La scène nationale du Grrranit a présenté sa saison, vendredi 28 août. La première façonnée par la nouvelle directrice, Eleonora Rossi, nommée en décembre 2019. Un projet qui se dit ambitieux, européen et numérique. Le décor, les acteurs et le texte de de la pièce avaient, de leur côté, une teinte très politique. On attendait une entracte au Granit, ce fut un nouvel acte d’une dramaturgie qui ne dit pas son nom.
La scène nationale du Grrranit a présenté sa saison, vendredi 28 août. La première façonnée par la nouvelle directrice, Eleonora Rossi, nommée en décembre 2019. Un projet qui se dit ambitieux, européen et numérique. Le décor, les acteurs et le texte de la pièce avaient, de leur côté, une teinte très politique. On attendait un entracte au Granit, ce fut un nouvel acte d’une dramaturgie qui ne dit pas son nom.
« Innovation ». « Innovant ». « Première fois ». Ces mots ont été répétés à foison pendant près de deux heures, vendredi 28 août, à l’occasion de la présentation de la saison 2020-2021 de la scène nationale du Granit ; qu’il faut dire Grrranit, avec trois « r », a insisté Eleonora Rossi, la nouvelle directrice, nommée en décembre 2019. On cultive la rupture avec le passé. Surtout le plus récent. On veut souligner la différence.
« Je vous le promets monsieur le maire »
Première teinte politique, le décor. La conférence de presse n’a pas été organisée dans les locaux de la scène nationale. La pièce s’est jouée dans le salon d’Honneur de l’hôtel de ville de Belfort. Une première.
Deuxième teinte politique, les acteurs. Avant de présenter la saison et les artistes présents, plusieurs prises de parole politiques ont été faites : la présidente de la scène nationale, Fabienne Cardot, le maire de Belfort, Damien Meslot, et la vice-présidente du conseil départemental du Territoire de Belfort en charge de la culture, Marie-Claude Chitry-Clerc. Ce n’est pas une coutume dans le milieu. On veut marquer la proximité entre la gouvernance de la scène nationale et les tutelles locales (le Grand Belfort et le Département).

« [Les artistes] vont faire briller cette scène nationale, je vous le promets monsieur le maire », a insisté Eleonora Rossi, dans sa présentation de la saison. Les élus, eux, ont voulu marteler leur « soutien » à la nouvelle directrice, alors que de nombreux reproches ont été formulés au printemps par des salariés. Pour la plupart, aujourd’hui, anciens salariés.
La direction régionale des affaires culturelles (Drac), l’un des principaux financeurs, était, pour sa part, absente. Une situation qui interpellait. « La Drac de Bourgogne-Franche-Comté a bien été conviée à la conférence de presse organisée par le Granit le 28 août dernier. Cependant, nous n’avons pu y assister en raison de la mise en œuvre des mesures liées au spectacle vivant », répond l’intéressée, questionnée sur cette absence.
Vie électorale
La troisième teinte, c’est le texte de la pièce. Un dialogue très politique dont les contours avaient été dessinés dans un courrier de Fabienne Cardot et Eleonora Rossi accompagnant l’envoi de la programmation dans les boîtes aux lettres, avant la présentation. « Nous voulons également évoquer les polémiques qui ont surgi dès l’arrivée de la nouvelle directrice, étonnamment relayées par des médias univoques qui n’ont pas publié nos réponses », écrivent-elles, en rouvrant le ban (retrouvez ici le dossier complet dédié au Granit, où nous relayons les différents sujets, dont les inquiétudes des salariés en début d’année et les réponses de la gouvernance du Granit).
« Nous comprenons la passion des temps de campagne électorale », analysent-elles pour répondre à ces questions. Un refrain repris par Damien Meslot dans son allocution. « Quelques clapotis » ont « animé » la vie du Granit et qui sont « liés à la vie électorale », estime-t-il. L’ancienne administratrice du Granit, Nathalie Cravé, était en effet inscrite sur la liste Belfort en Grand pour l’élection municipale. « Certains ont choisi de se présenter. Les électeurs ont tranché. Nous avons obtenu la majorité », répond Damien Meslot, invoquant la légitimité issue des urnes. Discussion terminée.
« Autre dimension »
Selon nos informations, près de dix personnes ont pourtant déjà quitté le Granit ou n’ont pas été renouvelées dans leurs fonctions depuis l’arrivée de la nouvelle gouvernance. Près de la moitié de l’effectif. Quand Damien Meslot évoque des « clapotis », des salariés dénonçaient les conditions de travail. Plusieurs procédures judiciaires sont envisagées. Ils ne vont donc pas simplement « contribuer à d’autres » projets comme le simplifient la présidente et la directrice.
Fabienne Cardot, agrégée et docteure en histoire, (re)lit le mouvement social du printemps et la candidature à la direction, en 2019, de trois salariées, comme « une réflexion sur l’autogestion », dans une « région où le souvenir de Lip est très présent ». Certes. « Je comprends qu’une partie de l’équipe se dise que [quand] on a su faire l’intérim » on peut « assurer » la direction. « Mais il faut construire un projet d’une autre dimension », rétorque-telle, renvoyant les personnes concernées aux bancs de l’école. Fabienne Cardot et Eleonora Rossi disent pourtant vouloir entamer la saison dans « un esprit apaisé »… Dont acte.
Ce passé récent était bien présent dans cette présentation de la nouvelle saison (lire ci-dessous). La nouvelle gouvernance a décidé de le décrédibiliser pour installer son projet. Et ravive, comme filiation, l’époque de la direction d’Henri Taquet, ignorant près d’une décennie du Granit. C’est un choix de politique. Pour « briller », répète-t-on à l’envi. Réponse dans le prochain acte.
- Renseignements, billetterie et programme complet : https://www.grrranit.eu/
Théâtre sans parole, rap, humour et classique
La crise sanitaire ébranle l’univers de la culture. Mais « le théâtre vit de crises », insiste Fabienne Cardot, en citant Jean Vilar. « Il a besoin de se transformer », et cela « prouve qu’il est vivant », poursuit-elle. « Dans ces moments difficiles, il est encore plus important de permettre aux gens d’avoir une vie culturelle », assure de son côté Damien Meslot, qui rappelle que les subventions ont été maintenues à l’institution.
Eleonora Rossi a présenté sa saison sous le signe de « l’innovation », après une crise sanitaire « qui nous invite à nous remettre en question ». Et en insistant : « Une scène nationale qui ferme, c’est la démocratie qui meurt. » Pour la présentation, elle a fait venir plusieurs artistes, dont Mathilda May, « une metteur en scène inouïe ». Elle vient proposer Monsieur X, interprété par Pierre Richard (8 janvier). Pendant la pièce, où il est seul sur scène, il ne prononce pas un seul mot intelligible. Une marque de fabrique pour la metteur en scène. Il baragouine. « Mais par la musique, on reconnaît l’intention », explique Mathilda May. « Son regard transforme le réel. Ou c’est le contraire », glisse-t-elle. Sans parole, les gestes sont d’autant plus parlant. »
Autre temps fort, La Question, mise en scène par Laurent Meininger et interprété par Stanislas Nordey, directeur du théâtre national de Strasbourg (1er et 2 février). Il interprète l’histoire vraie d’une journaliste algérien, Henri Alleg, emprisonné et torturé. Il raconte. « C’est un texte paradoxalement joyeux, qui donne de l’espoir », confie Laurent Meininger. « Une scène nationale doit s’emparer de ce sujet », estime-t-il. « J’ai lu ce texte à 14 ans, confie pour sa part l’interprète. C’est un texte de formation. Il m’a construit dans mon regard sur le monde. » La pièce sera présentée pour la première fois à Belfort glisse Eleonora Rossi. Dans cette saison, une nuit du rap est aussi programmée. Une nouveauté. « C’est un genre peu représenté dans les scènes nationales », regrette Eleonora Rossi, qui a notamment programmé un tremplin pour les groupes de la région, et un concert de D.Ace (15 mai). Une nuit de l’humour est programmée le 2 avril et la scène nationale veut construire une soirée spéciale, en mai, où l’objectif sera de réfléchir au monde. Les classiques d’une scène nationale sont aussi là, avec des concerts de musique classique et du jazz. Le Granit accueillera également le 7 avril le ballet du théâtre de Bâle. La billetterie est ouverte depuis le 2 septembre.