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Jean Couturier, un Belfortain au débarquement du 6 juin 1944

Jean Couturier (4e en partant de la gauche) fait partie du commando Kieffer qui débarque le 6 juin 1944 devant Ouistreham. | ©Collection privée
Portrait
177 Français ont participé au débarquement le 6 juin 1944, à Sword Beach, en face de Ouistreham (Calvados). Ce sont les hommes du commando Kieffer. Un Belfortain, Jean Couturier, en faisait partie. Portrait.

« Passez les premiers, messieurs les Français ! » Les mots sont signés du colonel Dawson, un Britannique qui commandait le n°4 Commando, auquel est rattaché le 1er bataillon de fusiliers marins commando, plus connu sous le nom de commando Kieffer. Les quatorze barges de débarquement de cette unité d’élite s’approchent des côtes françaises, en ce matin du 6 juin 1944. Il est 7 h 25. L’officier anglais « sait combien cet instant est important pour ses camarades [français] », indique le livre édité en 2021, Hommage à Jean Couturier, héros belfortain du Jour J, et qui raconte l’histoire du Belfortain Jean Couturier ; la Ville de Belfort lui a rendu hommage en apposant une plaque commémorative sur l’ancien hôtel du Gouverneur, place de l’Arsenal.

Le Belfortain Jean Couturier appartient au commando Kieffer, composé de 177 hommes. Ce sont les seuls Français parmi les 132 715 alliés qui débarquent sur les plages de la Manche et du Calvados, le 6 juin 1944. « Les bérets verts s’élancent sur la plage sous le feu des mitrailleuses et des mortiers, leurs sacs de 40 kg sur le dos, alourdis par l’eau qui trempe et le sable qui s’y colle », replace Benjamin Massieu, historien, spécialiste du commando Kieffer, cité dans le livre.

Les barges libèrent le commando à 7 h 55. « À peine sorti de mon LCI (landing craft infantry, un bateau de débarquement, NDLR), j’ai couru aussi vite que j’ai pu le faire, notre premier objectif était de nous mettre à couvert, se souvient Jean Couturier, cité dans le livre. Je n’ai pas prêté attention à ce qui pouvait se passer autour de moi, j’ai couru, de manière presque machinale. L’instinct de survie, sans doute. » Son unité combattait sous les ordres de Lord Lovat, rendu célèbre dans le film Le Jour le plus long par la présence de son joueur de cornemuse, Bille Millin. « Il [était] devenu le point de repère des commandos », raconte même Jean Couturier, qui officiait comme opérateur radio du lieutenant Alexandre Lofi. « Mais je crois que notre rage et notre cœur ont fait la différence », commente le soldat, dont le badge commando portait le n°155. « Rien ne nous arrêtait plus, nous étions chez nous. » Les combats sont rudes dans le cœur de Ouistreham. La partie du livre retraçant la vie de Jean Couturier a été écrite par sa petite-fille Fanny Couturier, professeure de lettres classiques, et Hugues Scholtes, professeur d’histoire-géographie.

Jean Couturier (4e en partant de la gauche) fait partie du commando Kieffer qui débarque le 6 juin 1944 devant Ouistreham. | ©Collection privée

Jean Couturier sera gravement blessé quelques heures après avoir débarqué, alors qu’il participait à la prise du dernier blockhaus de la plage. Il est touché par les éclats d’un obus de mortier, indique l’ouvrage, au thorax et aux cuisses. Il est rapatrié en Angleterre. Le commando a perdu 66 hommes le jour J, dont 10 tués.

Une formation extrême

Jean Couturier a quitté Belfort en 1938. Il s’engage alors dans la Marine nationale, en intégrant l’école des Mousses à Brest (Finistère). Il a alors 15 ans. Lors de la déclaration de guerre, il est affecté sur le contre-torpilleur L’Adroit et participe à l’acheminement de troupes en Norvège, où les alliés enregistrent leur première victoire, à Narvik. À Dunkerque, il participe à l’évacuation des troupes britanniques, en mai 1940. Son bateau est coulé. Après une heure trente dans l’eau et le mazout, il est récupéré par une vedette et transporté à l’hôpital de Cherbourg. Il file ensuite à Lorient (Morbihan) puis Toulon (Var), où il est affecté sur le croiseur Algérie. Il entre ensuite à l’école des sous-mariniers et sert sur le Casabianca de 1942 au 29 mai 1943.

Alors que les forces allemandes envahissent la zone sud, le 27 novembre 1942, à la suite du débarquement des Alliés en Afrique du Nord, une partie de la flotte française se saborde à Toulon. Le sous-marin Casabianca décide, lui, de rejoindre Alger. C’est une traversée périlleuse, car il est l’ennemi de tous : des Allemands et des Alliés dont il n’a pas les codes d’identification. Au mois de mai 1943, Jean Couturier décide de rejoindre De Gaulle en Angleterre. Il arrive à Liverpool fin juillet. Il tente d’abord sa chance auprès des forces spéciales britanniques (SAS). Il obtient son brevet de parachutiste, mais est recalé pour avoir révélé une vieille fracture, contractée enfant. Il se tourne vers les forces navales françaises libres et intègre le 1er bataillon de fusiliers marins commando dirigé par le lieutenant de vaisseau Philippe Kieffer. Il rejoint un centre de formation à Wrexham, au Pays de Galle. « La formation est intense, et pendant huit semaines, chacun de ses hommes y voit ses limites repoussées », écrivent Fanny Couturier et Hugues Scholtes. Entraînements à tirs réels, marches rapides de 11 km en moins d’une heure, combats rapprochés… La formation est terrible. Les conditions, extrêmes. Une exigence de la formation poussée à son paroxysme, comme l’a si bien raconté L’Équipe dans son article « Le commando Kieffer, ces 177 sportifs de l’extrême ». « J’ai appris à lutter contre la faim, à ne pas dormir, à endurer les exercices les plus pénibles », raconte-t-il a posteriori. Et d’ajouter : « Oui, cela était très dur, mais indispensable. »

Jean Couturier rentre à Belfort début septembre 1945. Il est démobilisé début 1946. À son retour, il découvre que sa grand-mère maternelle a été arrêtée et déportée à Ravensbrück, où elle meurt. Son père a été interné à Dachau avant d’être libéré au bout de 14 mois. Ces arrestations résultent de « dénonciation anonyme » indique l’ouvrage. « L’atmosphère [à mon retour] était celle d’un pays déchiré, qui devait se reconstruire avec toutes les séquelles que l’on imagine, confia Jean Couturier, divisé entre les pétainistes, les gaullistes, les communistes. » Il raconte comment on séparait les Gaullistes des autres, pourquoi leur ration était divisée par deux. « Pourquoi ? Parce que justement nous étions des Français libres. »

Il repris son poste de monteur électricien à Alsthom, jusqu’en 1968. Il travailla ensuite à l’étranger, avant de s’installer à La Réunion. Il s’est éteint le 12 juillet 2006. Ses cendres ont été dispersées en mer le 6 juin 2007, devant Ouistreham, « pour qu’à tout jamais le mouvement des vagues les rejette inlassablement sur ce sable qu’il a foulé », écrivent les auteurs du livre. C’était sa volonté.

  • Hommage à Jean Couturier, héros belfortain du Jour J. Épuisé. Livre soutenu par le ministère des Armées, la Marine nationale, la Ville de Belfort, Lisi, dont le directeur général, Emmanuel Viellard (badge commando n°6443), a été commando de marine, la délégation militaire départementale du Territoire de Belfort ou encore l’amicale des fusiliers marins et commandos, représentée à Belfort par Jacques Renard, commando de marine, badge n°1552. Projet coordonnée par Xavier Greffoz, alliant l’ouvrage, les Cadets de la défense et l’inauguration de la plaque commémorative.

La mémoire paradoxale du commando Kieffer

Après la guerre, les exploits du commando ne sont pas aussi commémorés qu’aujourd’hui. Ils ne sont pas érigés à l’état de mythe, comme ils le sont à présent. « [L’unité] fait (…) les frais d’une politique mémorielle voulue par le général De Gaulle qui choisit de ne pas commémorer le débarquement en Normandie (considéré comme une opération des Anglo-Saxons), au bénéfice d’opérations où le rôle des Français a été plus déterminant (libération de Paris, débarquement de Provence, ect.) », indique Benjamin Massieu. Cela change avec François Mitterrand, qui organise les premières grandes cérémonies commémoratives de l’opération Overlord en 1984. « Personne du commando Kieffer n’aurait pensé que l’histoire se souviendrait de nous. Nous avons simplement fait ce que l’on attendait de nous, nous avons fait notre devoir de combattant », disait simplement Jean Couturier. Aujourd’hui, le commando symbolise « une France sauvant son honneur en se libérant elle-même par l’intermédiaire de quelques-uns de ses fils », écrit Benjamin Massieu.

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