C’est une oeuvre mythique, qui attire les amateurs d’art du monde entier : au musée Unterlinden de Colmar, le Retable d’Issenheim a retrouvé son éclat original, grâce au travail “colossal” réalisé par une équipe de restaurateurs.
Antoine Pollez – AFP
C’est une oeuvre mythique, qui attire les amateurs d’art du monde entier : au musée Unterlinden de Colmar, le Retable d’Issenheim a retrouvé son éclat original, grâce au travail “colossal” réalisé par une équipe de restaurateurs.
Dans l’ancien couvent transformé en musée, les visiteurs peuvent observer les dernières retouches effectuées par Anna Brunetto, spécialiste mondiale de la restauration au laser, penchée sur le cadre en bois d’un des tableaux qui composent l’oeuvre et duquel s’élèvent de légères volutes de fumée. Avec sa blouse et ses épaisses lunettes de protection, elle progresse, millimètre par millimètre, pour enlever les couches de peinture successives ajoutées sur le cadre au fil du temps et retrouver les couleurs d’origine.
“La complexité est de trouver l’équilibre entre les parties qu’on veut enlever et celles qu’on veut garder“, explique cette Italienne de 52 ans, qui, au cours de sa carrière, a notamment contribué à révéler des dessins de Leonard de Vinci sur des plafonds du château des Sforza à Milan. Autour d’elle sont exposées les parties déjà restaurées du Retable d’Issenheim, composé de dix tableaux, présentant des épisodes de la vie du Christ et de celle de saint Antoine, et huit reliefs sculptés réalisés entre 1512 et 1516 par deux grands maîtres allemands, Matthias Grunewald et Nicolas de Haguenau.
"OEuvre primordiale"
“Il y a la Chapelle Sixtine, il y a la Joconde et il y a le Retable d’Issenheim : c’est une oeuvre primordiale. Je la place au même niveau pour sa dimension et son retentissement”, expose Pantxika de Paepe, la directrice du musée Unterlinden. Le chef d’oeuvre avait pâti des couches de vernis déposées successivement, assombries ou jaunies avec le temps, et des manipulations opérées à la Révolution française comme au cours de deux guerres mondiales, pour le mettre à l’abri, qui ont altéré les encadrements et les supports en tilleul.
Après plusieurs opérations superficielles, jusqu’à la dernière menée au début des années 1990, une restauration complète s’imposait. Elle s’est déroulée sur plus de quatre ans et demi, principalement dans l’enceinte du musée, mais aussi à Paris (pour les sculptures) et Vesoul (certains encadrements). Une rénovation qui a coûté 1,4 million d’euros, financée à 80% par le mécénat. “C’était un exercice très méticuleux. Voir l’amincissement des vernis, redécouvrir certains plans, des couleurs, des profondeurs, des contrastes, c’est merveilleux”, s’enthousiasme Pantxika de Paepe. Sur le panneaux de La Crucifixion, “on retrouve par exemple la chevelure de Marie-Madeleine, alors qu’on ne la voyait pas avant, elle était masquée par le vernis”, qui s’était opacifié.
"Cinq siècles de patine"
La restauration a mobilisé deux équipes, 10 personnes en charge des sculptures, sous la houlette de Juliette Lévy, et 21 pour les peintures, dirigées par Anthony Pontabry, qui exprime sa satisfaction devant l’ampleur du travail accompli. “Il y a cinq siècles de patine sur les tableaux, donc il y a une légère métamorphose des couleurs, mais je pense que nous sommes très très proches de ce que Grunewald a fait”, soutient ce restaurateur de 75 ans, qui en paraît 15 de moins et termine ainsi sa carrière, entamée en 1972.
Les visiteurs, eux, ne cachent pas leur satisfaction de retrouver l’éclat intact d’une oeuvre cinq fois centenaire. “Je trouve ça assez fabuleux”, concède Sébastien Raimond, professeur de droit de passage à Colmar. “On a l’impression que les couleurs éclatent, c’est étonnant, on sent le travail de précision, d’orfèvrerie presque”. “Je ne connais pas de tableau de la Résurrection plus impressionnant”, assure Béatrice, Allemande de 68 ans venue spécialement de Stuttgart pour contempler l’oeuvre, et qui dit son impatience de voir les derniers panneaux manquants de nouveaux exposés. Pour répondre à la demande du public, un cycle de conférences, données par Anthony Pontabry et portant sur les opérations de restauration, est organisé chaque vendredi à partir du mois de mai, et jusqu’à l’inauguration officielle, prévue le 30 juin.