Quand Pascal Picq est né, en 1954, il y avait 2,6 milliards d’êtres humains sur Terre. Aujourd’hui, la population mondiale s’élève à 8 milliards d’individus. Alors, en France, l’espérance de vie d’un homme était de 65 ans et d’une femme, de 71,2 ans. En 2019, selon l’institut national de la statistique et des études économiques (Insee), cette espérance est de 79,8 ans pour un homme et de 85,7 ans pour les femmes. Elle a cru de 15 ans, en un demi-siècle. Du jamais-vu à l’échelle des humanités. C’est une évolution quantitative et qualitative extrêmement rapide d’Homo sapiens.
Sur les notes biographiques, Pascal Picq est présenté comme un paléoanthropologue ; ces scientifiques étudient l’évolution des différentes espèces humaines, notamment grâce aux fossiles, le préfixe paléo renvoyant à ancien. Pascal Picq se définit plutôt comme un anthropologue de l’évolution. « Mon travail, c’est de voir les évolutions humaines et d’observer les évolutions qui se font aujourd’hui », note-t-il. Il n’est pas seulement inscrit dans le passé. Il observe aussi le présent et les évolutions que cela impliquent. Ce scientifique de renom, âgé de 70 ans, est présent à Belfort ce vendredi 22 novembre ; il participe à la 10e édition du TEDxBelfort, lancé en 2014.
Au cours de son talk, comme on dit dans le jargon TEDx-nesque, il évoquera l’évolution, l’évolution de l’espèce humaine, mais surtout l’évolution que l’on observe actuellement. Pascal Picq de rappeler les fondamentaux : l’espèce humaine est une espèce particulière, disposant d’une plasticité forte, tant morphologique, physiologique, que cognitive, lui permettant d’évoluer. Depuis homo erectus, les humains ont même la capacité « à transformer l’environnement ». La cuisson a notamment été inventée par Homo Erectus, lui permettant d’accéder à plus d’aliments, notamment les légumes. « Dans le Sud d’Israël, il y a 800 000 ans, on cuisinait du poisson et des légumes », témoigne, à titre d’exemple, Pascal Picq. Cela entraîne une augmentation de la taille corporelle et de la taille du cerveau. « Très rapidement, ils vont s’installer dans tous les environnements, replace Pascal Picq. Ils acquièrent une puissance écologique comme jamais, dans l’histoire, car ils peuvent aller dans tous les environnements. »
L’avenir de Sapiens menacé
Avec l’arrivée de l’agriculture, il y a 10 à 12 000 ans, on invente le travail, la sédentarisation et la concentration de l’habitat ; c’est une seconde évolution marquante de l’espèce. « Les peuples agricoles ont perdu 30 % de robustesse musculo-squelettique et 200 cm3 de cerveau, par rapport à l’homme de Cro-Magnon, qui vivent dans des économies de cueilleurs-chasseurs », indique-t-il. Un témoignage de la plasticité de l’espèce humaine et de sa capacité d’évolution. Dans l’évolution humaine, la transformation la plus incroyable et la plus rapide est celle de la génération du baby-boom. En une poignée de décennies, l’espérance de vie en bonne santé d’un être humain a bondi.
Julian Huxley, biologiste, est président de l’Unesco. Il conceptualise alors le transhumanisme, mais dans une acceptation bien différente des idéologies actuelles. Son idée : améliorer l’environnement dans lequel nous vivons afin d’exprimer des potentialités jamais vues de l’espèce humaine.
Force est de constater, qu’aujourd’hui, l’environnement ne s’améliore pas : l’urbanisation, la pollution, la numérisation. Depuis deux décennies, le monde est bousculé. Et de plus en plus rapidement. Des éléments qui peuvent, corrélés à la plasticité de l’espèce, se retourner contre Sapiens. « Cette plasticité nous met en danger », convient l’anthropologue de l’évolution. « Est-ce que Sapiens pourra se maintenir sur Terre après 2050 ? » questionne-t-il alors. Pascal Picq n’est pas inquiet sur notre capacité à nourrir 9 ou 10 milliards d’êtres humains ; Les Nations unies envisagent 9,7 milliards d’humains en 2050 et 10,4 milliards en 2100. Lui s’inquiète de l’avenir de l’espèce dès 2050, observant la baisse de la libido et de la fertilité, facteurs limitant de la reproduction. Et de citer une anecdote : « J’ai donné, il y a quelques mois, une conférence pour des acteurs de l’assurance. Ils étaient inquiets par la hausse des coûts de santé liés au vieillissement des baby-boomers. Je leur ai dit que le problème, c’était déjà la jeune génération, dont la moitié ne va pas bien du tout : elle ne bouge plus, elle est devant les écrans, elle est en surpoids, elle a une perte de libido… » Selon lui, cela traduit « une situation de mal-évolution », qui « touche l’avenir de sapiens de manière immédiate », alerte Pascal Picq.
« Notre cerveau est fainéant »
Pour décrire la situation, il invoque le syndrome de la Planète des singes, mis en scène dans le roman de science-fiction éponyme de Pierre Boulle, publié en 1963. Dans ce livre, on ne parle pas d’un coup d’État à la sauce Hollywoodienne, on évoque la prise du pouvoir par les singes sur les êtres humains, car ces derniers « ont cessé d’être actifs physiquement et intellectuellement », note Pascal Picq. « C’est prémonitoire, met en garde le scientifique. Il avait anticipé, il y a 60 ans, le syndrome de mal-évolution lié au confort et à ses effets négatifs. »
Les évolutions sociétales ne touchent pas que le corps. Elles touchent aussi l’esprit. C’est, dans ce cadre, qu’il émet quelques réserves à l’égard de l’intelligence artificielle ou des réseaux sociaux. « La paresse amène la déliquescence humaine », note-t-il. Et « la paresse cognitive risque de l’accélérer de manière foudroyante », juge Pascal Picq, qui précise ne pas être anti-technologie, mais appelle à un sursaut d’éducation à leur sujet. L’économie de l’attention cultive la réaction et les émotions, au détriment de la réflexion. Elle tue le débat. Elle fragmente. L’immédiateté enterre le temps long. « La réflexion, l’amitié, la construction d’une passion se font sur la durée », replace le chercheur.
Les connaissances existent pour déterminer ces risques. Malgré tout, changer est difficile. « Notre cerveau est fainéant et si on ne le bouscule pas, il se détériore », valide Pascal Picq. D’ajouter : « Nous avons tendance à préserver les acquis plutôt que de faire le pari du changement, explique l’anthropologue. Les acquis sont les pires obstacles au changement. » C’est le défi de notre temps : « Redevenir Sapiens. » Pour reprendre la main sur notre évolution, afin d’assurer les conditions de son avenir. Au risque de disparaître.