Loéva Claverie
Dans la maison de Jean-François Courtot, éleveur de chevaux comtois à Trévenans, des dizaines de photos sont dispatchées à travers les pièces. Certaines en couleur, d’autres en noir et blanc. Des années entières et plusieurs générations s’étalent sur les murs et les étagères. Dans sa famille, on est éleveur de chevaux comtois de père en fils. Son père, son grand-père et ses arrières-grands-parents avant lui ont fait naître, ont élevé et ont vendu des chevaux de trait. Après une brève interruption de l’activité, Jean-François a repris les rênes en 1984 et est propriétaire aujourd’hui de dix juments. Il est également président départemental de l’Association nationale du cheval de trait comtois (ANCTC).
« Avec neuf races de chevaux de trait, la France est le seul pays d’Europe à avoir autant de races en vie », s’enthousiasme Jean-François. Et le trait comtois les domine toutes. 3 500 naissances sont recensées en moyenne chaque année, contre 2 500 pour le cheval de trait breton – la deuxième espèce la plus répandue. À titre de comparaison, le cheval de trait boulonnais ne compte que 150 naissances par an.
Bien que la Franche-Comté soit le berceau du trait comtois, il est présent dans tout l’Hexagone, principalement dans les massifs montagneux. Jusque dans les Pyrénées-Atlantiques où se trouve étonnamment sa plus grande concentration. « C’est un cheval avec un caractère froid, explique Jean-François Courtot, qui détaille les atouts de l’espèce. Il est calme, bien dans sa tête la plupart du temps et donc relativement facile à utiliser. »
« Pouliner pour faire survivre »
Une fois dressé, le cheval de trait comtois va être utilisé pour le débardage en forêts – soit le déblayage des troncs d’arbres – ou dans les vignes car il ne tasse pas les pieds de culture, au contraire des tracteurs. Il peut également être utilisé en ville, pour du transport ou du ramassage d’ordures, selon Jean-François.
Mais le véritable enjeu de la filière est de « pouliner pour faire survivre » l’espèce dans le temps. « La reproduction est une affaire sérieuse, assure Jean-François Courtot. Même si c’est une affaire de quelques passionnés. Il y a onze mois de gestation ; c’est long. Il faut être très vigilant, c’est une surveillance de tous les instants. » Malgré tout, les gestations des juments comtoises n’ont un taux de réussite que de 50%. Sur ses dix juments, l’éleveur estime avoir trois à quatre naissances par an. Et pour les faire « saillir », il se tourne vers Angélique Perret, étalonnière à Grosne.

Âgée de 35 ans, elle a repris il y a quelques années l’activité à son mentor, Jérôme David, et est aujourd’hui la seule étalonnière du Territoire de Belfort à mettre à disposition ses chevaux pour la reproduction. Sur leur corps de ferme, situé au milieu du village, quatre étalons s’agitent dans leur boxe. L’un est un Texan, les autres sont Comtois. Mais sur les trois, seul celui âgé de trois ans est utilisé pour la reproduction. Avec sa couleur alezan crin lavé, et ses 800 kilos, l’imposant animal a remporté en 2024 les concours de Petitefontaine puis de Maîche (Doubs) ; et il s’est hissé jusqu’au Salon de l’Agriculture à Paris. Une « fierté » pour Angélique Perret. « C’est un gage de qualité d’avoir un étalon qui est allé à Paris. »
Les deux autres comtois, âgés de deux ans, doivent encore être certifiés comme chevaux de trait comtois. Ce samedi 19 juillet, à Petitefontaine, ils vont être évalués sous toutes les coutures pour vérifier qu’ils cochent tous les critères de l’espèce. Une forme de sécurité pour s’assurer d’une bonne survie de la race.
La viande équine, un gage de conservation de la race
« Si on ne peut plus utiliser les chevaux, ils vont disparaître », assure Jean-François Courtot. C’est ce qui a failli se passer, au sortir de la Seconde Guerre mondiale. Avec la révolution agricole et l’industrialisation, les chevaux de trait ont été relégués au second plan face aux tracteurs. Le retrait de l’État de la filière, avec la disparition des haras nationaux – l’institution étatique qui gérait les races équines en France – a porté un nouveau coup aux éleveurs.
Jean-François Courtot est lucide : « La boucherie a préservé le cheval de trait en France. » Et paradoxalement, elle continue de le préserver. « Il est clair que le jour où il n’y aura plus de viande, il n’y aura plus de filière cheval », promettait en début d’année Emmanuel Perrin, président de l’Association nationale du cheval de trait comtois au micro de France 3. Et ce n’est pas pour plaire à tout le monde. Le sujet a fait couler beaucoup d’encre en 2023, à la suite d’un reportage de l’émission Sur le front, sur l’envoi d’équidés au Japon. Brigitte Bardot avait alors publiquement interpellé Emmanuel Macron en lui partageant sa colère et son indignation.
« Ce n’est pas populaire ni à dire ni à faire, reconnaît Jean-François Courtot. Euthanasier un cheval et le déplacer, cela coûte cher. Alors, ce sont souvent des chevaux âgés qui sont consommés. Cela peut aussi être des poulains avec des difficultés à la naissance. Il y a pas mal d’envois en Italie, Suisse, Espagne. Quant aux Japonais, ils se sont intéressés à cette viande au début des années 2010. Avec la catastrophe de Fukushima, ils ne veulent plus manger de poissons. »
Et même si les éleveurs vendent leurs chevaux pour de la reproduction ou du travail, les animaux peuvent ensuite être vendus en tant que bétail par leur nouveau propriétaire. Les éleveurs peuvent néanmoins choisir d’écarter la consommation humaine en le stipulant sur leur carnet. Comme une pièce d’identité, il est propre à chaque cheval et contient entre autres leur nom, date et lieu de naissance.
Dix chevaux volés en 2025
Jean-François Courtot ne ferme pas les yeux sur cette nécessité de la filière qui, en plus, n’est pas au beau fixe. « Le problème, c’est la relève. La moyenne d’âge a tendance à monter, à Belfort, mais aussi ailleurs. » L’urbanisation croissante n’aide pas non plus les éleveurs. « Il faut un hectare de foin et un hectare de pâturage par jument, donc beaucoup de terrains. Aujourd’hui, seuls les agriculteurs peuvent sauver les chevaux comtois. Ils ont la place et un pâturage mixte avec une jument au milieu des vaches, ce serait bénéfique. Les chevaux mangeraient ce que les vaches ne broutent pas. »
Avec le changement climatique, les éleveurs font aussi face à une augmentation des tiques, qui apportent avec elles des maladies mortelles pour les chevaux. « C’est un problème sanitaire qui va s’aggraver dans les prochaines années », s’inquiète Jean-François Courtot.

Mais un autre danger est dans la tête de tous les éleveurs aujourd’hui : les vols de chevaux. Quatre avaient disparu en 2024 ; entre début mai et fin juin cette année, dix ont été volés. Trois à Chaux, deux dans le Jura, cinq dans le haut Doubs. Une enquête menée par le Parquet de Besançon est en cours pour les vols du Jura et du haut Doubs. Des chiffres confirmés par la gendarmerie, qui atteste d’un « sujet sensible » et qui appelle les éleveurs à la vigilance et à les contacter au moindre signe suspect.
« C’est traumatisant pour nous, surtout pour la personne concernée. Les vols ont lieu en début de nuit. Le temps qu’on s’en aperçoive le lendemain, ils sont déjà loin, déplore l’éleveur qui regrette l’absence de contrôles aux frontières européennes. Les animaux étant pucés, ils ne peuvent pas être amenés en abattoir en France. » Ne recevant aucune aide financière pour l’élevage, les éleveurs n’ont pas les moyens pour des caméras et se trouvent démunis face à ce danger. « On est pas du tout dans l’argent. On est au service d’une race finalement. »
Une race qui sera célébrée une nouvelle fois ce samedi 19 juillet, malgré le contexte tendu de la filière, au concours d’élevage de Petitefontaine.
- Samedi 19 juillet : de 9h à 18h, à Petitefontaine.