À cette saison, cela relève du jamais-vu. Dans le Doubs franco-suisse, les truites meurent une à une, terrassées par la maladie de la saprolégniose. Quelques ombres aussi, mais moins. La caractéristique : 99% des truites atteintes par la maladie dépassent les quarante centimètres. Celles en dessous sont moins atteintes. Celui qui relève ce problème, c’est Christian Triboulet, président de la Franco-Suisse (association agréée de pêche et de protection aquatique à Goumois). Il a été alerté par des salariés de l’usine électrique de la Goule, au Noirmont, en Suisse, qui ont récupéré dans leurs dégrilleurs des centaines de poissons. « Encore aujourd’hui, nous avons appris qu’il y en avait une centaine chez eux.»
S’il ne l’avait pas vu lui-même, ni le garde-pêche de l’association, Patrice Malavaux, c’est parce que le niveau des eaux était haut. Mais depuis deux semaines, les constatations se font à l’œil nu. Ce mardi, il a fait venir des élus du Doubs et a convié la préfecture et les services administratifs des deux côtés de la frontière au bord de la rivière pour leur montrer l’ampleur des dégâts. « Les chiffres c’est bien. Mais cela est toujours mieux de faire voir en vrai ce qu’il se passe.»
Cette maladie, la saprolégniose, est une infection cutanée causée par un micro-organisme qui touche les poissons lorsque la couche de mucus protectrice est altérée ou est déjà fragilisée par une maladie ou un facteur de stress. Un facteur de stress en ce moment, il y en a un. La période actuelle est une période dite « de fraie », une période de reproduction des truites. « Les poissons viennent gratter le substrat à cette période », explique Christian Triboulet. Avec pour but de débarrasser le sol de toutes les impuretés avant de pondre. Le problème : les truites se contaminent en faisant cela. Et attrapent cette maladie.
Une rivière dégradée
Selon les classements de l’agence de l’eau sur son application « Qualité rivière », cette parcelle du Doubs franco-suisse est en bon état écologique. Matérialisée par la couleur verte.Christian Triboulet alerte : « Ce ne sont pas les bons critères d’évaluation qui sont pris en compte. Voilà pourquoi ils sont au vert. Il faut absolument les revoir.» Pour lui, si les poissons attrapent à ce point la maladie, c’est parce que la qualité des rivières est hautement dégradée, ce qui les fragilise. À cause des activités humaines. des stations d’épuration. des micro-polluants et des activités industrielles. La pollution est prégnante.
Dans un communiqué datant du 9 décembre, la préfecture du Doubs alerte sur la situation. Pour elle,« l’été exceptionnellement chaud et sec a probablement contribué à favoriser le développement précoce de cette maladie.» Pour le président de la Franco-Suisse, ce n’est pas la principale cause. « Nous avons surveillé de près la température de l’eau durant la canicule. Et des années très chaudes, il y en a eu d’autres.» Non, là, la situation est clairement inhabituelle. Au printemps, des épisodes de morts de poissons peuvent arriver. Mais jamais autant. « Je n’ai jamais vu ce type de mortalité.» Il faut remonter à 2014 pour retrouver une période telle.
Dans ce même communiqué, la préfecture du Doubs affirme être en lien avec la commission mixte de la pêche et des milieux aquatiques dans le Doubs franco-suisse. Elle expose que des axes de travail ont été dégagés avec les associations environnementales pour améliorer la qualité des eaux. Et rappelle son plan rivières karstiques 2022-2027, signé le 21 septembre 2022, qui consiste en bref à réduire les pollutions des eaux, maîtriser les prélèvements en eau et accentuer l’effet des actions de réduction des pollutions.
« Tout ça, c’est de la communication », grogne le président de la Franco-Suisse.« La préfecture ne sollicite pas les bons acteurs. Elle se focalise sur la pêche là où il y a un vrai besoin de travailler avec les ONG sur la préservation du milieu aquatique.» Il désespère de n’avoir pas vu depuis plusieurs années le groupe binational sur la qualité des eaux se réunir. Pour Christian Triboulet, la préfecture se dédouane sans travailler avec les bonnes personnes. Alors que du côté Suisse, « les choses avancent », tance-t-il, avec un plan national pour le Doubs. « Côté français, c’est creux. Ils n’ont rien mis véritablement en place.» Et l’heure est grave. Il appelle la préfecture et les élus à réagir, pour que puisse être enclenché « un plan d’action plus musclé.»