Fin mai, un lieu culturel important a ouvert à Audincourt. La donation Patt. Mais avant d’y pénétrer, il faut déjà s’immiscer dans l’histoire de cette donation. Cette histoire, c’est celle d’Andrée, institutrice, et Gérard, ouvrier, qui ont mené une vie discrète à Botans, un petit village du Territoire de Belfort. Rien n’a prédestiné ce couple, sans héritiers, à devenir des collectionneurs d’art. Leur passion pour l’art contemporain est née tardivement, mais elle a rapidement pris une place centrale dans leur existence. Gérard, ancien ouvrier chez Alsthom, puis ajusteur dans un établissement militaire, a su investir habilement en bourse pour financer leur passion commune.
Tout a commencé en 2002 avec l’acquisition d’une œuvre de Di Concetto, le “Cadran scolaire”. Ce premier achat a marqué le début d’une collection impressionnante qui, au fil des ans, a littéralement englouti leur maison, du salon, en passant par la salle de bain, aux toilettes, à la cuisine. Pour faire face à l’afflux de tableaux, de sculptures, et de lithographies, le couple a dû agrandir leur modeste demeure de 88 m², ajoutant un studio pour stocker les œuvres. Au fil du temps, ils ont sacrifié leur confort personnel, vendant même leur voiture pour acquérir des pièces maîtresses comme celles de Lucio Fontana.
Le château Peugeot comme gardien
Et puis un jour, le couple a décidé de trouver un nouvel écrin pour toutes ces oeuvres. Non pas pour arrêter de collectionner, mais aussi et surtout pour racheter de nouvelles pépites. Il a fallu chercher, proposer à plusieurs villes, jusqu’à trouver une entente… avec Audincourt. Et le lieu vaut le détour. Au milieu d’un parc arboré, duquel, sur le flanc, coule le Doubs, le château s’érige comme un édifice bourgeois classieux. Aucune nuisance sonore ne vient perturber le calme de l’endroit, pourtant ancré dans le centre-ville. À l’entrée du château, on aperçoit encore dans la ferronnerie d’art des portes de la bâtisse l’initiale BP. BP… Pour Benjamin Peugeot. Le bâtiment a été édifié au début des années 1880 pour l’industriel. Puis, il a trouvé une nouvelle vocation en 1998 lorsqu’il est devenu un centre dédié à l’art, notamment à la bande dessinée.
En 2024, il devient le gardien de la collection Patt, après une réhabilitation complète ayant nécessité plus de 500 000 euros de travaux. Tout a été refait, des parquets, aux plafonds. Tout en conservant son charme d’antan. Cette bâtisse de 568 m², comprenant 12 salles d’exposition, abrite désormais près de 150 œuvres, offrant aux visiteurs un voyage à travers l’art contemporain.
Sous la direction de Maude Clément, ancienne responsable au FRAC, la donation ne se contente pas d’exposer des œuvres. L’objectif est de rendre l’art accessible à tous et de perpétuer l’héritage culturel des Patt. Malgré les défis liés à la conservation des œuvres, certaines ayant été abîmées par le temps ou une exposition excessive au soleil, Maude Clément va devoir veiller, à partir du 13 septembre, jour de réouverture, à ce que chaque visite soit riche en informations.
Avec des classes, sur place, elle souhaite non seulement présenter les œuvres, mais aussi enseigner comment les appréhender, comment pénétrer leur univers, et comprendre leur signification profonde. Ce travail pédagogique, tout comme la mise en place d’un fonds documentaire exhaustif sur chaque pièce, va représenter une grosse partie du travail à venir pour les prochaines années. « C’est un travail titanesque », commente Maude Clément lors d’une visite privée de l’édifice, ce mois d’août 2024. Notamment pour donner une pertinence à la collection, un liant, « alors que les collectionneurs, eux, ont acheté au coup de coeur ». Il a d’ailleurs été parfois difficile de créer de la cohérence entre les salles, créer un parcours de visite. Comment lier l’histoire de ses oeuvres ? Toutes sont contemporaines, certaines se répondent. Mais elles ne sont pas là pour faire corps.
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Une collection hétéroclite
Parmi les trésors exposés, on retrouve des pièces d’artistes de renommée internationale tels que Robert Combas, Hervé Di Rosa, Salvador Dali, Lucio Fontana, et Jean Messagier. La collection est hétéroclite, témoignant des coups de cœur du couple Patt, avec des œuvres qui vont de l’abstraction au pop art, en passant par le street-art et des sculptures monumentales.
Pendant cette visite, les coups de coeur se mélangent et certaines oeuvres frappent, au rez-de-chaussée. Les bronzes de Dali. Les Roger Muhl. Des visages, monumentales, de Philippe Pasqua. Au premier étage de l’édifice, où une immense baie vitrée pose d’ailleurs problème pour la conservation des oeuvres, une autre atmosphère se dégage sous nos yeux ébahis. Du street-art, du pop art, du monumental, de la couleur, des crânes fleuris d’où sortent des yeux des serpents et des escargots. Du Saype, dans ses premières créations avant de se lancer dans la nature. Des oeuvre de Combas, qui est l’initiateur, avec Hervé Di Rosa, du mouvement artistique de la figuration libre. Et on remarque, tout au long de la visite et avec un oeil avisé, un fil rouge, celui de l’érotisme, omniprésent dans cette collection unique.
Loin de se figer dans le temps, la collection Patt au Château Peugeot est destinée à évoluer. Des expositions temporaires sont envisagées et d’autres oeuvres sont encore en réserve. Avec cette diversité, la donation espère attirer un public toujours plus large, venant de toute la région et au-delà.
Le défi est désormais de maintenir cette collection vivante, de lui donner une cohérence artistique tout en respectant les choix éclectiques du couple. « C’est un monde créé par des collectionneurs passionnés, un monde disparate et électrique, un monde coloré, parfois tourmenté », lit-on sur les murs de la grande demeure, en sortant.
Réouverture le 13 septembre. 3 euros pour les plus de 12 ans. Ouvert les mardis lors des visites l’office du utourisme, les vendredi et samedi de 15h à 18h et les dimanche de 14h à 18h
