Les élus du conseil régional de Bourgogne-Franche-Comté ont approuvé, ce jeudi 27 janvier, la création d’une force d’intervention pour les mutations automobiles, afin d’accompagner les sous-traitants de la filière à prendre le virage de l’électrique. Une mutation qui s’opère bien plus vite qu’on ne le pensait. 36 millions d’euros sont sur la table pour agir.
Les élus du conseil régional de Bourgogne-Franche-Comté ont approuvé, ce jeudi 27 janvier, la création d’une force d’intervention pour les mutations automobiles, afin d’accompagner les sous-traitants de la filière à prendre le virage de l’électrique. Une mutation qui s’opère bien plus vite qu’on ne le pensait. 36 millions d’euros sont sur la table pour agir. Et réagir.
260 emplois supprimés à Saint-Claude (Jura), à la fonderie MBF Aluminium. 417 emplois en sursis à Migennes (Yonne) chez l’équipementier Benteler. La filière automobile se restructure à grande vitesse pour prendre le virage à 180° de l’électrique, contrainte par l’Union européenne (lire par ailleurs). Un virage qui ne se fait pas sans heurts ni casses sociales, comme en témoignent ces deux exemples qui ont marqué l’économie régionale ces derniers mois. « Ce sont deux coups durs », souffle Nicolas Soret, vice-président au conseil régional de Bourgogne-Franche-Comté, en charge de l’économie, lors d’un entretien téléphonique réalisé en amont de la séance plénière du conseil régional de ce jeudi 27 janvier, où la feuille de route automobile était soumise au vote des conseillers régionaux (les débats sont à retrouver dans la vidéo ci-dessous).
Cette transformation, qui se fait bien plus vite que prévu, a des conséquences importantes. « La Bourgogne-Franche-Comté est fortement exposée car elle présente un tissu industriel composé principalement d’activités mécaniques ou métallurgiques qui seront impactées par le passage de la motorisation du thermique à l’électrique », observe cette feuille de route automobile 2022-2024. À cela s’ajoute une transformation de la fabrication de la voiture. Sur le nouveau système de montage de l’usine Stellantis de Sochaux, par exemple, il ne faudra à l’avenir que 5 heures 30 pour assembler une voiture électrique, contre 9 heures sur le système actuel pour un véhicule thermique.
Un tiers de l’emploi industriel
À la lecture de ces constats, on repère très facilement les risques en termes d’emplois. On estime que le secteur automobile va perdre 500 000 emplois en Europe entre 2020 et 2040, cite Éric Oternaud, conseiller régional Europe Écologie Les Verts, en charge de la conversion écologique de l’économie et de l’économie sociale et solidaire (ESS).
En France, selon le document de la Région, on estime que 100 000 emplois sont menacés d’ici 2035. « On le sait, on va perdre des emplois », concède Nicolas Soret. Pour autant, les élus ne sont pas résignés. « Nous accompagnons la transformation historique d’une filière », a-t-il déclaré devant l’assemblée, ce jeudi. Face à cette situation, « tout le monde n’est pas prêt de la même manière », a également observé Nicolas Soret. Et c’est dans ce contexte que la Région a approuvé la création d’une force d’intervention pour les mutations économiques.
Électrification à grande vitesse
Le passage à l’électrique se fait à marche forcée. En 2035, il ne sera plus possible de vendre en Europe des voitures thermiques neuves. Et dès 2025 – dans le cadre du programme européen fit for 55 qui vise notamment à réduire de 55 % d’ici 2030 les émissions de gaz à effet de serre – les constructeurs automobiles devront être en règle avec la nouvelle norme anti-pollution Euro 7. Et c’est bien ce futur cadre réglementaire qui va accélérer l’électrification du parc automobile neuf. Il serait trop coûteux d’investir dans la recherche pour améliorer les moteurs thermiques afin qu’ils respectent le cadre de ce règlement Euro 7. Alors on passe directement à l’électrique. Pour respecter le cadre des ambitions du Fit for 55, le scénario du mix de la vente des véhicules en 2030 doit au minimum répondre à la répartition suivante : 49 % de véhicules électriques et 21 % de véhicules hybrides rechargeables, soit 70 % des volumes vendus. 21 %, selon ce scénario, seraient toujours des véhicules thermiques,
La filière automobile compte plus de 350 établissements en Bourgogne-Franche-Comté et près de 45 000 salariés, hors intérim, soit 5,1 % de l’emploi salarié régional et près du tiers de l’emploi industriel (lire par ailleurs). Et la filière régionale pèse 10 % de la filière automobile en France. Ce recensement ne comptabilise pas toutes les entreprises liées au secteur automobile. En ajoutant les intérimaires (9 300 en 2017) et des sociétés qui travaillent pour l’automobile sans y consacrer la majorité de leur activité, on estime que la filière représente 70 000 emplois.
Conseils aux entreprises
Face à cette situation, on observe deux catégories de sous-traitants. Ceux dont les pièces vont continuer d’exister, mais vont muter. Il faut le prévoir. Et il y a ceux dont les pièces vont disparaître et il faut se diversifier ou réfléchir à « une conversion » observe Éric Oternaud. Faurecia a par exemple transformé drastiquement ses projets, en se tournant notamment vers les réservoirs hydrogène. Les constructeurs réintègrent, qui plus est, certaines activités, ce qui amplifie le risque pour les sous-traitants.
Ne pas oublier « l’aval »
Cette mutation technologique va transformer drastiquement notre vie. Des métiers vont changer. Les garagistes vont par exemple devoir s’adapter et former leurs mécaniciens à la haute tension, qualification obligatoire pour intervenir sur les voitures électriques. Il est possible aussi qu’on assiste à un phénomène de concentration des concessions. Et quel avenir pour les stations-services ? Lors d’une recharge électrique, l’automobiliste sera captif pendant 20 minutes. Il faut donc un lieu de consommation. « Les pétrolier l’ont compris », relève Éric Oternaud. Les stations seront au même endroit qu’un restaurant ou une boutique. En ville, l’installation de bornes électriques va profiter aux commerces à proximité. « Cela pose des questions d’aménagement du territoire », relève l’élu écologiste. Et l’infrastructure, qu’en est-il ? La France ne compte que 50 000 bornes, alors que l’objectif initial était d’en avoir 100 000 fin 2021.
Cette force d’intervention se déploie sur deux approches. La première entrée concerne l’entreprise. « Nous devons nous assurer que toute la chaine de production soit bien au fait de la bascule qui s’annonce », énonce Nicolas Soret, qui regrette, au passage, « un problème de communication et d’information de l’ensemble de la filière ». Certains sous-traitants « sont tenus dans une ignorance totale » par les constructeurs concernant l’avenir de leur produit déplore-t-il. Une mission de conseil sera donc mise sur pied prochainement pour faire un audit dans chacune des entreprises concernées. « Où en êtes-vous de l’adaptation ? De la digitalisation ? De la formation ? » énumère le vice-président. Les conseils doivent ensuite bâtir un plan d’actions pour adapter ou diversifier l’entreprise.
La seconde entrée concerne les territoires, car des territoires seront plus touchés que d’autres. Le nord Franche-Comté concentre 50 % de la filière automobile régionale, autour de l’usine Stellantis de Sochaux. La filière automobile y représente un emploi sur cinq et deux emplois industriel sur trois du secteur. Mais d’autres sites régionaux (voir la répartition de la filière sur la carte ci-dessous) sont marqués par cette filière : la Nièvre avec Magny-Cours ; la Haute-Saône avec un site Stellantis dédié aux pièces de rechange, à Vesoul ; la Saône-et-Loire, avec Fiat Power Train à Bourbon-Lancy ; ou encore l’Yonne avec des équipementiers comme Pneu Laurent, filiale de Michelin, ou Valeo Vision à Sens… « Nous allons nous appuyer sur les EPCI (les conseils communautaires, NDLR) qui connaissent bien le tissu local », relève le vice-président. La région va notamment les accompagner pour mettre en place une gestion prévisionnelle des emplois et des compétences territoriales (GPECT). En clair, on repère les emplois existants, ceux menacés, ceux dont on va avoir besoin pour le développement économique. La Région veut aussi s’appuyer sur la formation pour qualifier ou requalifier et répondre à des besoins d’entreprises qui peinent, de leurs côtés, à recruter. Cette force, « c’est un couteau suisse », image Nicolas Soret.
Projets de diversification
36 millions d’euros sont fléchés en 2022 sur ce dossier, donc 4 millions d’euros correspondent à des fonds dédiés à l’innovation, 20,6 millions d’euros à des formations de demandeurs d’emplois. « Ce sont des fonds régionaux auxquels peuvent s’ajouter des fonds que l’État peut mobiliser », ajoute Nicolas Soret. L’État a fléché une enveloppe de 100 millions d’euros pour accompagner les territoires qui sont affectés par les mutation de cette filière. De mi-2020 à fin 2021, il a aussi apporté 42,8 millions d’euros à 54 sous-traitants automobiles de Bourgogne-Franche-Comté, lauréats du fonds de soutien à la diversification de la filière automobile, doté de 300 millions d’euros sur 6 ans, soit 50 millions d’euros par an. « Deux agents des services de la région seront dédiés à 100% à l’automobile », complète le conseil régional au budget d’1,8 milliard d’euros, dont 685 millions d’euros sont dédiés à l’investissement.
C’est « une course contre le temps », qui est lancée confirme Nicolas Soret. Des entreprises auront des « difficultés », concède-t-il, lucide. « Mais il n’est pas trop tard », souligne-t-il. « Nous allons créer des emplois », promet enfin Nicolas Soret. La diversification vers l’hydrogène est lancée. Et d’autres pistes sont envisagées. Éric Oternaud évoque la refabrique (lire notre article), dans une dynamique d’économie circulaire alors que seulement 2,8 % des foyers français achètent des voitures neuves. En 2021, 6 millions de voitures d’occasion ont été vendues contre 1,6 million de voitures neuves. Dans cette dynamique, Renault vient de dédié son usine de Flins (Yvelines) à cette activité de refabrique. La région a des atouts sur ce dossier assure Éric Oternaud, en rappelant que ce sont des emplois locaux et industriels ; le concessionnaire Nedey s’est déjà lancé dans l’aventure, dans le pays de Montbéliard. Des activités autour du retrofitage des véhicules, de l’électronique de puissance ou du recyclage des batteries sont aussi à envisager et à construire.
82 conseillers régionaux ont approuvé cette feuille de route. Les élus du rassemblement national se sont abstenus.
- 9 000 emplois industriels entre 2008 et 2019
Les délocalisations ont déjà destructuré les territoires et la filière automobile. Un mouvement qui s’est accéléré dans les années 2000. « La part de production des constructeurs français réalisée sur le territoire national a continument diminué passant de 60 % en 2000 à 24 % en 2017. En 2005, le secteur automobile français dégageait encore 9 milliards d’excédent. En 2019, le déficit commercial est de 15,3 milliards d’euros », détaille le bilan de la filière automobile, qui a été présenté en décembre par l’élu écologiste Éric Oternaud. « L’impact sur l’emploi a été important, la diminution de l’emploi dans l’industrie automobile a été deux fois plus intense depuis 2008 que celle de l’emploi de l’ensemble de l’industrie. De 2008 à 2019, l’industrie automobile a perdu 29 % de ses emplois en France et 32% en Bourgogne-Franche-Comté soit près de 9 000 emplois », note également la feuille de route automobile.