Que représente pour vous le forum Hydrogen Business for Climate, organisé ce jeudi 4 décembre ?
Cet événement est devenu un rendez-vous incontournable pour la filière hydrogène. C’est une fierté pour la région, parce qu’il incarne bien notre ambition : faire du nord Franche-Comté un hub industriel et technologique de référence. Ce forum est une vitrine pour nos entreprises, nos laboratoires et nos projets, mais aussi un lieu de dialogue stratégique avec les acteurs nationaux et internationaux. Il illustre bien la dynamique que nous avons engagée depuis 2019, avec notre feuille de route hydrogène, et confirme que la Bourgogne-Franche-Comté est au cœur des transitions énergétiques. Surtout, Hydrogen Business for Climate est la preuve tangible de la structuration d’une filière industrielle présente sur toute la chaîne de valeur.
Lors de votre arrivée, vous aviez des doutes sur la filière hydrogène. Qu’en est-il aujourd’hui ?
Je n’ai pas de doutes. La presse le documente régulièrement. La filière rencontre de grands défis : maturité technologique ; coûts élevés ; incertitudes sur la vitesse d’émergence des marchés décarbonés. C’est normal que le président de la Région questionne les conséquences de ces évolutions sur notre stratégie… Nous avons beaucoup investi dans la filière et c’est notre devoir de vérifier régulièrement la pertinence de notre action. Je crois que les avancées restent indéniables, notamment à l’échelle mondiale. Les investissements engagés dans l’hydrogène décarboné ont désormais dépassé les 110 milliards de dollars pour 510 projets, soit une augmentation de 35 milliards de dollars par rapport à l’année dernière et une croissance moyenne de plus de 50 % d’une année sur l’autre depuis 2020. On observe un investissement massif ces derniers mois en Corée, où le gouvernement encourage les conglomérats dans le choix de l’hydrogène, et en Chine, où l’hydrogène est intégré au 15e plan quinquennal. Ces signaux indiquent que le marché va s’accélérer et constituent autant d’éléments de nature à valider les choix qui ont été faits dans notre feuille de route.
Comment analysez-vous la filière aujourd’hui ? La nouvelle stratégie nationale vous rassure-t-elle ?
Elle conforte notre positionnement en tout cas. La stratégie nationale réaffirme l’ambition de 4,5 GW d’électrolyse en 2030 et 8 GW en 2035, avec un soutien fort à l’industrialisation et à la compétitivité. Elle confirme aussi la priorité donnée à l’hydrogène électrolytique bas carbone et aux mobilités lourdes. Pour la Région, cela signifie que nos investissements – 90 millions d’euros sur la décennie – sont alignés avec la trajectoire nationale et européenne. Nous avons les atouts pour être un territoire leader : recherche de pointe (Femto-ST, FCLAB) ; politique d’innovation aux côtés de l’État et BPI France ambitieuse ; formation (École régionale de l’hydrogène). L’hydrogène a d’ailleurs été identifiée lors des travaux de la COP régionale comme un atout pour décarboner l’industrie. Pour autant, une filière ne peut se développer que grâce à la permanence et la continuité des efforts publics qui lui sont dédiés. Il est donc important que l’État rassure les acteurs de la filière sur les moyens qui lui seront dédiés à l’avenir. J’ai apprécié le message rassurant de Bruno Bonnell (secrétaire général de France 2030, NDLR) lors de sa dernière prise de parole sur notre région : il a confirmé que les projets structurants ne sont pas remis en question et esquisse un plan d’investissement au-delà de 2030. Par ailleurs, lors de mon premier déplacement à Bruxelles, j’ai souhaité dialoguer avec Stéphane Séjourné, Commissaire européen à l’Industrie pour évoquer l’objectif français de faire sauter les verrous pour libérer toutes les sources de l’hydrogène décarboné.
Malgré de mauvaises nouvelles sur la mobilité, Inocel et Gen-Hy progressent. Partagez-vous ce constat ?
Absolument. Inocel à Belfort, avec ses piles à combustible haute puissance, et Gen-hy, dans le Doubs, passent à l’échelle industrielle et contribuent à structurer la filière régionale. De plus en plus de projets atteignent le stade de la décision finale d’investissement. Les obstacles techniques et réglementaires persistent, les obstacles financiers peuvent retarder l’avancement des projets, mais malgré les retards et les annulations annoncés, la production d’hydrogène à faibles émissions devrait augmenter de manière significative d’ici 2030.
Comment la Région peut-elle continuer à soutenir la filière ?
Nous allons poursuivre sur quatre axes :
• en soutenant la recherche et l’innovation via France 2030 et nos dispositifs régionaux ;
• en accompagnant le déploiement des usages et des démonstrateurs en cours : trains hydrogène, stations régionales de production et distribution pour des flottes captives notamment ;
• par le levier de la formation et des compétences : le projet École de l’hydrogène a été labellisé par France 2030 cette année. Piloté par la Région et d’une durée de cinq ans, il rassemble 17 partenaires publics comme privés. C’est une vraie opportunité pour coordonner nos efforts dans la conception de formations adaptées aux besoins actuels des entreprises et pour anticiper pour les compétences dont le secteur aura besoin demain ;
• nous travaillons aussi à faciliter l’accès au foncier et aux infrastructures pour les projets stratégiques.
Le marché français est atone, mais la dynamique internationale est forte. Est-ce une piste pour l’export ?
Oui, et nous devons la saisir. La stratégie nationale prévoit des mécanismes de soutien à l’export, et nous mobiliserons nos outils régionaux pour accompagner nos entreprises avec nos partenaires, notamment la CCIR (chambre de commerce et d’industrie régionale, NDLR), avec qui nous organisons un pavillon Bourgogne-Franche-Comté sur Hyvolution. Nos technologies – électrolyseurs, piles à combustible – doivent trouver des débouchés à l’international. C’est aussi tout le sens de ce Forum H2, que nous souhaitons aussi de plus en plus tourné vers les échanges business. C’est également un axe de travail pour l’École de l’hydrogène (créer des modules en anglais, favoriser les échanges internationaux…), afin de renforcer l’attractivité et le rayonnement de notre offre de formation.
La filière automobile est en souffrance. Le moteur à combustion interne hydrogène peut-il être une piste ?
C’est une piste intéressante pour maintenir des compétences et valoriser nos savoir-faire. Le rétrofit et les moteurs à hydrogène peuvent offrir des pistes, notamment pour les poids lourds. Nous soutenons les projets innovants dans ce domaine, en lien avec les pôles de compétitivité et les industriels locaux. Mais l’hydrogène ne répondra pas seule au cataclysme auquel la filière auto fait face. Nous déployons aussi d’autres outils pour la soutenir, en lien avec l’État, en particulier dans le cadre du deuxième volet de notre feuille de route pour la filière automobile, doté entre 2025 et 2028 d’une trentaine de millions d’euros de crédits régionaux.
La Région porte-t-elle de nouveaux projets d’implantation ?
L’Agence économique régionale est toujours à l’écoute des besoins des industriels intéressés par notre région. Nous restons extrêmement attentifs à la situation de la gigafactory reprise par John Cockerill (lire pages 22-23). Beaucoup d’argent public a été investi à Belfort. Il est de la responsabilité des pouvoirs publics de poursuivre la mobilisation pour le site. La priorité est de sécuriser ces projets, soutenir la R&D et la montée en cadence industrielle de ce projet, comme des réservoirs mis au point par Forvia, de la technologie de Gen-Hy…
Où en est le projet de train à hydrogène à Auxerre ?
Le dossier rencontre de nombreuses difficultés, mais est bien en vie. C’est assez normal pour un projet d’une telle innovation. Nous allons bénéficier du retour d’expérience de l’Allemagne, qui avait un temps d’avance sur le sujet. Je comprends que deux régions sur les quatre à l’initiative du projet se posent des questions. Nous nous sommes, nous-mêmes, posé des questions. D’après les dernières informations en ma possession, Alstom est en passe de résoudre les problèmes de fiabilité de la pile à combustible qu’il a rencontrés, et qui expliquent les retards de déploiement. On m’annonce une livraison de la première rame fin 2026, sans qu’à ce stade ne soit réglées ni les questions de pénalités liées aux retards de production, ni les questions de production de l’hydrogène. Les feux sont au vert pour l’implantation d’une station de production d’hydrogène issu de l’énergie renouvelable à Auxerre ; mais les signaux auxerrois sont parfois contradictoires. Il nous reste donc du pain sur la planche, mais l’expérimentation du train H2 est important pour la filière – et pour la Région – qui a beaucoup misé sur les développements de l’hydrogène pour la mobilité lourde.
- Cette interview est issue de notre magazine print « Le Trois – hors-série », dédié à la filière hydrogène locale et publiée en décembre 2025. À retrouver ici : https://letrois.info/kiosque/la-filiere-hydrogene-saccroche/

