la vie »
Selon Philippe Perrin, l’hydrogène a son rôle à jouer, notamment dans l’aviation commerciale « régionale », des moyens courriers, pour des distances de 1 800 à 2 000 kilomètres, indique-t-il. « C’est l’aviation de la vie », estime Philippe Perrin. Celle des affaires, des retrouvailles en famille, des vacances « raisonnables ». Les liaisons régionales permettent aussi d’assurer des liaisons transverses, notamment en France, et contrecarrer le système en étoile du réseau ferroviaire. Ce sont des vols principalement assuréss par l’Airbus A320, remarque-t-il aussi. Il estime aussi qu’une semaine de vacances aux Caraïbes, ce n’est plus tenable, alors que les vols de plus de 1 500 kilomètres représentent « plus de 80 % de l’empreinte carbone de l’aviation » (lire ici).
La solution hydrogène qui se déploie serait de l’hydrogène liquide. Cette solution doit aussi permettre de traverser « l’Atlantique », convient-il. Par contre, pour les très longs courriers, vers l’Australie ou Los Angeles, la solution ne sera pas pertinente. Il penche plutôt pour les biocarburants et des avions dotés d’ailes delta, « qui réduise la consommation de 40 % », indique-t-il.
Se pose alors « le problème de l’investissement », précise Philippe Perrin. Les avionneurs sont prêts à y aller, mais attendent que les États portent le risque de l’investissement ; des États qui n’ont plus beaucoup de place dans l’actionnariat… L’État français détient 10,9 % des parts, l’Allemagne 10,8 et l’Espagne 4,1 %. 73,8 % des parts sont flottantes. Équation délicate pour engager un virage solide. Et un avion est un produit « complexe », nécessitant « beaucoup de compétences ». « Pour transformer l’aviation des carburants fossiles aux carburants hydrogène, il faut développer l’écosystème autour », interpelle-t-il. Celui des équipementiers. Celui de la production d’hydrogène.
« Je vois que l’aviation met du temps à [agir] », valide Philippe Perrin, par ailleurs conseiller municipal à Toulouse (Haute-Garonne) et qui suit les dossiers de mobilité, voirie, écologie et transition énergétique. Il s’est alors associé à Blue spirit Aero, qui conçoit un avion hydrogène, pour faire avancer ses convictions. L’avion, qui pourra embarquer 4 à 6 personnes, pourrait voler 3 heures et atteindre les 700 kilomètres de voyage promet le fabricant. Il embarquerait une quinzaine de kilos d’hydrogène, soit une consommation de 2 kilos pour 100 kilomètres ; à titre de comparaison, la Toyota Miraï consomme un kilo d’hydrogène aux 100 kilomètres. L’avion, Dragonfly, doit voler en 2026. Chaque aile de l’avion aura six hélices et six moteurs à propulsion électrique, contenant chacun un petit réservoir d’hydrogène. Une nouvelle odyssée pour le pilote, après sa « chevauchée fantastique », en 2002, comme il aime décrire ses sorties dans l’espace.