La rémunération de Carlos Tavares, p-dg de Stellantis, de plus de 66 millions d’euros en 2021, provoque des remous. Les syndicats sont remontés. Et dans l’entre-deux tours de l’élection présidentielle, les politiques s’en mêlent. Même certains actionnaires sont vent debout.
Avec l’AFP
La rémunération de Carlos Tavares, p-dg de Stellantis, de plus de 66 millions d’euros en 2021, provoque des remous. Les syndicats sont remontés. Et dans l’entre-deux tours de l’élection présidentielle, les politiques s’en mêlent. Même certains actionnaires sont vent debout. mis à jour le 13 avril à 19h11
« C’est dégueulasse, scandaleux et choquant ! » s’emporte Jérôme Boussard, délégué syndical CGT, à l’usine Stellantis de Sochaux. La communication sur la rémunération de Carlos Tavares, président-directeur général de Stellantis, ne passe pas. Globalement, elle s’élève à plus de 66 millions d’euros en 2021, a rapporté un actionnaire minoritaire du groupe automobile, La société de gestion PhiTrust. A côté d’un salaire fixe de 2 millions d’euros, la part variable constitue la majorité (89%) de sa rémunération, avec notamment 7,5 millions liés à sa performance en 2021, une prime de 1,7 million liée à la création de Stellantis, et des attributions d’actions gratuites fondées sur des objectifs à 2026, évaluées à 5,6 millions d’euros par Stellantis pour l’année 2021, mais à beaucoup plus par cet actionnaire. Contactée, la direction de Stellantis a souligné que “le chiffre annoncé par PhiTrust est faux, et le salaire de Carlos Tavares pour 2021 est bien de 19,1 millions d’euros”. Une partie de cette rémunération de 66 millions d’euros ne sera déclenchée qu’à la réalisation d’objectifs, fixés pour les prochaines années.
« Ce que nous trouvons le plus inadmissible, dénonce Éric Peultier, de Force ouvrière, ce sont les 17 % d’augmentation sur la partie fixe, en un an, alors que nous nous sommes battus pendant 7 heures pendant les négociations salariales pour finalement obtenir 3,2 %. » Il estime que son augmentation devrait être comme celle de tous les autres salariés, car « c’est un salarié comme les autres ». A l’issue des négociations annuelles (lire notre article), la direction de Stellantis n’avait pas proposé d’augmentation générale pour ses salariés français, mais une moyenne de +3,2%, soit 2,8% pour les ouvriers, et une prime d’intéressement et de participation de 4 000 euros brut minimum par salarié.
Indécent
« Le niveau de rémunération de notre PDG est indécent, commente, dans un communiqué de presse, Christine Virassamy, déléguée syndicale CFDT, à l’échelle du groupe en France. Il est urgent que nos politiques prennent enfin de véritables mesures sur le plafonnement des salaires de nos dirigeants. Ces situations participent, et conduisent hélas, aux prises de positions extrêmes des citoyens lors des élections.”
Selon des calculs de la CGT, Carlos Tavares touche plus de 180 000 euros par jour… « Il peut acheter une maison dans notre région tous les jours », compare, incrédule, Jérôme Boussard. Cette estimation quotidienne est 112 fois plus élevée que le montant brut mensuel du Smic, au 1er janvier 2022. « Cette richesse s’est faite sur le dos des salariés », tance Jérôme Boussard. « Qui a besoin d’autant d’argent, alors que les salariés ont des difficultés à boucler les fins de mois, questionne-t-il. D’autant plus avec la suppression des transports et l’augmentation du carburant. » La CGT veut rappeler dans ce contexte la double peine des salariés avec ce choix de supprimer les bus de ramassage. « On veut bien l’aider à utiliser cet argent s’il ne sait pas quoi faire », sourit, avec sarcasme, Éric Peultier. « On frise le manque de respect », ajoute-t-il. “L’écart ne cesse d’augmenter entre les plus bas salaires et les plus hauts salaires”, selon Franck Don, secrétaire général de la CFTC chez Stellantis, cité par l’AFP, qui pointe un phénomène “très inquiétant”. “Tavares est un très bon capitaine d’industrie mais à un moment donné il faut rester dans le raisonnable”.
Débat politique
Si des syndicat sont remontés, des actionnaires ne sont pas non plus d’accord. PhiTrust, actionnaire minoritaire de Stellantis, a donc voté contre la rémunération précise l’Agence France Presse. Cette rémunération “est-elle justifiée socialement alors que le groupe va devoir probablement faire face à des restructurations massives avec des suppressions d’emplois à la clé compte tenu de ses surcapacités de production ?” s’interroge PhiTrust dans un communiqué.
“C’est choquant mais moins choquant que pour d’autres”, a commenté mercredi la candidate du RN à la présidentielle Marine Le Pen, soulignant que “pour une fois il a obtenu de bons résultats”. “Evidemment que ce ne sont pas des chiffres normaux”, a estimé le porte-parole du gouvernement Gabriel Attal, pour qui “il faut continuer à agir au niveau européen (…) s’agissant de la taxation minimale des grands groupes”, mais aussi “sur la question du partage de la valeur en entreprise”.
Du côté de Renault, qui est un bien plus petit groupe, Luca de Meo devrait être rémunéré pour l’année 2021 à hauteur de 4,7 millions d’euros, dont 1,3 million d’euros de fixe annuel, une part variable de près de 1,9 million d’euros, et 1,5 million d’euros si Renault atteint ses objectifs dans trois ans. Son prédécesseur Carlos Ghosn avait réduit en 2018 son salaire de 30%, à 4,7 millions annuels, sous la pression de son principal actionnaire, l’Etat français. Avec les rémunérations perçues comme dirigeant de Nissan, Carlos Ghosn recevait au total 15 millions d’euros par an. Parmi les autres groupes français, le directeur général de Dassault Systèmes, Bernard Charlès, était en tête du classement du cabinet Proxinvest pour l’exercice 2020 avec 20,6 millions d’euros, devant Daniel Julien (Teleperformance, 17 millions d’euros). La rémunération de Carlos Tavares pour 2020 n’a pas été publiée.
Pour sa première année d’existence, dans un contexte très compliqué pour l’industrie automobile, Stellantis a dégagé un bénéfice net de 13,4 milliards d’euros (lire notre article), presque triplé par rapport à 2020. Le groupe franco-italo-américain a son domicile fiscal aux Pays-Bas. Réunis en assemblée générale virtuelle ce mercredi après-midi, une majorité d’actionnaires de Stellantis a voté – à titre consultatif – contre la politique salariale du constructeur qui rémunère ses dirigeants selon leur performance. Ils l’avaient formellement approuvée début 2021 à la naissance du groupe, issu de la fusion de Peugeot-Citroën-Opel (PSA) et Fiat-Chrysler (FCA).