Comment est né le projet ?
À la période du hashtag #Musictoo (l’expression renvoie au mouvement MeToo, qui tend à dénoncer les agressions sexuelles que peuvent subir les femmes, ndlr), j’ai reconnu dans un article un nom que nous avions déjà accueilli à La Poudrière. Je me suis dit que les agissements et violences sexistes et sexuelles arrivaient partout. Et tout le temps. Alors, pendant le Covid, nous avons eu de nombreuses formations sur ces questions. Cette période a été l’occasion de se remettre en question. Sur une année normale, nous n’avons jamais le temps de nous poser pour réfléchir à tout cela.
Qu’ont permis ces temps de réflexion, de formations, d’échanges ?
Nous avions été intégrés à des réflexions sur l’égalité menées par le Bastion à Besançon (une association et un lieu dédié aux musiques actuelles, ndlr). L’association a organisé une tournée de l’égalité et c’est à cette occasion que nous avons mené une première enquête avec une question principale « Qu’est ce que c’est d’être artiste en 2021/2022 ? ». L’idée était de questionner des musiciennes et des personnes issues des minorités de genre pour comprendre ce qu’elles vivaient. Cela a permis de questionner des femmes de plusieurs milieux, structures. Puis, nous avons fait une restitution publique pendant la tournée de l’égalité.
Il y a ensuite eu une deuxième enquête. Pourquoi ?
Nous avons voulu aller plus loin. Celle-ci était plutôt tournée sur « les situations embarrassantes » qu’ont pu vivre des artistes, des musiciennes. Ce terme (situation embarrassante) permettait de ne pas trop guider et de voir ce qui allait ressortir.Le questionnaire a été envoyé au niveau national. Nous avons eu une centaine de réponses avec une grosse partie dans le quart nord-est de la France. Et la conclusion…. C’est qu’il y a encore du boulot. Même… beaucoup de boulot au sujet des agissements déplacés, sexistes et des violences sexistes et sexuelles. Et pas que dans les salles de concerts. Nous avons lu des témoignages de jeunes en formation lors de cours qui nous ont glacé le sang. On voit que chaque typologie est concernée : artistes, public, techniciens. Beaucoup de monde est problématique.
Qu’avez-vous fait de ces témoignages ?
Il n’a pas été question de faire des statistiques. Déjà, parce que nous n’avions pas assez de réponses pour que cela soit représentatif. Ensuite, nous ne sommes pas sociologues. Alors, nous nous sommes concentrés sur le verbatim. Car il est fort. Dans les témoignages que nous avons recensés, on voit que certaines choses reviennent dans le milieu de la musique. Il y a un système dominant/dominé. Aussi, nous avons pu lire de nombreux témoignages qui nous font dire que dès qu’il y a du pouvoir, les abus sont facilités. Il y a aussi des problèmes à résoudre dans nos publics : beaucoup de témoignages recensent des actes dans les foules de salle de concert, où les lâchetés sont facilitées là aussi.
Et puis, vous avez décidé de mettre en valeur tous ces témoignages. À quel moment avez-vous eu l’idée d’une exposition ?
L’exposition est née un petit peu plus tard. J’ai été très en colère de ce que j’ai pu lire et je voulais que d’autres personnes puissent ressentir la même chose. Mettre en exergue ces agissements inacceptables. Faire émerger une prise de conscience. Pour agir et ne plus cacher. Montrer que ça existe chez nous aussi. Pour cela, l’exposition sera immersive, sonore et visuelle. Des témoignages vont tourner en boucle pour prendre conscience de la répétition des réflexions que peuvent subir les femmes et les minorités de genre partout et tout le temps. Tout sera basé sur les témoignages. Plusieurs personnes sont venues prêter leurs voix pour anonymiser les témoignages. Nous avons aussi eu des hommes, qui ont parfois été mal à l’aise de lire certaines phrases. Mais cela les rend aussi plus attentifs pour l’avenir. Il y aura plusieurs lieux dans la salle pour cette exposition : la billetterie, la salle, la scène, la loge, car les violences peuvent avoir lieu partout. Cette expo, pour nous, c’est dire : on ne veut plus de ça. On a envie d’être plus intransigeant.
Allez-vous tirer des enseignements de cette enquête, de cette exposition, au sein de la Poudrière ?
La première chose, c’est la mise en place prochainement d’un protocole et d’une formation de l’équipe pour identifier et savoir réagir face au harcèlement, aux violences sexistes et sexuelles. Nous mettons aussi un point d’honneur à croire les victimes, toujours. Et à les accompagner, s’il y a des problèmes au sein de notre structure, jusqu’au dépôt de plainte. Que ce soit à La Poudrière ou au Rockhatry. On essaie aussi dans nos actions culturelles de veiller à proposer plus de visages féminins. Je présente chaque métier au féminin et au masculin. On travaille pour une programmation qui met plus en valeur les projets féminins et des minorités de genre.
Exposition gratuite à découvrir mercredi 11 octobre et jeudi 12 octobre de 17h30 à 20h. Non recommandé pour les mineurs en dessous de 15 ans.