La 36e édition du festival international Entrevues se termine ce dimanche 28 novembre. Ce vendredi, il a proposé une table ronde autour du retour difficile dans les salles sombres du public. Une période délicate qui cache une véritable crise du cinéma indépendant français. Les films sont de moins en moins visibles. Et la crise sanitaire a accéléré le mouvement.
La 36e édition du festival international Entrevues, porté par Cinéma d’aujourd’hui (notre article), se termine ce dimanche 28 novembre. Ce vendredi, il a proposé une table ronde autour du retour difficile dans les salles sombres du public. Une période délicate qui cache une véritable crise du cinéma indépendant français. Les films sont de moins en moins visibles. Et la crise sanitaire a accéléré le mouvement.
Un chiffre résume l’ampleur de la situation. 20 % des films se partagent 68 % des séances. Cela veut surtout dire que 80 % des films se partagent 32 % des séances… Le déséquilibre est abyssal. Dans ce paysage du cinéma, les grosses productions qui usent de ressorts marketing et imposent leurs conditions de diffusion aux exploitants se taillent la part du lion. Les autres sont réduits à la portion congrue. Cet automne, Universal a par exemple présenté huit films en neuf semaines. Sans diminuer ses exigences de diffusion. Les places sont chères, ensuite, dans les 2 041 établissements de France, comptabilisant au total 6 127 écrans, selon le centre national du cinéma et de l’image animée (CNC).
Après près de 300 jours de fermeture des suites de la crise sanitaire, les cinémas veulent remplir leurs salles. D’autant plus que le retour est timide. « On évoque une baisse de 30 % des fréquentations », précise Pauline Ginot, animatrice de la table ronde et déléguée générale d’Acid, une association de cinéastes née en 1992 et qui s’empare des problématiques de diffusion. Mais « il y a de grandes disparités », tempère de suite la spécialiste. On évoque une chute de 22 % pour les majors américains et des dégringolades pouvant atteindre 80 % pour des films indépendants. « La tentation est grande d’aller vers ce qui marche », analyse Arlène Groffe, secrétaire du groupement national du cinéma de recherche (GNCR) et programmatrice du Ciné 104 à Pantin, un cinéma municipal d’arts et d’essais. Ces derniers résistent, relève-t-elle, notamment ceux qui proposent des rencontres avec les réalisateurs. « On n’a pas ça sur Netflix », sourit-elle. Elle invite surtout les cinémas à faire des choix. À les assumer. Et à ne pas forcément reproduire ce que fait le voisin.
« Pas de séances, pas de publics »
On pourrait observer ces données comme un désaveu du cinéma indépendant. Mais l’été 2020, entre les deux confinements, propose une autre réalité. Les films indépendants ont très bien marchés. « On a presqu’eu le sentiment de films qui sur-performent », observe Stéphane Auclaire d’UFO distribution, qui diffuse par exemple Quentin Dupieux. Quelle était la particularité ? L’absence de blockbusters américains. « J’ai vu ce que c’était d’avoir de la place », poursuit le diffuseur. « Si on donne de la place, il se passe quelque chose », enchaîne Stéphane Auclaire. De fait, la question qui se cache derrière cette crise du cinéma français, c’est celle de la visibilité des films et du partage de l’écran. « Pas de séances, pas de publics », résume Pauline Ginot. La déléguée générale d’Acid de rappeler : « En 2019, 75 % des succès au Box-Office (Top 20) sont des suites, des remakes ou des Reboots. Il n’y avait que 4 créations originales. » Et la tendance ne fait que s’accentuer depuis quelques années. Sans séance, pas de public. Pas de public, pas de box-office. La sentence est terrible.
La visibilité ne s’arrête pas qu’à la programmation des films. Il y a aussi la promotion. Pour que le public vienne, il faut qu’il connaisse les propositions. Cette promotion est chère. Pour exister sur Allo Ciné, il faut payer rappelle Pauline Ginot. La numérisation du cinéma et les réseaux sociaux ont accentué la dynamique. Dans ce panorama, des « logiques industrielles » s’opposent à des logiques « d’intérêt général », estime-t-elle. Son association, Acid, accompagne une vingtaine de films par an, ne dépassant pas les 2,5 millions d’euros de budget et tournant souvent autour des 400 000 euros. À titre de comparaison, le dernier opus de James Bond, Mourir peut attendre, a coûté 216 millions d’euros.
Cette difficulté d’être visible a été particulièrement criante lors du second déconfinement, au printemps 2021. On estime à près de 400 les films prêts à sortir à cette période. On évoque alors « un mur de films ». La profession a bien tenté de s’organiser en amont pour éviter « l’embouteillage ». Mais dès que les cinémas ont rouvert, le 19 mai, chacun a joué sa partition. « Et qui s’est fait marginaliser ? Ce sont nos films », déplore Pauline Ginot. Le risque, in fine : créer un cercle vicieux. En étant moins visibles, les films indépendants attireront moins de publics. On leur donnera alors moins de visibilité… Une mécanique infernale s’enclenche.
« Une industrie du prototype »
Dans cette réalité, les intervenants de la table ronde s’étonnent de l’absence de soutien des pouvoirs publics. Pis, de l’absence de politiques publiques. « On n’a rien demandé aux salles de cinéma en défense de la diversité », s’étonne la cinéaste Axelle Ropert. « Les aides n’étaient pas conditionnées, abonde Pauline Ginot. Il n’y a pas eu de contreparties pour la diversité. » Le Gouvernement a « une responsabilité flagrante », estime-t-elle. Des choix politiques ont été faits, mais pas en faveur du cinéma indépendant. Il existe pourtant des cercles vertueux dans cet univers. Des pourcentages sont prélevés sur les grosses productions et 5,5 % du prix de tous les billets de cinéma sont ponctionnés pour financer le centre national du cinéma (CNC), qui soutient ensuite la création et la diffusion. Mais aujourd’hui, la filière a besoin de régulation et de limites pour maintenir en vie tout un écosystème.
« Le cinéma est une industrie du prototype », rappelle Axelle Ropert. Il n’y a pas de recettes pour faire un film qui marche forcément. Le croire est une illusion. « On ne préjuge jamais du regard des gens », rappelle également Pauline Ginot qui évoque des publics et non pas un public. Comme elle le souligne, pour neuf films indépendants qui fonctionnent, il faut en faire 400. Pour avoir des Justine Triet, il faut « laisser la possibilité » au cinéma indépendant d’exister répète-t-elle. Et si une grande partie de la diversité n’est pas visible, ce n’est pas pour cela qu’elle doit mourir observe également Pauline Ginot.
Dans ce panorama sombre du cinéma indépendant, tous les acteurs sont pourtant conscients « que les gens veulent du cinéma », rappelle Stéphane Auclaire. En témoigne la fréquentation en 2019. 213,3 millions d’entrées ont été enregistrées en France. L’une des meilleures performances depuis les années 1960. La question demeure : que leur propose-t-on à l’écran ? « C’est une question de société, de démocratie, pour ouvrir le regard », estime finalement Pauline Ginot.