Kem Lalot, depuis vingt-trois ans, parcourt le monde, chaque année, pour aller trouver des perles, dénicher les jeunes pousses, confirmer les grandes têtes d’affiche qui feront la programmation des Eurockéennes. Il gère les négociations, fait de la promotion, s’occupe des contrats. Autant pour le festival des Eurockéennes de Belfort que pour l’édition des Résidences secondaires. Le Trois lui a posé quelques questions pour mieux comprendre ce rôle.
Comment fais-tu, chaque année depuis 2001, pour te renouveler, aller dénicher de nouveaux talents ?
Kem – Il faut être passionné. Avoir de la curiosité. Se tenir au courant des phénomènes, et ne pas se limiter simplement aux Etats-Unis. Par exemple, pour cette édition, je suis parti au Chili. J’y ai découvert le style du Neo Perreo. J’ai ramené des artistes de là-bas, qui joueront samedi. Quatre artistes vont jouer. Deux du Chili, une d’Argentine et un collectif de DJ français associé à ce style de musique qui commence à faire ces soirées ici, tout doucement, en Europe. C’est un phénomène vraiment intéressant : c’est une sorte de reggaeton accéléré, fait par des femmes, avec des paroles très crues, qui en avaient marre des matchos de la scène reggaeton et qui voulaient simplement leur dire « Laissez-nous faire ce qu’on veut de notre corps, et (entre guillemets) allez vous faire foutre. » Elles se sont imposées et cela m’a paru intéressant de les présenter aux Eurocks.
Combien de concerts, festivals, fais-tu dans l’année pour construire ta programmation ?
Oh ! Je ne les compte pas! Mais j’ai levé le pied les dernières années, même si je conserve un rythme soutenu. En fait, je fais de moins en moins de concerts et de plus en plus de festivals, ce qui me permet de voir beaucoup de choses en une fois. Des festivals de show-case, où je vais découvrir les artistes. Les groupes y jouent trente minutes, ce qui te permet de voir ce qu’ils valent. Je vais voir aussi les grosses têtes d’affiche pour voir si leur show tient la route. Et je vadrouille en Angleterre, car beaucoup de choses se passent là-bas. En fait, je fouine (rires).
As-tu des lieux incontournables où tu te rends chaque année ?
Je vais à l’Eurosonic en Hollande chaque année; c’est un festival d’où je ramène toujours des artistes. Je vais aussi à l’IFF en Angleterre (international festival forum). C’est un festival pour les professionnels où ils présentent leurs nouveaux poulains. J’en repère quelques-uns là-bas. Je passe aussi sur le trans’musical à Rennes, un festival avec une programmation très pointue. C’est un passage obligé. Avant, j’allais aussi très régulièrement à Austin, mais plus depuis 2019: le festival arrive trop tard pour rentrer dans la programmation.
Et que fais-tu pendant le festival ?
Normalement…. Je peux être tranquille. Je fais beaucoup de promotion du festival. J’essaye de dire bonjour à tout le monde, notamment aux artistes. Mais pas trop non plus: je ne veux pas trop les déranger. Ce n’est pas dans mon habitude, je reste discret et pudique. Après, je peux répondre aux problèmes techniques qu’il peut y avoir, mais il y a quand même pas mal de personnes autour de moi qui peuvent faire tampon. Si je dois bosser, c’est parce qu’il y a un problème technique. Si ça revient vers moi, en fait… c’est qu’il y a – vraiment – un très gros problème !
As-tu été particulièrement fier d’un artiste programmé, d’un festival en particulier au cours de ta carrière ?
Des artistes dont je suis fier, il y en a eu beaucoup, mais je pense particulièrement à Amy Winehouse, en 2007. C’était son seul concert en festival qu’elle a fait en France. C’était encore une bonne période pour elle. Quant à une grande édition que j’ai programmée, je pense à celle de 2006. Il y a eu un alignement des planètes qui a fait que la programmation a été assez ouf, avec notamment Daft Punk en exclusivité, Muse, Dépêche Mode. C’était aussi dans les premiers concerts d’Artic Monkeys. Et de ceux en Europe de Gossip. Il y avait eu aussi une composition avec Dionysos et un orchestre symphonique qu’on avait mis deux ans à monter… C’était géant!
A l’inverse, as-tu eu une édition où tu as été déçu de ta programmation ?
Oui, c’est arrivé. Chaque année, ça passe ou ça casse. L’année 2010, ça n’a pas fonctionné. C’était compliqué, les gens n’ont pas compris la programmation. Ils l’ont boudée. C’était pas simple, mais ça nous a permis de nous remettre en question. De nous renouveler. De ne pas nous reposer sur nos lauriers.
As-tu des conseils pour un programmateur en devenir ?
Il faut avoir de la curiosité. Un bon carnet d’adresses. Et surtout, pour être programmateur, il faut avoir les nerfs bien accrochés ! C’est un métier plein de rebondissements; c’est loin d’être un long fleuve tranquille. Mais pour moi, c’est toujours autant un plaisir, et j’espère faire ce métier encore très longtemps. Normalement, j’en ai encore pour quelques années, si je ne suis pas trop largué d’ici là (rires).