Souvent, c’est l’entreprise familiale qui est vendue à un grand groupe. Là, c’est le contraire. Un établissement, qui appartenait à un groupe, est racheté par un jeune entrepreneur, qui en fait une entreprise familiale. C’est que l’entreprise en question, « La Ted » comme on dit dans le pays de Montbéliard, a toujours été associée à son nom de famille : Vampouille. Le 1er mai 2015, à 37 ans, Frank Vampouille rachète TED, située à Sochaux, au groupe Bancel ; son père, Johnny, avait dirigé la boite de 1972 à 1995. Dans son esprit, Frank Vampouille a donc bien « racheté la boîte de papa », décédé brutalement en 1995.
Il réalise alors « un rêve de gosse », confie le quadragénaire, 10 ans après le rachat. Ce diplômé des Arts et Métiers de Lille (Nord) avait travaillé auparavant pendant 12 ans chez Pertuy construction, une filiale du groupe Bouygues, intervenant sur des chantiers d’envergure de la région, comme l’hôpital Nord Franche-Comté de Trévenans, le site du Mittan ou à l’Ibis Style de Montbéliard. « Ma vie a été faite pour racheter la TED », analyse-t-il, a posteriori. S’il avait bien imaginé racheter la TED, il n’avait pas, par contre, vocation à façonner un groupe du secteur du bâtiment et des travaux publics 10 ans plus tard, le groupe V.
« Virus » de l’entrepreneur
Deux ans après avoir racheté la TED, il acquiert en effet l’entreprise Parietti. Une vieille dame du pays de Montbéliard, spécialisée dans la construction. Le patron voulait arrêter. L’entreprise était dans le dur et en redressement judiciaire. Il accepte d’y aller, mais pas seul. Il s’associe alors avec Patrice Munsch, un salarié de l’entreprise ; le dernier nommé prend le volet opérationnel en main. Lors de cette reprise, c’est le « virus » de l’entrepreneur qui parle, concède Frank Vampouille. « Je fonctionne à l’affectif, aux opportunités et à l’envie », avoue-t-il. Les deux entreprises avaient « des métiers complémentaires ». « Cela faisait sens », observe le chef d’entreprise. Surtout, cette acquisition lui donne « un nouvel élan », alors que le garçon aime fonctionner aux défis.
En 2020, en plein covid, c’est l’entreprise de travaux publics Lacoste, dans le haut Doubs, qu’il rachète (notre article). Là encore, c’est une rencontre. Il sympathise avec Bruno Lacoste à la fédération du bâtiment du Doubs. Il voulait prendre sa retraite. Frank Vampouille se positionne. Mais une fois encore, il n’y va pas seul. Il s’associe avec un ami, Denis Minguet, qui voulait quitter l’industrie automobile ; Denis Minguet prend aussi le volet opérationnel de l’entreprise. En 2021, les deux hommes vont plus loin en intégrant une ancienne activité de négoce de matériaux de Lacoste. Ils créent une filiale à part entière, sous enseigne Gedimat. Et elle est gérée par Sylvie Minguet, l’épouse de son associé chez Lacoste. « Ce sont toujours des aventures humaines », insiste Frank Vampouille. Il n’imagine pas l’entreprenariat sans cela, même à la TED, qu’il préside seul. Mais il s’appuie sur une équipe solide, dont une partie a été recrutée par son père. Le facteur humain, toujours.
Le chiffre d’affaires consolidé du groupe V s’élève à 30 millions d’euros en 2024 (exercice clos le 31 mars). Il y a dix ans, la TED enregistrait un chiffre d’affaires de 6 millions d’euros ; aujourd’hui il est de 13 millions d’euros en moyenne, chaque année. Le groupe V, ce sont 150 collaborateurs.
« Nous allons là où il y a un besoin de savoir-faire complexe »
Dans toutes ses maisons, le groupe a « une âme forte », pour reprendre l’un des termes du président. « Nous allons là où il y a un besoin de savoir-faire complexe. » Cet esprit n’est pas nouveau. Il a toujours habité son père. Il se souvient d’un été où il est revenu de vacances avec le coffre chargé de winchs, un système de treuil que l’on trouve sur les voiliers. Johnny Vampouille avait repris le système pour déplacer les coffrages lorsqu’il coulait du béton.
C’est que ses clients ne manquent pas d’exigence : Enedis, avec des chantiers menés dans zones de haute tension ; Stellantis, client historique pour qui la TED s’est installée à Sochaux ; ou pour le pétrochimiste LAT Nitrogen, sur le port de Mulhouse (Haut-Rhin), pour qui il faut une habilitation spéciale. La TED va prochainement intervenir chez Arabelle Solutions, à Belfort, pour construire le futur massif d’un tour de turbines à vapeur. Un massif en béton de 2 000 m3. Vertigineux. On se souvient aussi de ces interventions, à Stellantis, avec un hélicoptère, pour livrer ou évacuer des éléments. Souvent, ses entreprises interviennent alors que le client travaille encore, à l’instar des usines Stellantis, ajoutant une touche de complexité. « Tous les projets où on a besoin de réfléchir, ça nous intéresse », sourit Frank Vampouille.
« L’entreprenariat n’est pas un long fleuve tranquille », convient Frank Vampouille, en regardant dans le rétro. « Et cela ne va pas s’améliorer », estime-t-il. Le monde est mouvant. Instable. « J’espère que nous avons acquis la robustesse et l’agilité nécessaire pour traverser cela. » Mais il n’échangerait son bleu de travail pour rien au monde. Il est à sa place. Là où il rêvait d’être, sans le savoir, quand il était jeune. L’esprit d’entreprendre est là, pour pérenniser cette histoire. Une histoire inscrite dans le pays de Montbéliard. Où il investit. Ou il s’investit. Le groupe V est actionnaire du FC Sochaux-Montbéliard depuis 2023. Sa filiale Gedimat est sponsor du club. Surtout, dès qu’il peut soutenir un club ou une association, il le fait ; ce sont souvent ses collaborateurs qui amènent les idées. Une manière d’incarner ce qu’il appelle « une gestion patrimoniale de l’entreprise ». C’est ce qu’il déploie depuis 10 ans.
- Lire également notre hors-série, « L’art d’entreprendre en héritage », où l’on conte l’histoire de la TED : « TED, toujours au service de l’industrie. » : https://letrois.info/kiosque/lart-dentreprendre-en-heritage/