AFP par Angela Schnaebele
Gustave Courbet (1819-1877) avait déjà une réputation sulfureuse pour avoir été l’auteur en 1866 de L’Origine du monde, tableau réaliste d’un sexe féminin exposé au musée d’Orsay. Mais ses missives ne sont pas non plus à mettre entre toutes les mains. “Il y a 40 ou 50 ans environ, une personne remit au conservateur d’une bibliothèque publique des lettres scabreuses ornées de dessins, écrites à une dame par une personnalité célèbre du XIXe siècle”.
Le 15 novembre 2023, l’oeil d’Agnès Barthelet tombe par hasard sur ces quelques mots, posés sur une feuille à en-tête de l’Assemblée nationale qui surmonte une pile de vieilles lettres manuscrites, dans le grenier poussiéreux de la Bibliothèque d’étude et de conservation de Besançon. “Cette petite pile bien rangée, ça a piqué ma curiosité”, se souvient avec émotion la bibliothécaire. “Quand on a commencé à feuilleter la pile, on s’est dit « Tiens, il y a un certain Gustave », puis on a vu une enveloppe adressée à M. Gustave Courbet… Là, chacun a réagi différemment. Moi, je crois que j’étais un peu paralysé, je ne m’attendais pas à ça”, confie le conservateur des lieux, Pierre-Emmanuel Guilleray. Leur découverte : une correspondance complète échangée de novembre 1872 à avril 1873 entre Courbet et Mathilde Carly de Svazzema, dame de la bonne société parisienne, malheureuse et abandonnée par son mari. Vingt-cinq sont de la main de Gustave, 91 de Mathilde.
"Secrète"
“Chère Putain (…), tu sais que je donnerais je ne sais quoi en ce moment pour sucer ton c…, mordre tes poils dorés, ta motte et dévorer tes grands tétons pointus”, écrit Courbet, avant un passage encore plus torride. Mathilde n’est pas en reste. “J’aurai mon c… tout prêt à recevoir les sensations qu’il te plaira lui faire éprouver”, lui répond-elle. A cette époque, le peintre se trouve à Ornans, sa ville natale située à 15 km de Besançon, et elle à Paris.
Ces lettres ont probablement été confiées vers 1905 à la bibliothèque par les héritiers du Dr Blondon, exécuteur testamentaire de Courbet, qui ne s’est jamais marié et dont l’unique fils est mort jeune. Consigne avait été donnée de ne pas les rendre publiques en raison de leur caractère sulfureux. Le secret s’est transmis de conservateur en conservateur, jusqu’à être oublié.
“Ce sont les seules lettres référencées et connues de Courbet au contenu érotique”, souligne Henry Ferreira-Lopez, directeur des bibliothèques municipales de Besançon. On y lit “beaucoup de sensibilité et (sa) conception très moderne des relations entre hommes et femmes”, selon lui. Pour la maire de Besançon, Anne Vignot, plus d’un siècle après la rédaction des missives, le temps du secret est révolu. “Ces lettres ont disparu depuis 135 ans. Il nous était impossible de garder secrète une telle découverte”, qui apporte “un aperçu intime et fascinant sur la psychologie de Courbet à cette période compliquée de sa vie”.
Désabusé
Le peintre est à cette époque un homme désabusé. Tout juste libéré après avoir été emprisonné pour son rôle durant la Commune de Paris, il est menacé de devoir restaurer à ses frais la colonne Vendôme. Il se sent vieux, malade, sans avenir, même si son succès public ne se dément pas. Sa rencontre épistolaire avec Mathilde lui permet d’entrevoir une possible renaissance et d’exprimer à la fois ses doutes, ses espoirs et sa conception d’une vie sentimentale et sexuelle accomplie.
Mais après cinq mois d’échanges torrides, se sentant abusé par sa dulcinée, le chantre du réalisme interrompra la relation. Les amants ne se rencontreront jamais physiquement. Par peur d’être de nouveau emprisonné, Courbet quitte définitivement la Franche-Comté pour la Suisse en juillet 1873.
La municipalité organise du 21 mars au 21 septembre 2025, à la Bibliothèque municipale de Besançon, l’exposition “Courbet, les lettres cachées. Histoire d’un trésor retrouvé”.