Angela Schnaebele – AFP
« Goodyear Operations confirme avoir été informée de sa mise en examen dans le cadre d’une instruction en cours, en lien avec certains accidents de la circulation de véhicules poids lourds datant de 2014 et 2016″, a annoncé une porte-parole de la multinationale américaine à l’AFP. « Goodyear Operations apportera sa pleine coopération dans le cadre de cette instruction », a-t-elle ajouté.
Le représentant légal la SAS Goodyear Operations, qui a produit les pneus incriminés et dont le siège est au Luxembourg, a été convoqué mardi par un juge d’instruction de Besançon dans une enquête ouverte pour « homicides involontaires », « tromperie sur les qualités substantielles d’une marchandise » et « pratiques commerciales trompeuses ». Le parquet de Besançon, contacté par l’AFP, n’a pas souhaité s’exprimer à ce stade de la procédure.
« Étape cruciale »
Le représentant d’une deuxième entité de Goodyear, la SAS Goodyear France, distributeur des pneumatiques dans l’Hexagone, est pour sa part convoqué mercredi devant le magistrat bisontin dans le cadre de la même affaire. « Goodyear doit répondre au juge d’instruction à une question simple : savait-il ? Et s’il savait, pourquoi rien n’a été fait pour retirer du marché leurs pneumatiques et ainsi éviter ces drames ? », s’est interrogé mardi dans un communiqué Me Philippe Courtois, l’avocat de Sophie Rollet, veuve d’un chauffeur routier qui a révélé l’affaire à la justice (Relire tous nos articles).
Le juge Monnier doit décider, pour chacune de ces personnes morales, de leur mise en examen ou non pour « homicides involontaires », « tromperie sur les qualités substantielles d’une marchandise » et « pratiques commerciales trompeuses », comme annoncé en avril dernier par le procureur de Besançon, Etienne Manteaux. Ces deux derniers chefs feraient encourir au troisième fabricant mondial de pneus « une amende maximale qui peut monter jusqu’à 10% de son chiffre d’affaires », avait souligné M. Manteaux, qui a depuis quitté Besançon.
Les auditions des représentants de Goodyear est « une étape cruciale » et « leurs mises en examens seraient un signal fort », selon Me Courtois qui estime que « pendant des années, des victimes ont été ignorées, des faits étouffés, et les dangers pourtant connus ont été volontairement minimisés ».
Toujours disponibles
L’enquête porte sur trois dossiers de collisions mortelles impliquant des poids lourds équipés de pneus Goodyear dans la Somme, le Doubs et les Yvelines, en 2014 et 2016, qui ont fait quatre morts au total. Elle a donné lieu en mai 2024 à des perquisitions chez Goodyear en France, au Luxembourg et au siège européen de l’entreprise à Bruxelles.
D’après les investigations, les accidents ont été provoqués par l’éclatement du pneu avant gauche des camions, faisant perdre le contrôle du véhicule aux chauffeurs. Pour chacun de ces dossiers, des experts différents ont conclu que l’éclatement de ces pneus Goodyear Marathon LHS II ou Marathon LHS II+ n’était pas dû à une cause extérieure mais à un défaut de fabrication. Il est reproché au géant américain d’avoir eu connaissance de ce défaut sur ces deux modèles, mais de ne pas en avoir averti ses clients.
À partir de 2013, Goodyear a mis en place des « programmes volontaires d’échange », ce qui lui a permis de récupérer environ 50% des équipements incriminés. Mais le groupe n’a pas procédé à une campagne de rappel « impératif » des pneus concernés, dont certains sont toujours disponibles sur des sites de ventes d’occasion en Europe de l’Est, selon le procureur.
"Dissimulation"
Étienne Manteaux avait fustigé une pratique « systémique de dissimulation » destinée à ne pas « induire de perte de confiance chez les consommateurs ». Les accidents auraient « peut-être » pu être évités si l’entreprise avait enclenché un programme de rappel, selon lui.
Les dossiers de quatre autres collisions similaires survenues entre 2011 et 2014 dans l’Hérault, l’Indre et l’Isère, dans lesquelles trois personnes sont mortes, ont par ailleurs été versés à l’instruction à titre d’information, les faits étant prescrits. Ces drames n’ont pas concerné que la France. « Je crois qu’il y a eu des accidents dans toute l’Europe », avait estimé M. Manteaux, précisant avoir reçu « plusieurs messages d’intérêt » de différents pays.
« Il y aura une offre de service de porter à la connaissance d’autres pays européens les éléments recueillis dans le cadre » de l’enquête réalisée en France, avait-il dit. L’enquête avait été ouverte en 2016 à Besançon après le dépôt de plainte de Sophie Rollet, veuve de Jean-Paul Rollet, un chauffeur routier de 53 ans décédé en juillet 2014 dans un accident sur l’autoroute A36 dans le Doubs.