L’ancien ministre de l’Économie, Arnaud Montebourg, locataire de Bercy au début du rachat de la branche énergie d’Alstom par General Electric en 2014, a rencontré l’intersyndicale jeudi soir au cours d’un dîner.
L’ancien ministre de l’Économie, Arnaud Montebourg, locataire de Bercy au début du rachat de la branche énergie d’Alstom par General Electric en 2014, a rencontré l’intersyndicale jeudi soir au cours d’un dîner. Celui qui s’est retiré de la vie politique appelle à reconstituer un Alstom de l’énergie et à pousser l’État français à dénoncer l’accord de 2014.
« Je suis à votre disposition. » Arnaud Montebourg vient de prendre place à la table d’un restaurant du centre-ville de Belfort, à proximité de la rue des Capucins. Il est 20 h, jeudi soir. Une délégation de l’intersyndicale de l’entité turbines à gaz de General Electric, engagée dans un bras de fer avec sa direction, et quelques élus de gauche du nord Franche-Comté, s’installent à ses côtés. L’ancien ministre reconverti en entrepreneur, chantre du made in France, n’a rien perdu de sa répartie ciselée. Ni de sa détermination. Mais on sent quand même que le dossier évoqué ce jeudi soir n’est pas n’importe quel dossier pour Arnaud Montebourg. Il a laissé des traces. Il y a laissé des plumes. Retisser le fil de cette affaire fait remonter le dégoût de l’échec.
Des fonds d’investissement prêts
Cinq ans après, le plan social imaginé par la direction de General Electric – près de 50 % des effectifs de l’entité turbines à gaz – mêlé aux procédures de ruptures conventionnelles collectives (RCC) qui ambitionnent près de 600 départs depuis janvier, scellent une vente désastreuse pour la politique industrielle française. « Cette vente a été une erreur majeure des dirigeants de l’époque et le fait de m’y être opposé n’est pas une gloire pour moi », a confié Arnaud Montebourg, après avoir raconté sa version de l’histoire (lire par ailleurs). Aujourd’hui, pour l’ancien ministre, l’enjeu consiste à racheter les anciennes entités d’Alstom énergie, des entreprises à caractère stratégique : le nucléaire ; le renouvelable ; et le Grid (réseau électrique haute tension). « Il faut reconstruire un acteur français de taille mondiale, dans l’énergie et nous pouvons le faire, glisse celui qui a échangé avec Jean-Pierre Chevènement avant de se rendre à Belfort. La France ne peut pas être dépendante des outils énergétiques du reste du monde. » Au fur et à mesure de la soirée, Arnaud Montebourg s’est montré de plus en plus véhément. Comme dans la peau de ce militant qu’il a toujours été. « Un militant de la reconstruction industrielle », comme il aime le rappeler.
Selon Arnaud Montebourg, qui a passé quelques coups de fil, deux fonds privés d’investissement sont prêts à investir auprès de la BPI si l’État envisage de racheter la branche nucléaire de General Electric. « Ce sont les deux plus grands fonds d’investissement français, glisse Arnaud Montebourg. Il ne manque qu’un seul acteur : l’État, qui dort sur les décombres fumants de l’industrie française. » L’ancien ministre estime que la branche nucléaire de General Electric est valorisée à hauteur de 1,2 milliard d’euros. Et regrette que son projet de co-entreprises sur ces trois activités – acté à l’époque du rachat, abandonné ensuite – ne soit pas une réalité. Aujourd’hui, la situation de racheter de ne se poserait pas en ces termes estime-t-il. Arnaud Montebourg invite aussi à se saisir de la loi Florange de mars 2014, qui oblige « de rechercher un repreneur en cas de projet de fermeture d’un établissement ». Aujourd’hui, General Electric garantit sa présence à Belfort à long terme, dans ses discours. Mais l’intersyndicale estime surtout que c’est une fermeture en deux temps du site. Et la loi Florange pourrait alors s’appliquer.
Un retour ?
Une prise de parole. L’organisation d’une séquence médiatique, certes limitée. Est-ce le signe d’un retour en politique ? « J’ai donné… » a-t-il glissé à l’oreille de Martial Bourquin en cours de soirée, qui ne semble pas insensible à l’éventuelle musique de son retour. Plusieurs fois, il l’a rappelé. « Je ne suis plus engagé politiquement, mais j’ai des comptes à rendre sur des décisions que j’ai pu prendre », concède Arnaud Montebourg. Et c’est ce qu’il fait en rencontrant l’intersyndicale. Il ne veut pas non plus être un porte-parole et courir les plateaux de télévision. Une forme de respect à l’égard des salariés de sa société. Par contre, il va se mobiliser pour aider et conseiller les avocats de l’intersyndicale.
Faire pression pour dénoncer l’accord
Une fois que l’on formule cette volonté, on a tout dit et rien dit. Surtout si c’est un sujet dont le gouvernement ne se saisit pas. Et l’intersyndicale l’a bien compris. « On fait quoi ? » questionne Nicolas Mercier, de la CFE-CGC. L’enjeu, aujourd’hui, est de faire monter la pression pour encourager l’État à dénoncer l’accord de novembre 2014 (que Le trois a dévoilé), qui n’est pas respecter en intégralité. Un élément du dossier que le gouvernement n’évoque jamais publiquement. Arnaud Montebourg estime même que l’on peut faire annuler cette vente pour dol. L’argument se défend.
Le dictionnaire juridique de Serge Braudo précise que le dol est « l’ensemble des agissements trompeurs ayant entraîné le consentement qu’une des parties à un contrat n’aurait pas donné, si elle n’avait pas été l’objet de ces manœuvres. Le dol suppose à la fois, de la part de l’auteur des manœuvres, une volonté de nuire et, pour la personne qui en a été l’objet, un résultat qui lui a été préjudiciable et qui justifie qu’elle obtienne l’annulation du contrat fondée sur le fait que son consentement a été vicié ». Au-delà de dénoncer ce contrat au tribunal administratif, l’objectif est de rééquilibrer le rapport de force. Et de ne pas être dépendant du chantage des 15 000 emplois restant. Aujourd’hui, Arnaud Montebourg n’a aucun moyen d’intervenir. Seule une action du président de la République peut la déclencher. « Est-ce que nous avons une politique de puissance ou une politique de faiblesse », interpelle-t-il alors.
Dans sa manche, l’intersyndicale peut encore saisir la justice contre l’État pour ne pas avoir fait respecter l’accord. Mais c’est une manœuvre délicate. Arnaud Montebourg envisage éventuellement une action collective regroupant l’intersyndicale et des collectivités, réclamant des dommages et intérêts, dans le cadre d’une procédure de class action.
Les échanges ont duré près de 3 heures. Arnaud Montebourg a salué l’action de l’intersyndicale. Ses postures. « Vous êtes dans le juste », a-t-il confié. « C’est très innovant ce que vous faites », a constaté pour sa part Martial Bourquin. Et de leur confier : « L’histoire n’est pas écrite. »
« Pour moi, c’est une humiliation nationale »
Selon Arnaud Montebourg, la première trahison de ce dossier, c’est celle de Patrick Kron, ancien p-dg d’Alstom. « Il a négocié dans le dos, unilatéralement et secrètement la vente de la branche énergie d’Alstom », regrette-t-il. Quelques mois avant l’annonce, Arnaud Montebourg avait commandé une étude sur ce que pourrait faire Alstom dans le cadre d’une nouvelle organisation mondiale de son actionnariat. Des simulations ont été faites avec Mitsubichi, Siemens et General Electric. « L’alliance avec General Electric était la plus destructrice », rapporte Arnaud Montebourg, qui relate avec force détails cette période. Lors de l’annonce, son premier réflexe a donc été de gagner du temps. C’est dans ce cadre qu’est intervenue la proposition d’alliance avec Siemens. « J’ai [aussi] arraché du Premier ministre (Manuel Valls, devenu Premier ministre au mois de mars 2014, NDLR) le décret du 14 mai 2014. » Un décret qui soumettait à l’autorisation préalable du ministre de l’Économie tous les investissements étrangers, notamment s’il y avait des menaces d’intégrité sur des activités stratégiques. Là a commencé la négociation. Si Emmanuel Macron était conseiller à l’Élysée, Arnaud Montebourg rappelle que la décision de vendre est celle de François Hollande et Manuel Valls. « Pour moi, c’est une humiliation nationale, cette histoire, tance Arnaud Montebourg. C’est une prise de contrôle prédatrice avec pression judiciaire. » Arnaud Montebourg a quitté Bercy quelques mois plus tard, en août. Il est alors remplacé par Emmanuel Macron. À l’époque, selon lui, l’État a fait preuve « d’une désinvolture ».