En août 2025, un journaliste de L’Est Républicain de l’agence de Belfort, spécialisé dans les faits divers, est condamné pour l’agression sexuelle d’une collègue par le tribunal judiciaire de Montbéliard. Une information dévoilée par Le Trois, sous la plume d’Éva Chibane (lire notre enquête).
Le lundi 1er décembre, au cours de la matinée, le journaliste est convoqué par son responsable local. Quinze minutes plus tard, il quitte l’agence. Un mail est alors adressé aux collègues pour les avertir que le journaliste en question serait « absent ». « Sans préciser plus d’éléments », s’étonne-t-on en interne. Depuis, il n’est pas revenu. Les plannings de décembre sont revus pour pallier son absence. La directrice des ressources humaines a tenu, quelques jours plus tard, le même discours aux journalistes locaux. Le journaliste condamné sera absent. Mais on ne dit ni pourquoi. Ni pour combien de temps.
Selon nos informations, le fait-diversier est mis à pied dans l’attente d’une convocation à un entretien avec la direction générale des trois quotidiens régionaux que sont L’Est Républicain, Le Républicain Lorrain et Vosges Matin. De sources concordantes, cet entretien est programmé au mois de décembre ; c’est une procédure de sanction qui est entamée avec cette convocation à un entretien préalable à une éventuelle sanction disciplinaire. Un comité social et économique (CSE) de l’entreprise est programmé le 18 décembre. Le syndicat SNJ envisage justement d’aborder ce sujet.
« Indifférence coupable »
À la suite de notre enquête, le syndicat national des journalistes est monté au créneau pour vilipender l’attitude de la direction dans la gestion de ce sujet (lire le communiqué de presse ici). Le syndicat dénonce « la gestion calamiteuse » de la direction. Une enquête a bien été lancée convient le syndicat, après qu’une alerte a été formulée par la victime en 2023. Mais cette enquête est restée « inachevée », comme la qualifie le SNJ, dans un communiqué. « Sanctionné de deux semaines de mise à pied, l’agresseur a réintégré son poste à Belfort. Où la CDD, désormais reconnue comme victime par la justice, a dû le côtoyer, dénonce le syndicat, qui va encore plus loin : Et [elle a dû] subir l’impensable, c’est-à-dire travailler plusieurs mois dont des soirs et deux week-ends entiers avec lui au risque de se retrouver en tête à tête ! Dans l’indifférence coupable de la hiérarchie locale, qui a validé cet emploi du temps inacceptable. »
Si le syndicat juge durement la direction du journal à l’époque de l’enquête, en 2023, il ne baisse pas de ton à la lumière de nos révélations, début novembre. Il estime « irresponsable » d’autoriser « ce fait-diversier condamné pour un motif similaire, à couvrir des affaires et audiences d’agressions sexuelles ». « [Cela] engage l’intégrité de notre information et la crédibilité de L’Est Républicain, estime le SNJ, qui ajoute alors : La non-communication en interne et en externe place les journalistes de terrain dans une situation intenable auprès de leurs interlocuteurs. »
Le syndicat, qui dénonce une « légèreté inqualifiable et fautive », attend du groupe de presse Ebra et de son actionnaire le Crédit mutuel « de prendre les mesures nécessaires contre ceux de l’encadrement, jusqu’en haut de la pyramide, qui savaient depuis longtemps, n’ont pas agi et se sont tus, faisant la part belle à une omerta destructrice ».
Forte émotion dans les journaux
Face à l’émotion suscitée en interne par ces révélations, la direction générale a également communiqué auprès des salariés, le 7 novembre. Une lettre interne que Le Trois a pu consulter. « Le groupe Ebra a réaffirmé sa volonté d’une tolérance zéro en matière de violences sexistes et sexuelles », y écrit Christophe Mahieu, directeur général de L’Est Républicain, du Républicain Lorrain et de Vosges Matin.
Il a rappelé qu’une commission d’enquête interne a été mise en place lorsque la direction a eu connaissance des « signalements », en 2023. « À l’issue de ce travail, il est apparu qu’une partie des actes signalés se sont déroulés en dehors du temps et du lieu de travail relevant de la vie privée et/ou étaient prescrits, et ne pouvaient pas faire l’objet de poursuite disciplinaire », se justifie le directeur général. Qui ajoute ensuite : « Le droit du travail impose des règles strictes en matière de prescription, de proportionnalité et de respect du contradictoire. Je les ai respectées scrupuleusement, tout en affirmant clairement au collaborateur sanctionné que ces comportements étaient inacceptables et contraires à nos valeurs. »
Christophe Mahieu précise également dans ce courrier que « si d’autres faits devaient être reprochés à ce collaborateur, cela engendrerait immédiatement des sanctions plus lourdes pour assurer la sécurité et protéger la santé physique et mentale des salariés de notre entreprise ». Dans cette lettre, il ne fait, toutefois, « aucun commentaire » sur la décision judiciaire rendue au mois d’août. « En l’absence de nouveaux faits, je n’ai, en tant qu’employeur, aucune prérogative pour rouvrir une enquête ou alourdir la sanction », écrit-il encore aux collaborateurs des trois journaux.
Un mois plus tard, les lignes ont, semble-t-il, bougé, une nouvelle procédure étant lancée. Sollicité directement par téléphone, Christophe Mahieu ne veut pas « commenter » une procédure en cours.