Angela Schnaebele – AFP
« Courbet, lettres cachées: histoire d’un trésor retrouvé », présente 38 des 116 lettres échangées de novembre 1872 à avril 1873 entre Gustave Courbet et la sulfureuse Mathilde Carly de Svazzema. « C’est un trésor caché que l’on offre, nous à Besançon, à la lecture de tous », annonce la maire écologiste de Besançon, Anne Vignot, émue de pouvoir « lever le voile sur la personnalité » d’un peintre majeur du XIXe siècle.
En novembre 2023, les bibliothécaires de cette ville découvraient par hasard une petite pile de lettres égarée dans le grenier de la Bibliothèque d’étude et de conservation. Ils venaient de retrouver la relation épistolaire érotique de Gustave Courbet (1819-1877) et d’une dame de la bonne société parisienne. Gardée pudiquement secrète de conservateur en conservateur en raison de son contenu explicite, cette correspondance s’était perdue, sombrant dans l’oubli.
"Obsession"
Les missives mises sous verre retracent la naissance, la vie et la fin de cette relation intense, riche en fantasmes et purement épistolaire, les deux amants ne s’étant finalement jamais rencontrés. De petites loupes sont mises à disposition des adultes pour déchiffrer les passages les plus osés, habilement dissimulés par les scénographes.
En 1872, c’est Mathilde Carly de Svazzema qui contacte initialement le peintre, puis l’appâte au fil des courriers. Il répond très vite à l’intrigante inconnue, lui demande de se décrire et d’envoyer son portrait. Réfugié dans sa ville natale d’Ornans (nord-est), à 15 km de Besançon, le chantre du réalisme traverse alors une période difficile.
Tout juste libéré après avoir été emprisonné pour son rôle durant la Commune de Paris, il est menacé de devoir restaurer à ses frais la colonne Vendôme, accusé d’avoir appelé à sa destruction. Il peine à peindre. Quinquagénaire, il se sent vieux, malade, sans avenir. « Il est très seul, Mathilde lui sert de soutien moral », analyse le bibliothécaire Pierre-Emmanuel Guilleray. Le peintre quinquagénaire se livre et détaille ses fantasmes les plus crus. Il nourrit une « obsession pour le sexe féminin, et pour celui de Mathilde », confie-t-il.
"Il enchantera mes rêves"
« Quand je te tiendrai mon chéri, sais-tu ce que je veux faire? Je veux faire un portrait scrupuleux de ton grand con dans sa couleur merveilleuse, je veux le faire sur un panneau qui doublera ma boîte de peinture, je l’aurai toujours avec moi, il enchantera mes rêves », confie ainsi Courbet à sa lectrice.
L’allusion à « L’Origine du monde », la toile représentant un sexe féminin qu’il a peinte en secret en 1866, est forte. Les amants épistolaires deviennent très proches, ils s’envoient « une centaine de lettres en six mois, quasiment une par jour, c’est frénétique », remarque Henry Ferreira-Lopez, directeur des bibliothèques municipales de Besançon. Mais malgré l’insistance de la jeune femme, il refuse qu’elle le rejoigne à Ornans, craignant sans doute le scandale.
La Parisienne se propose en intermédiaire pour la vente d’un de ses tableaux. Elle ne lui envoie jamais l’argent. La relation prend fin, Courbet réussit à récupérer les lettres qu’il avait envoyées. Elle ne lui écrira plus. Pour la maire de Besançon, « même si l’histoire se finit mal et que Mathilde a le mauvais rôle, c’est grâce à son audace qu’on en apprend plus sur l’intériorité de Courbet ».
« Courbet, lettres cachées: histoire d’un trésor retrouvé », jusqu’au 21 septembre à la Bibliothèque d’étude et de conservation de Besançon.