Le Trois –

À Belfort, les réfugiés d’Ukraine patientent jusqu’à huit semaines dans des centres d’hébergement [reportage]

41 personnes vivent dans un SAS boulevard Anatole France. 21 adultes et 20 enfants. | ©Le Trois - EC​

Les SAS sont des centres d’hébergement d’urgence prévus pour accueillir les réfugiés ukrainiens pendant leurs deux premiers mois en France. Ils sont gérés par la préfecture du Territoire de Belfort et la Croix-Rouge. Un an après le début de la guerre en Ukraine, focus sur l’un des deux centres situés à Belfort.

Le ciel est grisâtre. La pluie ruisselle sur les voitures garées le long du boulevard Anatole France. L’une d’elles s’arrête devant un portail métallique. Derrière ces barreaux de fer, d’imposants bâtiments bleu et blanc appartenant à Néolia. Le rendez-vous est donné au numéro 6. Un bâtiment nommé « Les Daltons ». A l’intérieur, deux bénévoles s’activent. « Deux jeunes femmes vont arriver », souffle l’une d’elles. Dans un cadis, elles montent par l’ascenseur des couettes et des oreillers pour préparer un studio. 

Cet endroit, plutôt sobre et visiblement refait depuis peu, est très calme à 10h ce vendredi 17 février. Dans une petite pièce au lino vert décrépi, quelques bénévoles s’activent pour la distribution alimentaire du vendredi. C’est la Croix-Rouge, en lien étroit avec la préfecture du Territoire de Belfort, qui gère l’intendance de ce centre d’hébergement d’urgence, où arrivent des personnes venues d’Ukraine. Sont ici celles qui sont arrivées à Belfort via un plan de desserrement ;elles étaient dans un premier temps dans une autre ville. Puis les familles ont été envoyées dans des villes où des hébergements étaient disponibles pour leur accueil.

Dans le bâtiment Les Daltons, 41 personnes résident. 21 adultes et 20 enfants. Elles sont là généralement pour deux mois, le temps d’être relogées dans des appartements. « Cela peut aller plus vite que cela, mais les familles sont en droit de refuser les appartements qu’on leur propose. Alors, le dossier repart tout en bas de la pile », explique une bénévole. Dans cet espace où le temps se fige, seulement des femmes, des enfants et quelques adolescents sont présents. Les hommes, pour la plupart, sont encore en Ukraine. Une bénévole sort de sa poche son téléphone. Une jeune femme qui porte un masque FFP2, essaie de lui faire comprendre qu’elle est malade. Elle récite à son téléphone en articulant : « Pourquoi vous ne nous l’avez pas dit ? » Hervé Guiot observe la scène de loin. Il est le président de la Croix-Rouge dans le Territoire de Belfort. « Aujourd’hui, nous fêtons notre anniversaire. Cela fait 150 ans que nous sommes sur le terrain pour aider les gens déplacés.»

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Studios étudiants

Alors que les réfugiés se succèdent pour récupérer des colis alimentaires, une jeune femme discute avec une journaliste. Elle lui raconte la manière dont elle est arrivée ici. Une autre jeune femme en jogging gris, les cheveux noir de jais tirés dans un chignon, trépigne en attendant d’entrer dans la salle où se trouve la distribution alimentaire. Elle perçoit la presse, souffle. En anglais, elle explique qu’elle aurait souhaité que quelque chose d’officiel soit organisé, pour qu’elle puisse se préparer aux questions. 

L’une d’elles accepte de faire visiter son studio. Elle y vit avec ses deux enfants mais aussi sa maman, qui a un autre studio la porte à côté. Direction le deuxième étage, où un long couloir froid se profile, avec plusieurs portes alignées de chaque côté. « Ce sont d’anciens studios étudiants », précise Cécile Garnier, vice-présidente de la Croix-Rouge. 

Quand la jeune femme réfugiée ouvre la porte, ses deux enfants, un petit garçon et une petite fille d’à peine 10 ans sont un peu gênés. Leur grand-mère, Alexandra, nous tend une chaise pour que l’on prenne place en souriant chaleureusement. Rapide coup d’œil, il n’y a qu’un lit une place, un petit bureau, et deux étagères où sont réparties en boule les affaires de toute la famille. Sur le côté, une petite cuisinière. L’appartement est vétuste, mais doit permettre de loger cette maman et ses deux enfants, qui eux, dorment sur des lits d’appoint pliables. On s’y sent vite à l’étroit. 

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Pas d’accès à l’école au SAS

Encore une fois, c’est la Croix-Rouge qui s’occupe de tout leur fournir. « Quand ils partent, ils ont une toute petite valise. Et encore, la plupart arrivent avec ce qu’ils ont sur eux et leur passeport », explique le président de La Croix-Rouge. L’association leur fournit des produits alimentaires, d’hygiène, des vêtements, des jeux pour les enfants. Les bénévoles s’occupent aussi durant cette période de huit semaines de tous les papiers pour l’acquisition de logement et pour les papiers administratifs. Ils sont une dizaine à venir tous les jours pour tout cela. Une tâche nécessaire, d’accompagnement, de soutien aussi, car le temps est long et l’émotion vive. 

« Les adultes qui arrivent ont une grande souffrance morale », témoigne le président de la Croix-Rouge. « Ils ont laissé beaucoup de familles et d’amis sur place.» Le rôle de l’association est aussi d’apporter ce soutien nécessaire. « Ils savent qu’on est là pour eux, qu’ils vont trouver une oreille attentive, mais c’est une charge importante.» La communication n’a pas été si difficile. Google traduction leur a sauvé la mise, comme il l’explique. Et puis il y a eu ces une ou deux personnes, à chaque fois, qui se débrouillent en français et qui ont aidé tous les autres en s’improvisant comme interprètes. 

Ceux pour qui c’est aussi difficile, ce sont les enfants. Pendant toute cette période dans les SAS, ils n’ont pas d’accès à l’école, car l’inscription à l’école nécessite une adresse fixe. « C’est très dur pour eux, le temps est  long. Ils sont sous l’égide de leurs parents mais qui ont eux-mêmes beaucoup de choses à gérer », témoigne Hervé Guiot. Et qui pour la plupart, n’ont qu’une idée en tête : retrouver le plus rapidement possible les leurs. « C’est là que cela va être encore plus compliqué. Le jour où les enfants se seront fait des copains, auront une ville sociale ici. Alors que les adultes, eux, voudront rentrer…»

Pour l’instant, il estime très minoritaire le nombre de personnes ukrainiennes souhaitant rester en France. Il nous raccompagne vers la sortie, tandis que les deux jeunes évoquées au début s’installent côte à côte sur deux chaises au milieu d’une pièce vide, l’air triste, le regard hagard. « Ce sont deux sœurs. Elles sont arrivées par leur propre moyen… Mais il n’y a plus de place dans l’autre centre.» L’autre centre qu’évoque Hervé Guiot se trouve quelques rues plus loin et est destiné aux personnes arrivées à Belfort par leur propre moyen. Mais aujourd’hui, il n’y a plus de place pour elles. Elles seront accueillies ici, le temps de trouver mieux. Un appartement via un bailleur social, ou peut-être via des particuliers. Impossible à dire pour le moment. En ressortant, on aperçoit sur les fenêtres de ces grands bâtiments de nombreuses photos collées, parfois (souvent) seuls souvenirs emportés de leurs vies en Ukraine. C’est l’heure de partir, le cœur serré.

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