L’histoire démarre en 2018. En simultané avec onze autres quartiers de France, la Maison pour tous de Bavans participe à un cycle d’écriture nommé « Paroles d’habitants des quartiers populaires ». Un rapport paru en janvier 2019. Pourquoi s’intéresser au quartier Champerriet dans ce cadre ? Parce que, en 2018, il est amené à sortir de la zone géographique des quartiers prioritaires. Une situation qui révulse ses habitants et ses acteurs, alors que le quartier, selon eux, est laissé à l’abandon. Cinq rendez-vous sont organisés à la Maison pour tous pour écrire ce rapport, avec l’aide de la sociologue-géographe Catherine Foret.
Nevin Aydin, directrice de la Maison pour tous, a été toquée aux portes pour motiver les habitants à travers le quartier. Pour faire parler ceux qui le souhaitaient dans le cadre de ce rapport. « Avant ce rapport, on avait perdu le lien avec les démolitions successives de tours. Il y a eu la volonté d’aller chercher les gens. Cela a duré plusieurs mois, et ça a été un travail. D’aller dans la sphère privée. De toquer aux portes pour demander de venir parler. » Pour la constitution du rapport, cinq réunions ont eu lieu, avec 15 à 20 habitants de tous âges.
Elle a trouvé du soutien surtout auprès de six citoyens, cités précédemment. Ils ne se connaissaient pas plus que ça. Leur point commun ? « Se sentir abandonnés par les pouvoirs publics et le bailleur social, avec le sentiment que rien ne bouge », témoigne-t-elle. « Ils ont tous partagé leur constat. Et ce travail de rapport leur a permis de se consolider autour de leurs révoltes et leurs préoccupations communes. »
Quelles sont-elles ? Pour illustrer le propos, Nevin pense à Daniel. Arrivé en 2014 à Champerriet, Daniel avait été informé par le bailleur que son logement serait rénové l’année d’après, raconte-t-elle. En 2024, les rénovations n’ont pas encore eu lieu. Tous partagent un constat commun : la démolition des tours de leur quartier a changé son visage. Paradoxalement, elle a créé un vide et a rendu difficile de créer du lien. D’autant plus que les services ont disparu un à un : crèche, écoles…. L’état de leur logement, l’absence d’aménagement des espaces communs a fini par soulever chez eux de l’indignation, de la colère quant à leurs conditions de vie.
À travers toutes les rencontres à la Maison pour tous, les habitants deviennent un noyau solide. Un collectif, « qui a souhaité s’investir de plus en plus pour se faire entendre », lit-on dans un livret nommé Les grands découvreurs ou voyage au cœur d’une fabrique citoyenne, réalisé par la sociologue Marie-Pascale Guyon, paru en 2021. Il retrace l’émergence de ce collectif, et les étapes de la montée en puissance de leur engagement citoyen.
« Réveiller Champerriet »
En 2019, le rapport est remis à Julien Denormandie, ministre chargé de la Ville et du logement. Une partie du collectif est reçue à Paris, avec des professionnels de la Maison pour tous et de Trajectoire Ressources. « Cela a renforcé leur sentiment d’exister », constate Nevin. Ils rencontrent des habitants d’autres quartiers en France. La Courneuve, Marseille, Lyon… Et échangent des conseils. Daniel écrit à son retour une lettre à Nevin. « Vous m’aidez à monter sur un escalier glissant et à m’agripper pour que je ne tombe pas; je vous en remercie, car je me sens moins seul », peut-on y lire.
La même année, un temps de restitution est organisé à Bavans. Sont invités des élus, des partenaires institutionnels, des collectivités, des associations d’agglomération. Une soixantaine de participants y participent. Les membres du collectif prennent la parole. « Nous avons eu la sensation d’exister », racontent-ils. « Nous avons besoin d’être entendus et que nos attentes soient prises en compte par les pouvoirs publics… que l’on ne nous donne pas l’illusion que des choses seront faites », poursuivent-ils.
Le collectif trouve son slogan, son nom : « Réveiller Champerriet ». La charge est importante, pour tenir ce nom. Le quartier est marqué par un phénomène que l’on retrouve partout : repli sur soi, manque d’implication des habitants, isolement, vieillissement. Et cela se ressent dans les habitudes : « Certains jettent les poubelles par les fenêtres, d’autres investissent les espaces communs de la mauvaise manière, d’autres ne disent pas bonjour », témoigne encore le collectif dans le recueil de la sociologue Marie-Pascale Guyon.
Un diagnostic en marchant
Pour continuer à faire vivre le projet, quelques mois plus tard, au mois de mai, les habitants organisent « un diagnostic en marchant », en invitant des élus, les bailleurs sociaux. Lors de cette balade, ils évoquent leurs préoccupations, les pistes pour améliorer leur cadre de vie. Leur besoin d’obtenir des réponses quant à l’entretien du parc, des bâtiments, à l’absence d’animation du quartier. Lors de cette balade, plusieurs arrêts se font pour montrer le quotidien de ce quartier : saleté, objets ou carcasses de voitures, butées dangereuses, état des bâtiment, état des poubelles… S’ajoutent à cela les observations de ce qui manque : les jeux pour enfant, des bancs, des poubelles, de vrais trottoirs, des ascenseurs, des balcons. Pourquoi pas un terrain de pétanque?
Et s’ajoute encore ce qui n’est pas visible : des baignoires-sabots d’origine, trop hautes, trop petites, peu adaptés au vieillissement et au handicap. L’absence de douche. Et surtout l’absence d’insonorisation entre les appartements. « Pendant longtemps, on s’est mis des œillères pour ne plus voir tout ça. Et puis, on le voit d’autant plus quand on le montre à d’autres », raconte le collectif dans le recueil.
Constitution en association
En quelques mois, le collectif rencontre l’agence de développement et d’urbanisme du pays de Montbéliard, Pays de Montbéliard Agglomération, Habitat 25, la maire sortante de la commune de Bavans, la nouvelle maire. Renée, l’une des membres du collectif, a même reçu les candidats lors des élections municipales à son domicile. « Elle a eu un sacré culot », se remémore Nevin, en riant.
« Ces rencontres vont marquer un tournant dans le positionnement du collectif face aux décideurs. Il avance là sur la construction d’un discours politique, vers une forme d’éducation populaire : il construit les rapports sociaux fondés sur ses droits et non sur le rapport de force », rapporte le livret.
Pour parler d’égal à égal, au deuxième semestre 2019, le collectif se constitue en association. « On ne savait pas ce qu’il fallait faire, on ne savait pas écrire les statuts de l’association, mais on voulait le faire », raconte Renée. Daniel en devient le président. Ils se réunissent chez Renée, deux ou trois fois par mois. Leur but : accélérer à tout prix la rénovation du quartier. Aller frapper à toutes les portes possibles pour que cela se réalise. Leur histoire inspire. Notamment Marie-Pascale Guyon, auteure du recueil cité plusieurs fois. Professeure à l’IUT Belfort-Montbéliard, elle relate cette histoire particulière à un ami. Patrick Plaisance, directeur d’une compagnie artistique. Celui-ci va encore donner une portée supérieure à cette histoire… [Partie 2 à lire ici]