Sous une pluie battante, le principal motif de colère est le même pour tous : une répartition jugée injuste des primes entre cadres et non cadres. « C’est la goutte d’eau qui fait déborder le vase », déclare Brahim Chekouat, électro-bobineur et élu CGT, ce jeudi 26 septembre, lors d’une nouvelle mobilisation devant l’usine. Une première grève a déjà eu lieu ce lundi. C’est le premier mouvement social depuis le rachat de la branche nucléaire par EDF en mai dernier.
Le cœur du conflit réside dans l’attribution des primes, avec des écarts significatifs entre les catégories professionnelles. General Electric avait installé il y a quelques années un système de prime très élevé pour les cadres supérieurs, intermédiaires et moyens, pour accompagner la restructuration « très violente » de la société, explique Laurent Santoire, délégué syndical CGT. « Ce système de prime, les trois dernières années, n’a fait que payer de plus en plus. Au plus bas : plusieurs milliers d’euros. »
Brahim Chekouat critique ce système où « les cadres voient leurs bonus atteindre 114%, alors que pour nous, la prime de partage de la valeur (PPV) n’atteint même pas un quart de ce qu’on pourrait espérer ». Les salariés non cadres, selon la négociation de début septembre, recevront entre 500 et 1 000 euros de prime, brut. Lors d’une première mobilisation, lundi, et à l’issue de négociation, la direction a proposé un complément de 100 euros à la prime proposée. « Cela représente à peu près 68 euros net, c’est ridicule », poursuit Brahim Chekouat. La somme paraît d’autant plus dérisoire que, selon les syndicats, la direction avait distribué jusqu’à 750 000 euros aux salariés n’ayant pas de part variable en 2021, contre 500 000 euros cette année. « Ils trouvent de l’argent pour certains, mais pour nous, il n’y a que des miettes », déplore-t-il.
La question de l’avenir
Outre la question des primes, les salariés expriment une inquiétude croissante concernant l’avenir de leurs emplois. Le rachat par EDF avait suscité de grands espoirs, mais « le changement d’actionnariat ne s’est pas traduit par une impulsion forte », regrette les délégués syndicaux. « Nous attendons toujours des engagements clairs sur la charge de travail, les carnets de commandes et le maintien des compétences. »
La situation semble particulièrement préoccupante dans les ateliers de fabrication d’alternateurs, où les équipes de nuit et du week-end ont été supprimées depuis le début du mois, explique Brahim Chekouat. « Nous n’avons aucune visibilité avant septembre prochain. Cela ne rassure personne », ajoute-t-il. Brahim Chekouat témoigne également de la difficulté à former les nouveaux arrivants : « Nos métiers sont complexes, il faut cinq à sept ans d’ancienneté pour être pleinement autonome. Mais aujourd’hui, on forme des jeunes qui partent aussitôt. Les intérimaires sont remerciés. C’est décourageant. »
Pour Laurent Santoire, la situation n’est pas alarmante pour les contrats à venir. « Il y a de la charge. Mais dans nos métiers, la charge de travail est cyclique et nous sommes dans une période basse. Cependant, c’est normal que cela inquiète et que les salariés se questionnent. »
Pour le moment, les syndicats, y compris la CFE-CGC et la CFDT, sont unanimes dans leur rejet de cette offre de prime PPV, qualifiée « d’insupportable » . « La direction reste muette sur nos revendications », souligne Laurent Santoire. Au mois d’avril, lors du passage sous giron français, la CGT a demandé une prime équitable pour tous de 3 000 euros chargé. « Depuis, on a peu de son et d’image. On a demandé à rencontrer le p-dg début septembre, nous sommes sans réponse », poursuit-il. « Pour qu’il y ait un dialogue, il faut être deux. Nous, les organisations syndicales et les salariés, nous sommes là. En face, il n’y a que le vide. »
Interruption de CSE
Les salariés dénoncent également le manque de soutien d’EDF, leur nouveau propriétaire, et la lenteur des décisions. « Il y a eu un temps de latence après le rachat, que nous comprenons, mais il aurait dû être anticipé », souligne Brahim Chekouat. « Aujourd’hui, la direction nous parle d’un système pérenne pour 2025 ou 2026, mais cela lui sert pour ne rien mettre en place pour 2024 », poursuit Laurent Santoire.
Ce jeudi, devant l’usine, ils étaient de nouveau une centaine à sortir des ateliers. Un chiffre loin d’être négligeable, car s’ils sont plus de 1 000 salariés sur le site de Belfort, ils sont environ 200 ouvriers dans l’atelier, dont une part importante d’intérimaires et de contrats d’apprentissage.
Le rassemblement a été important, et suivi : la CFE-CGC et la CFDT ont rejoint le mouvement. Et la CFE a impulsé un mouvement : aller au bâtiment 329 où se déroulait le comité social et économique central ce jeudi matin. « On y retrouve la direction monde, avec la directrice des ressources humaines. La direction française aussi avec la RH », explique Laurent Santoire, pour Arabelle Solutions. Les 93 salariés sont montés dans le bureau où se déroulait la réunion : ils ont obtenu d’avoir une réunion le lendemain, vendredi 27 septembre. Mais cela n’a pas suffit. Durant l’après-midi, ils ont réinterompu une autre réunion pour ne pas attendre d’avoir la négociation. L’issue de la discussion n’est pas encore connue. Si aucune solution n’est trouvée rapidement, la grève pourrait bien s’étendre dans les prochains jours.