Participez-vous à cette grève ?
Si on veut. En clair, je fais une grève de soignants (rires). C’est-à-dire que je fais la grève en travaillant, en fermant seulement mon standard téléphonique. Les dernières personnes que nous avons envie de pénaliser, ce sont nos patients. Les bloquer alors qu’ils sont malades, c’est contre ce que nous avons toujours appris et contre ce pourquoi nous nous sommes engagés dans ce métier-là.
On entend surtout parler du doublement du tarif des consultations. Qu’est-ce qui motive cette volonté de doubler le prix des consultations ?
Le doublement du prix des consultations, c’est évidemment ce qui fait le plus de buzz. Cela inquiète. Mais ce ne sont pas les seules raisons de la grève. Nous y reviendrons. Premièrement, pourquoi nous demandons ce doublement ? Parce que le prix de la consultation n’a pas été revalorisé depuis plusieurs années. Qu’il n’a pas suivi le cours de l’inflation.
Aussi, parce qu’aujourd’hui, on nous propose de nous soulager en mettant en place des consultations avec des infirmiers en pratique avancée qui, eux, pourront facturer 50 euros la première consultation. Puis 32,70 euros les suivantes. Cela a de quoi agacer les médecins. Ce sont des infirmiers que nous allons devoir former, encadrer. Et nous, tout ça pour 25 euros. Il y a un moment où ce n’est plus possible ainsi. Nous avons l’impression que l’on se moque de nous.
Le motif du recrutement de personnel a été invoqué concernant cette augmentation, qu’en est-il ?
Depuis quelques années, il nous en est toujours plus demandé. Cela se comprend : nous sommes en pénurie médicale. Mais pour travailler plus, j’ai besoin de recruter du personnel. Il ne m’est pas possible de me dédoubler. Avec 25 euros par consultation, je ne peux pas payer de personnels supplémentaires.
Payer correctement une secrétaire médicale, cela représente, annuellement, entre 35 et 40 000 euros, en brut chargé. Dans mon cas, cela amputerait de façon importante mon chiffre d’affaires. Un chiffre que je ne vais pas pouvoir récupérer en augmentant le nombre de patients, car je suis déjà au maximum. Actuellement, nous sommes deux praticiens dans le cabinet où je suis et nous n’avons pas de secrétaire à cause de cela. Nous sommes obligés d’externaliser le secrétariat pour des questions de coût ; chaque année, nous dépensons 10 000 euros pour ce service.
En clair, pour recruter une secrétaire, je passerais de 10 à 40 000 euros de charges par an. Cela ne choque pas. Par contre, quand les médecins demandent de doubler les consultations, cela choque. Il faut relativiser. Et il ne faut pas oublier qu’il s’agit d’une base de négociations. Nous savons que nous n’aurons jamais ces 50 euros, il ne faut pas rêver.
Le passage à 50 euros, est-ce le sujet principal ?
C’est celui que le collectif Médecin pour demain (qui a lancé le mouvement, NDLR) a mis en avant. Il y a bien d’autres revendications dans cette grève. Notamment de mettre en avant toutes les complications administratives qui nous sont imputées depuis le Ségur. Vendu comme un pêle-mêle de mesures de simplifications administratives, ce n’est finalement pas cela du tout.
Un exemple : quand nous prenions la carte vitale, nous saisissions des paramètres administratifs et nous en avions fini. Aujourd’hui, nous devons valider l’identifiant national sécurisé, faire de l’identito-vigilance en contrôlant la carte d’identité pour chaque patient. Et ensuite, sortir un QR code sécurisé sur chaque ordonnance. Ce n’est pas si long que ça, mais ce sont des briques qui se superposent.
Autre exemple : la caisse [primaire] d’assurance maladie (CPAM) nous demande de respecter un taux de téléconsultations de 20 % maximum. Cela peut paraître beaucoup, mais il ne faut pas oublier que nous sortons d’une crise sanitaire. En 2022, il nous a été demandé de respecter ces 20%. Cela, alors que nous avons passé 9 mois de l’année à faire de la télémédecine pour aider les gens. Finalement, j’ai reçu un courrier de l’assurance maladie me menaçant de sanctions financières car j’étais à 21,5 % à la place de 20 % ! Alors, j’ai tout verrouillé. Maintenant, je suis à 18 %. Mais les premiers qui trinquent, ce sont les patients, encore une fois. Pourtant, nous essayons seulement de rendre service.
Ce type de menaces est-il fréquent ?
De plus en plus. Cela se joue à tous les niveaux. Il nous est demandé par exemple de remplir des objectifs de santé publique : prendre plus de patients, prescrire des médicaments d’un certain répertoire (comme les génériques). Si nous y arrivons, nous avons des primes d’intéressement. Si nous n’y arrivons pas, nous avons des pénalités financières.
Même chose pour certains formulaires qui ont été modifiés sans nous consulter ou nous prévenir. Les formulaires pour les accidents de travail sont l’un des exemples. Et derrière, nous apprenons que si nous ne prenons pas le pli, les sanctions tomberont. Nous avons l’impression de constamment nous faire sabrer par-derrière. Je pourrais citer encore énormément d’exemples témoignant de ce millefeuille administratif auquel nous sommes confrontés. Et à un moment, cela nous pèse.
Il y a beaucoup de jugements sur cette grève. Comment analysez-vous cette dynamique ?
Ne sortons pas les violons. Évidemment que c’est une grève de riche. Comme la grève des contrôleurs aériens ou des pilotes (rires). Mais ce que nous faisons, nous le faisons pour recruter du personnel, pour mieux accueillir les patients. 25 euros, honnêtement, ce n’est vraiment pas beaucoup. Moi qui fait le tiers-payant à tout le monde, je fais payer 7,50 euros. Et encore, en Alsace, c’est 2,50 euros si vous êtes au régime local. Même pas le prix d’un café sur une aire d’autoroute ! Et n’oublions pas que la consultation s’élève à 55 euros pour les camarades spécialistes d’organes et cela ne choque personne. Tout comme les infirmiers et infirmières en pratique avancée, qui sont à 50 euros sur la première consultation. Dans les pays d’Europe, c’est au minimum 50 euros. Dans les pays nordiques, cela va jusqu’à 150 euros la consultation. L’idée n’est pas d’aller jusque-là, mais cela met en relief.
Si demain les consultations passent à 50 euros, est-ce que cela serait suffisant pour re-motiver les praticiens ? Et surtout, motiver les jeunes médecins à s’installer dans un contexte de pénurie médicale ?
Ces 50 euros, c’est une bonne piste. Mais il faut l’accompagner. Et être médecin libéral, c’est aussi être chef d’entreprise. Très clairement, nous ne sommes pas formés pour cela. Et cela fait peur aux plus jeunes, quand ils entendent toutes les difficultés auxquelles nous sommes confrontés. Cela a vite fait de les dissuader…Certaines solutions simples existent, mais on ne nous apprend pas à les utiliser.
On pourrait envisager un accompagnement de la CPAM, notamment sur la comptabilité, mais ce n’est pas le cas aujourd’hui. On pourrait aussi imaginer que sur l’administratif, les facturations se simplifient. Aujourd’hui, les choses sont devenues folles. Les procédures sont alourdies chaque année, sans jamais les alléger de l’autre bout. Cela provoque des contradictions, des difficultés pour la facturation, des rejets, des abus. Tout ceci, c’est rédhibitoire.
Après, nous ne demandons pas que l’on nous tienne la main. Il ne faut pas se faire de fausses idées : les jeunes n’ont pas peur de passer du temps. Mais ils n’ont pas envie de s’embêter constamment avec ces peccadilles. Alors que s’ils deviennent médecins salariés, ils n’auront pas à se préoccuper d’autre chose que du patient. Ils gagnent moins d’argent, mais à 18h30, au dernier patient, la journée est terminée. Ce qui est loin d’être le cas aujourd’hui pour les médecins libéraux.
Nous sommes des passionnés. Nous nous sommes tous lancés là-dedans en connaissance de cause et en sachant que nous allions y passer beaucoup d’heures. D’ailleurs, c’est sur cela que l’on nous a choisi : sur notre capacité de travail et non pas sur nos connaissances. En première année de médecine, il faut ingurgiter au maximum. Et ceux qui passent sont ceux qui ont le plus travaillé. Notre capacité de travail est là. L’empathie aussi. Notre passion du métier et de l’intérêt pour les patients aussi. Pour la plupart, nous sommes des grévistes travailleurs et nous ne voulons pas pénaliser les patients. En revanche, la seule chose qu’on demande, c’est que l’on arrête de se moquer de nous.