PSA a annoncé le transfert de l’activité liée à l’économie circulaire d’Hérimoncourt vers Vesoul. Élus et population sont sous le choc et l’ont montré ce lundi par une manifestation. Le constructeur français touche à un symbole de l’épopée industrielle Peugeot. On remonte le temps.
1818. Il y a plus de deux siècles. La famille Peugeot installe une première usine à Hérimoncourt, à Sous-Cratet, au bord du Gland. Elle transforme le moulin familial en fonderie d’acier. Elle y lamine des aciers pour faire des scies destinées au marché local. L’usine de Terre-Blanche, toujours existante, est inaugurée quant à elle en 1837. Toujours au bord du Gland. « Elle est dirigée par Jules et Émile Peugeot, fils de Jean-Pierre II, et spécialisée dans les outils forgés (marteaux, limes, tenailles, etc.) », informe le service patrimoine de Pays de Montbéliard Agglomération dans une note. Ces installations, dans la vallée du Gland, répondent à un besoin industriel. Au début du XIXe siècle, « l’industrialisation se fait au fil de l’eau », précise Pierre Lamard(1), historien de l’industrie à l’université technologique Belfort-Montbéliard (UTBM). Une industrialisation typique, en France. Cette rivière donnait la force hydraulique permettant le fonctionnement des machines. Cette logique d’installation a accompagné les Peugeot comme les Japy dans leur développement industriel tout au long du XIXe siècle.
Un marqueur historique
« [À sa création], l’usine compte (…) cinq roues hydrauliques, dix feux de forge, dix laminoirs et six fours. La société lance en 1840 la fabrication des moulins à café, dont la production annuelle atteint 150 000 unités en 1850, puis celle des tondeuses pour animaux (1869), des limes (1876), des pelles et bêches pour l’armée (1877), des fourches, etc., détaille la note patrimoniale. L’usine est alimentée en acier par le laminoir de Beaulieu à Valentigney et autorisée depuis 1862 à utiliser une machine à vapeur de 30 ch pour faire mouvoir l’outillage. » Le site emploie 35 ouvriers en 1837, 106 en 1841, 900 en 1889, 1 000 personnes en 1900 et 1926, 610 vers 1970. L’effectif est de 410 personnes en 2010.
« La vallée du Gland est un endroit symbolique, car c’est là qu’a démarré l’industrialisation du pays de Montbéliard », constate Pierre Lamard, pas surpris de l’émoi suscité par le déplacement de l’activité d’économie circulaire de Terre-Blanche vers Vesoul. S’il n’y a pas de suppressions de postes, cette décision est « traumatisante pour la population », acquiesce l’historien. Un traumatisme d’ordre historique. « Cette vallée industrieuse perd un marqueur historique. C’était la dernière usine », relève-t-il. Une décision d’autant plus difficile qu’elle ne semble pas avoir été préparée avec les collectivités – alors que tout le monde travaille sur Sochaux 2022 – et que la destinée d’une partie du site est en pointillés.
Lieu de mémoire
Ce choix stratégique n’est pourtant pas surprenant. Et l’adaptation n’est pas nouvelle dans la gouvernance de l’industriel. Les besoins industriels ont toujours guidé les choix de Peugeot dans son implantation. Si la force hydraulique est recherchée au début du XIXe siècle, l’industrie quitte progressivement les vallées. Et juste avant la Première Guerre Mondiale, en 1910, une usine est installée à Sochaux. « On a alors besoin d’horizontalité et on va installer la logique de la chaîne », décrypte Pierre Lamard. Même si la famille a toujours recherché à conserver des liens entre les usines – en créant notamment en 1918 un journal d’entreprise nommé Le Bulletin des usines – il y a toujours eu des restructurations des sites de Peugeot. Et l’usine d’Hérimoncourt ne fait pas exception. « Le site est profondément restructuré à la charnière des années 1980-1990 : 4 500 m² de bâtiments sont détruits, laissant place à 6 500 m² de constructions neuves, informe le service patrimoine de PMA. La production d’outillage électrique est arrêtée en 2001, suite à la cession de la filiale Fabrication d’Outillage Electrique. En 2011, le site abrite une triple activité : rénovation des moteurs et des boîtes de vitesse, fabrication de moteurs neufs (depuis 1992), ainsi qu’un service de collecte et de rénovation de pièces standard. »
Si le site d’Hérimoncourt est symbolique aux yeux de l’histoire industrielle de Peugeot, il l’est aussi au regard d’une autre activité de Terre-Blanche. Depuis 2010, le site accueille en effet les archives du groupe PSA. L’ancrage historique de Peugeot reste donc à Hérimoncourt. « Mais c’est une maigre consolation pour les salariés », concède Pierre Lamard. « Avec cette décision, PSA rappelle que les logiques d’hier ne sont pas celles d’aujourd’hui et qu’il n’y a rien d’immuable », conclut l’historien.
- (1) Il est directeur de l’institut de recherche sur les transports, l’énergie et la société – laboratoire recherches et études sur le changement industriel, technologique et sociétal (IRTES-RECITS). Il vient de publier un ouvrage, en décembre 2018 : La transition énergétique : un concept historique ?