
À combien estime-t-on, globalement, les aides publiques distribuées aux entreprises en France ?
En premier lieu, nous nous étions tournés vers l’Administration centrale et Bercy [le ministère de l’Économie, NDLR]. Nous leur avons demandé de nous faire passer le tableau de bord des aides versées ou non encaissées, puisque cela peut être des exonérations de charges ou des allégements de charges. Nous nous sommes rendus compte qu’il n’y avait aucun tableau de suivi. Nous avons donc compilé les différentes aides versées en 2023 et les différents avantages fiscaux. Nous arrivons à un montant de 211 milliards d’euros.

Vous évoquez des subventions, des exonérations et des allégements. Mais qu’est-ce qu’une aide publique ?
Il n’y a aucune définition officielle d’une aide publique. Nous avons considéré comme une aide publique deux catégories : ce qui est versé aux entreprises pour aider un dossier dans un souci de compétitivité, de décarbonation ou de transition écologique ; et puis tous les avantages fiscaux et sociaux qui peuvent être alloués par des exonérations ou des allègements de cotisations.


Une partie de ces aides est enclenchée par les collectivités locales : communes et EPCI portent 40 % des aides et les conseils régionaux 25,6 %… L’État, c’est 19,7 %. J’ai été surpris de cette répartition.
Cela dépend des compétences de chacun. Les conseils régionaux ont la compétence économique et les communautés de communes ont aussi une compétence en immobilier d’entreprise. Quand nous parlons des 211 milliards, cela ne concerne que des aides publiques d’État, sans compter les aides publiques européennes aux entreprises ou les aides aux entreprises des collectivités territoriales. Au niveau du montant, c’est une partie beaucoup plus petite que ce qui est versé par l’État. Par contre, nous avons [recensé] 2 252 dispositifs différents d’accompagnement aux entreprises ; 40 % de ces dispositifs ont été mis en place par les collectivités territoriales.

Qu’est ce qui a motivé le déclenchement de cette commission d’enquête ?
En novembre 2024, il y a eu des annonces de fermetures de sites, de délocalisations et de licenciements par deux groupes, en deux jours : Auchan, qui a fermé 10 magasins et licencié un certain nombre de salariés ; et le groupe Michelin, qui a annoncé des fermetures de site et des licenciements également. Cela a interpellé le groupe communiste au Sénat, qui a décidé de faire valoir un droit de tirage sur une commission d’enquête (le rapport est à retrouver ici), qui a été validé [Le communiste Fabien Gay a pris le poste de rapporteur et Olivier Rietmann, président de la délégation sénatoriale aux entreprises, a été élu président de la commission. Ils étaient 19 dans cette commission, NDLR].


Vous, le libéral, avez mené cette commission avec le communiste Fabien Gay. Ce n’est pas l’association la plus intuitive… Qu’en retirez-vous ?
Cela prouve que les élus ont la capacité, malgré nos convictions différentes, de produire un travail de fond et de consensus. Sur ce genre de rapport, soit vous faites preuve de consensus, vous mettez l’intérêt général au-dessus de tout et le rapport avance [le rapport a été adopté à l’unanimité des membres de la commission, NDLR], soit vous restez sur des postures politiques et le rapport ne sort jamais. J’avais dit à Fabien Gay que l’intérêt général était de sortir quelque chose, que nous ne fassions pas ces auditions pour rien. Je suis un libéral et je l’assume. Fabien Gay est tout sauf libéral, mais il est également chef d’entreprise et il en connaît le fonctionnement. Je remercie Fabien Gay pour sa volonté constructive.

Vous avez émis 26 propositions (à retrouver ci-dessous) autour de quatre thèmes : transparence, rationalisation, responsabilisation et évaluation.
Le chiffre de 211 milliards n’est absolument pas mis en cause. Nous ne considérons pas que les aides publiques sont de la gabegie ou que l’on jette de l’argent par les fenêtres. Nous ne considérons pas que ce chiffre est exagéré, surtout quand nous regardons les aides versées par les pays qui nous entourent, encore plus si nous regardons les États-Unis et la Chine. Nous ne sommes pas les plus jusqu’au-boutistes du monde dans ce domaine. Il y a un accompagnement plutôt raisonné des entreprises.
Ce qui ressort, c’est l’absence de transparence (la commission demande la création par l’Insee d’ici au 1er janvier 2027 d’un tableau annuel détaillé des aides), puis d’évaluation qui permet de dire : « Tel dispositif fonctionne, il faut le continuer voire l’augmenter ; tel dispositif a des lacunes, il faut le diminuer, voire le supprimer. » On s’aperçoit aussi qu’à chaque problématique, la réponse systématique, c’est : « Combien ? » Pourtant, ce n’est pas forcément ce que demandent les chefs d’entreprises : ils attendent [parfois] un allègement des normes, plus de clarté et moins de complexité.
Ensuite, c’est la rationalisation et la responsabilisation. Quand une entreprise a touché les aides publiques et qu’elle délocalise ou qu’elle licencie, ça provoque de la colère. Mais, à leur décharge, dans tous les dispositifs d’aides, il n’y a aucune conditionnalité. Les Régions le font, mais pas au niveau de l’État. Nous demandons que dans les dossiers d’accord des aides, il y ait des conditions. Cela s’appelle un contrat. Nous prônons aussi davantage les avances remboursables. Autre concept que nous avançons : on ne va accompagner financièrement que des dossiers qui manquent d’un peu de subventions pour être viables. Mais un dossier qui est rentable sans aides publiques ne doit pas être aidé. Il faut rationaliser.

Vous évoquez deux mécanismes qui existent dans le nord Franche-Comté : la conditionnalité, que l’on retrouve avec le fonds Maugis, autour de la création d’emplois ; et les avances remboursables, pratiquées par Aire Urbaine Investissement (lire notre article) depuis plusieurs décennies…
On se rend compte que les Régions font plus d’avances remboursables et mettent également des conditions… Sur les conditions, je pense que l’on peut mettre une [clause sur les] délocalisations. On apporte une aide à un dispositif ou à un développement industriel avec la condition que, si dans les deux ans, ce qui a été construit grâce aux aides était délocalisé, il y aurait un remboursement. Je pense aussi que l’on peut mettre des conditions sur la création d’emplois, mais pas, par contre, sur le maintien de l’emploi. Pourquoi ? Parce que la situation de l’entreprise au moment elle demande l’aide n’est pas forcément la même un an, deux ans ou trois ans après. On ne peut pas le prévoir. Une délocalisation, c’est plutôt les grands groupes. Cela ne se prévoit pas deux mois à l’avance. Autant les licenciements, ce n’est pas quelque chose que vous anticipez. C’est une décision de dernier recours. Alors ajouter une difficulté de remboursement d’aides – donc de trésorerie – à une entreprise déjà en difficulté, je ne vois pas l’intérêt.

Vous évoquiez le contrôle des entreprises. Comment positionne-t-on les aides publiques dans les entreprises sur lesquelles on a des soupçons d’évasion fiscale ?
Les aides publiques aux entreprises, ce n’est pas une question de contrôle, puisque le contrôle est fait, mais c’est une question de conditionnalité. On peut citer le cas de STMicroelectronics. Lors du covid, avec la rareté des semi-conducteurs, il y a eu une décision d’accompagner l’entreprise, avec les Italiens, puisqu’aujourd’hui, les deux premiers actionnaires de STMicroelectronics sont l’État français, à travers BPI, et l’État italien. STMicroelectronics a bénéficié pour sa recherche et développement de plus de 50 % d’aides de l’État. Premier problème : sur les cinq dernières années, STMicroelectronics n’a, pour ainsi dire, pas payé d’impôts en France, grâce à des montages financiers et à de l’optimisation fiscale. Et deuxième problème : [l’entreprise] réalise l’industrialisation issue des résultats de cette recherche en Chine et supprime mille emplois en France. Il y a un problème avec certaines entreprises, pas beaucoup, qui sont très aidées, mais qui ne paient pas pour autant leurs impôts en France grâce à de l’optimisation fiscale.


La filière hydrogène est en cours de reconfiguration. Comment regardez-vous les aides accordées, malgré les échecs ?
Dans un rapport de la délégation sénatoriale aux entreprises, nous avons noté une chose. Nous faisons énormément de com’ sur le fait qu’on aide des startup, des entreprises innovantes, notamment dans les nouvelles énergies décarbonées et renouvelables. Mais on ne va pas au bout des choses. On apporte de l’argent, quand elles font des levées de fonds, mais on demande très vite des résultats probants pour continuer à aider. Finalement, on arrête vite les aides, alors que l’on sait très bien que ce sont des entreprises à qui il faut du temps. L’État est là au départ, mais on ne suit pas assez sur le long terme. Des entreprises se lancent, font un bon départ, mais s’arrêtent, alors que, dans d’autres pays, l’État les accompagne beaucoup plus longtemps.