Jade Belleville
« La destruction de la bibliothèque municipale continue. » Voici les mots utilisés par le groupe d’opposition au conseil municipal de Belfort, En commun pour Belfort. Dans un communiqué de presse datant du 29 mai, le groupe dénonce la destruction de livres, à grande échelle, à la bibliothèque municipale Léon-Deubel. « Ce sont environ 35 000 documents qui seront détruits petit à petit », dénonce Mathilde Regnaud, militante du collectif et ancienne élue au conseil municipal (lire notre article). Selon le site Internet de la bibliothèque, celle-ci compte 210 822 livres, dont plus de 71 000 en accès libre, hors fonds patrimoniaux. Elle dispose aussi d’un fonds régional de 13860 documents dont 3093 sont en libre accès et empruntables.
L’insalubrité d’une partie de la réserve est le point de départ de ce projet. « Depuis la construction de la bibliothèque, il y a une malfaçon dans la dalle qui engendre des infiltrations », explique Mathilde Regnaud. Cette insalubrité est également constatée par Chantal*, employée de la bibliothèque. « Des déshumidificateurs d’air ont été mis en place de façon provisoire, explique-t-elle. Mais les champignons ont continué de se propager. » La réserve ne peut donc plus être utilisée pour ranger des ouvrages. Par conséquent, il y a une réduction des espaces de stockage. D’après des documents internes, consultés par Le Trois, un quart du sous-sol doit être évacué.
« C’est une destruction sournoise, s’agace Mathilde Regnaud. Sachant que la suppression de ces documents se fait dans les réserves, les Belfortains ne s’en rendent pas compte. » Même agacement de la part de Chantal : « Si un document est conservé dans la réserve, c’est qu’il est important. »
“Une grande partie sera vouée à la destruction”
De son côté, Damien Meslot, maire Les Républicains (LR) de Belfort, conteste la destruction des 35 000 documents. « Tous les ans, il est censé y avoir un désherbage au sein de la bibliothèque. Mais depuis dix ans, il n’a pas eu lieu », indique-t-il, pour justifier le volume. Le désherbage est un processus qui consiste à renouveler l’espace de réserve en supprimant, par exemple, les revues qui ne sont plus d’actualité. Et le maire se veut rassurant. Comme cette tâche n’a pas été effectuée depuis 10 ans, « une commission de trois salariés de la bibliothèque est mise en place ». Elle a pour objectif d’étudier les 35 000 documents afin de déterminer lesquels garder ou non. « Dans ceux que nous ne pouvons pas garder, il y a une partie qui sera jetée. Mais il y en a aussi que l’on pourra vendre ou donner », précise Damien Meslot.
Concernant cette commission d’études, Chantal est plus dubitative. Elle conteste les propos tenus par le maire. Selon cette dernière, des binômes d’employés, venus de tous les services de la bibliothèque, ont été mis en place afin de procéder au désherbage. Pour l’employée, ils sont poussés à jeter un maximum de documents. « On nous demande d’évacuer le plus rapidement, le plus de documents possibles » s’exaspère Chantal. « Le maire déclare que c’est une petite partie qui va être jetée, mais en réalité cela représente beaucoup de documents. » Une note interne, consultée par Le Trois, confirme également l’ampleur de l’opération. « Une grande partie sera vouée à la destruction », peut-on lire.
Le groupe d’opposition désapprouve l’ampleur, mais conteste également la légalité de l’opération. La destruction se fait « en dehors de tout cadre légal », déplore le communiqué du groupe d’opposition. Il fait référence notamment à la loi n° 2021-1717 relative aux bibliothèques et au développement de la lecture publique. Selon eux, le conseil municipal doit valider l’acquisition, mais aussi la suppression des livres et donc valider les désherbages. « Or, aucune politique documentaire formalisée n’existe à la Ville de Belfort », dénonce le groupe d’opposition. Dans des documents internes consultés par Le Trois, l’opération en cours est bien nommée comme un « désherbage ». Interrogé à ce sujet, Damien Meslot assure qu’il est inutile de réunir le conseil municipal afin de mettre en place une politique documentaire. « Pour l’instant, les 35 000 documents sont en étude », conclut-il.
C’est une tout autre réalité décrite par plusieurs témoins de la bibliothèque. « J’ai vu des caisses de documents, en sous-sol, destinés à partir à la déchetterie. J’ai également vu des périodiques dans les bennes de la déchetterie », confirme une organisation syndicale. Selon cette dernière, des agents de la déchetterie ont confirmé le dépôt de documents. Dans la note citée précédemment, on peut également lire que « l’évacuation sera faite en interne » et que « les agents techniques ont l’autorisation de faire des trajets quotidiens à la déchèterie. »
Des budgets en baisse
« Les documents sont pour la plupart en bon état », s’indigne encore Mathilde Regnaud. Ce que confirme l’organisation syndicale. Parmi ces documents, on retrouve des romans ou des essais, mais aussi des périodiques sur l’Alsace par exemple, liste Mathilde Regnaud, ancienne salariée de la bibliothèque. Le Territoire de Belfort faisant partie de l’Alsace jusqu’à la fin du XIXe siècle, « c’est comme si l’on supprimait une partie de l’histoire du territoire », s’agace-t-elle. Le groupe politique réfléchit aux suites juridiques qu’il peut donner à cette action.
Ce n’est pas la première fois que la gestion de la bibliothèque municipale de Belfort est pointée du doigt. En 2018, le collectif Culture, ainsi que l’association des bibliothécaires de France, avaient contesté la baisse budgétaire que subissait la bibliothèque municipale.
Il y a six ans, la majorité municipale de Belfort, déjà menée par Damien Meslot, avait approuvé une diminution de 40 % du budget d’acquisition. Au même moment, le tarif d’abonnement, plein tarif adulte, avait presque doublé en passant de 5,10 euros à 10 euros. Chantal déclare que, depuis, « [les budgets d’acquisition] stagnent à un niveau très bas, alors que le prix moyen du livre ne cesse d’augmenter ».
- Pour des questions d’anonymat, le prénom a été modifié.