Comment résumez-vous l’état de la filière hydrogène en France, aujourd’hui ?
Depuis que la stratégie hydrogène a été publiée, en septembre 2020, le travail fait dans les régions est considérable. En termes de mobilité, on a, à Paris, la plus grande flotte de taxis du monde : 800 taxis à hydrogène. Nous avons 70 stations de recharge. Il y a une cinquantaine de bus, dont ceux de Belfort. Il y aussi des bennes à ordures et des camions, notamment rétrofités. On a inauguré un bateau pour initier les apprentis pêcheurs de Corse, à Bastia, ou encore une barge hydrogène sur la Seine pour relier le port de Gennevilliers au centre de Paris. Cela avance sur l’industrie également. En 2026, Air Liquide va inaugurer son projet Normand’Hy, à Port-Jérôme (Seine-Maritime). On va, enfin, poser les premières pierres des infrastructures du réseau de transport ; nous nous dirigeons vers un marché européen de l’hydrogène où l’hydrogène circulera dans l’ensemble du continent européen. Un premier gazoduc sera par exemple mis en place entre le bassin de Saint-Avold (Moselle), où l’hydrogène sera produit, et un sidérurgiste allemand basé dans la Sarre ; c’est le projet mosaHYc, avec une canalisation d’une centaine de kilomètres.
On note une différence entre la filière mobilité et la filière industrie…
Il faut toujours penser « système ». Les véhicules à batterie ont acquis beaucoup d’autonomie. Mais il faut penser recharge et penser à l’énergie à apporter pour la recharge. Il faut, par ailleurs, de la place (pour les stations de recharge, NDLR). L’hydrogène ne fera pas tout, mais elle aura sa place. Par ailleurs, nous allons vers plus d’électrification. Aujourd’hui, l’électricité, c’est entre 20 et 25 % de la consommation d’énergie finale (25 %, en France, NDLR). La plupart des modèles prospectifs indiquent que l’on va vers 50 à 60 % d’électricité dans la consommation d’énergie finale. Les autres énergies seront la chaleur renouvelable et les gaz renouvelables, comme le biométhane et l’hydrogène. Sa place est estimée, selon les modèles, entre 10 et 20 % de la consommation finale d’énergie. Et l’hydrogène doit être réservé à ce que les autres énergies ne peuvent pas faire : dans l’industrie, c’est la haute température ; dans l’aviation et le maritime, c’est faire des carburants de synthèse.
La filière est-elle dans une forme de reconfiguration ?
Je suis rentré dans l’industrie gazière en 1977, lorsque l’on construisait l’infrastructure gazière. EDF était en train de fabriquer son programme nucléaire. Qu’est-ce qu’on disait ? « EDF aura trop d’électricité, ils vont donc électrolyser de l’eau. On va aller vers une civilisation de l’hydrogène. » C’était il y a près de cinquante ans. Et on n’y est pas ! Des hauts et des bas, on en a connu. Là, ce qui me paraît majeur, c’est que l’hydrogène est maintenant dans toutes les têtes. La stratégie hydrogène française n’est pas une lubie d’ingénieurs et de politiques français. Plus de soixante-dix pays ont une stratégie hydrogène ou une feuille de route hydrogène. Tout le monde a compris que l’hydrogène fera partie de la solution, même si ce ne sera pas la solution unique. On peut estimer qu’on va trop lentement. Mais actuellement, dans le monde, on produit près d’un million de tonnes d’hydrogène propre. Soit 1 % de la production mondiale. On a mis cinq ans pour faire 1 % ! Regardez combien de temps le nucléaire, le solaire ou l’éolien ont mis pour représenter 1 % de leur domaine. Il faut simplement prendre conscience que ce sont des technologies émergentes…
Comment regardez-vous les décisions de Stellantis par exemple ?
Je regrette que Stellantis ait arrêté, dans la mesure où il avait une position de leader. Stellantis était, à ma connaissance, le seul au monde à avoir deux véhicules utilitaires légers qui permettaient de répondre à un certain nombre de missions. En France, il y a 6 millions de véhicules utilitaires légers. Une étude de la Plateforme Automobile rappelait bien qu’un quart de ces véhicules auront du mal à réaliser leur mission avec une batterie : géographie du territoire qui consomme plus à cause du relief ; climat plus rigoureux ; besoin de disponibilité immédiate (ambulance, police).
La Chine accélère…
La Chine prépare son 15ᵉ plan stratégique quinquennal. L’accent va être mis sur l’hydrogène. Les Chinois considèrent que tout ce qui est batterie, il n’y a plus besoin de mettre l’effort là-dessus. Ils passent à l’étape suivante. L’Europe est en train de décrocher par rapport à la Chine.
Perd-on du terrain ?
Je considère que l’Europe perd trop de temps en discours byzantins sur la couleur de l’hydrogène. Nous avons, par exemple, perdu beaucoup de temps sur l’acte délégué bas carbone (publié à l’automne 2025, NDLR), qui dit que l’hydrogène fait avec de l’électricité d’origine nucléaire est au moins aussi bon que l’hydrogène fait à partir de d’électricité renouvelable. À l’inverse, il faut reconnaître que l’Europe a aidé en termes de subventions.
Aurions-nous besoin, pour accélérer, de réglementer ?
Oui ! il y a un certain nombre de domaines où il y aurait des réglementations plus contraignantes… [Ensuite], la situation budgétaire, en France, est difficile. Nous essayons [aujourd’hui] de sanctuariser les promesses. Le gouvernement a promis 9 milliards d’euros à la filière. Il faut que ces 9 milliards d’euros soient donnés. On est encore très loin du compte. Je n’ai pas le chiffre précis, mais 3 milliards d’euros ont dû être engagés et, réellement décaissés, 1,5 milliard d’euros. C’est au gré du développement des projets.

