Daniel Feurtey feuillette le catalogue de l’exposition qu’il a lui-même conçue pour les cent ans du Territoire de Belfort, au milieu du hall de l’hôtel du Département. Les murs ont été recouverts de pancartes, en noir et blanc, retraçant l’histoire des maires en 1922 et durant leur mandat. L’an passé, l’ancien maire de Danjoutin durant dix-neuf années, qui a rendu l’écharpe en 2020, cherche avec l’association des anciens maires à apporter sa contribution aux centenaires. Il repense aux années 80. Et à ce manuscrit qu’il a tapé intégralement pour le compte de Lucien Renoud, écrivain-paysan, et aux nombreuses anecdotes qu’il en a tirées sur les maires du département du Territoire de Belfort. Bingo, l’idée est là. En l’espace de huit mois, il monte une exposition sur tous les maires à la tête des communes en 2022. Avec amusement, il montre du bout du doigt la commune de Trétudans. Et juste au-dessus, celle de Vourvenans. Cela n’évoque peut-être pas grand-chose aux jeunes générations. Puisque les deux communes ont fusionné entretemps pour devenir Trevenans. Des découvertes, il a eu l’occasion d’en faire plus d’une avec ce travail d’historien. Déjà, sur les communes. « J’ai découvert qu’en 1922, les communes étaient presque toutes reliées entre elles par le train entre Belfort et Réchésy. Il y avait 28 km de rail. On n’aurait jamais dû arracher tout ça », s’amuse-t-il. Aussi, il pointe que déjà en 1922, la plupart des communes étaient très industrialisées. Et non pas rurales, comme il le pensait. Il pense à Étueffont, ou encore Auxelles, où l’on retrouve beaucoup de traces de l’industrie de la filature. Il en apprend aussi sur l’âge des maires : la plupart étaient encore en activité (95%), contrairement à aujourd’hui, où 48% des maires sont déjà retraités. « 80% d’entre eux travaillaient dans le milieu agricole.»
Il a également retrouvé, raconte-t-il, très amusé, le premier maire socialiste du Territoire de Belfort. Et il se trouve à Bavilliers. « Auguste Behr a été le premier socialiste du département. Il était d’ailleurs responsable de la fédération socialiste du Haut-Rhin.» Et a découvert que le maire de Belfort,Noël Lapostolest, était le premier à diffuser publiquement le bilan de son mandat municipal.
Charlotte de Turckheim, Charles de Gaulle et Clémenceau
Pour retracer le parcours de tous ces hommes, Daniel Feurtey a dû user de malice. Consulter les archives départementales. Sur place, mais aussi en version numérique. Les archives nationales. Les arbres généalogiques quand ils étaient publics. Il a aussi dû contacter des institutions, des petits-fils et des petites-filles, pour trouver des traces de certains maires plus discrets que d’autres. Il observe avec une certaine pudeur son travail. « Quand je ne trouvais pas les photos, j’ai mis les signatures des maires. Je trouvais que c’était un beau moyen de les représenter », narre-t-il avec douceur, le sourire aux lèvres. Grâce au recensement cette année-là, il a pu retrouver toutes les signatures,sauf une : celle du maire de Châtenois.
Des anecdotes, il en a des dizaines à raconter. Plus même. Et toutes valent d’être racontées. Parmi les plus improbables, on pense à celle survenue à Villars-le-Sec lorsque Louis Bidaux était maire, en 1922. « Lors d’une visite officielle, Clémenceau a demandé au maire où est-ce qu’il pouvait se restaurer. Louis Bidaux lui a proposé sur le tas de venir manger à la maison. Sa femme lui a préparé une choucroute.» Cette anecdote, Daniel Feurtey la tient du fils de Louis, Maurice, qu’il connaît bien. On pense aussi à celle d’Auguste Perros, maire de Felon et meunier. Dans les années 50, il vend son moulin à Raymond Schmittlein, député RPF du Territoire de Belfort, qui fait venir son cher ami Charles de Gaulle à venir le visiter dans sa nouvelle bâtisse.
Il a parfois fait des découvertes par le biais des arbres généalogiques. Comme avec le maire de Montbouton, Pierre Japy, qui épousa dans les années 20 une fille Boigeol (de la famille Peugeot). « Figurez-vous qu’en consultant l’arbre généalogique, j’ai découvert qu’on trouvait au bout de l’arbre l’actrice Charlotte de Turckheim », raconte Daniel Feurtey,amusé.
Il a évidemment fait des recherches sur sa commune de cœur, Danjoutin. Et a trouvé une belle pépite. Le maire en 1922, Frédéric Adolphe Stein, a signé le premier contrat pour réaliser le câblage de l’ascenseur de la Tour Eiffel. Il s’est d’ailleurs également trouvé des similitudes avec ce maire, un peu moins de cent ans avant lui. Leur amour pour les courses qu’ils ont tous deux mises à l’honneur dans la commune, mais aussi la pratique de la gymnastique. Ou encore leur fervente défense des lignes de train. « Il a avec ferveur défendu la nécessité d’une gare de triage à son époque. Comme j’ai pu le faire pour la ligne Belfort-Delle », rapporte l’ancien maire, un peu ému de toutes ses découvertes qui relient les deux époques.
Depuis qu’il a démarré ces recherches, il en apprend chaque jour. « L’exposition a d’ailleurs vocation à être évolutive. On me rapporte souvent de nouvelles choses et on m’en rapportera encore pendant l’exposition, j’en suis sûr.» D’ailleurs, elle sera inaugurée ce jeudi 15 décembre, en sa présence à 17h. Et sera exposée dans le hall du Département jusqu’au 5 janvier. Par la suite, il compte bien imprimer avec l’association des maires un catalogue de l’exposition, diffusé dans chaque commune et dans des médiathèques pour transmettre le savoir qu’il a acquis sur ces communes. Curieux, foncez. « Le but est que chacun puisse venir piocher et consulter l’histoire de sa commune, ou de celle de ses proches », conclut Daniel Feurtey.
Exposition visible dans le hall du Département du Territoire de Belfort tous les jours jusqu’au 5 janvier. Inauguration jeudi 15 décembre. à 17h.