Le Trois –

Gudule, le parcours professionnel d’un clown de la Chiffogne

Alexis Mosimann, alias Gudule, un clown professionnel qui a débuté aux Clowns de la Chiffogne. | ©Le Trois – Thibault Quartier
Portrait

Alexis Mosimann, alias Gudule, est clown professionnel. Il a débuté sur la scène des Clowns de la Chiffogne, à Montbéliard. Il est aussi comédien et metteur en scène. Ce Courcellois, qui a créé sa compagnie au printemps, présente son premier spectacle, les 9 et 10 novembre, à Courcelles-lès-Montbéliard, « C’est quand qu’on vit, vraiment ? ». Un récit grinçant sur la mort et la vieillesse. Portrait.

L’Un sans l’Autre. C’est le nom de la compagnie de théâtre d’Alexis Mosimann, 27 ans, créée au printemps. L’un dans l’autre, ce nom en dit tellement de l’artiste. De ses va-et-vient. De ses doutes. De ses peurs. De ses choix. De ce qui se mêle et s’entremêle dans une vie, à l’image de ce premier spectacle qu’il présente à Courcelles-lès-Montbéliard les 9 et 10 novembre. Cette compagnie est née le 24 mai 2024. Un acte de naissance en forme d’hommage à son grand-père, le pépère Michel, disparu au printemps 2015. Un aïeul dont les traits sont repris par le personnage monté de toutes pièces par Alexis Mosimann, Le Fernand, dans le spectacle « C’est quand qu’on vit, vraiment ? »

Le Fernand a 88 ans. L’âge de son grand-père lorsqu’il est décédé. Le spectacle vient gratter notre rapport à la mort. Et à la vie. Ou à la vie et à la mort. « On s’emmerde la vie pour trois fois rien, c’est qu’on a tendance à oublier qu’un jour, ce sera fini », interpelle justement le Fernand. D’ajouter : « Pis, c’est bien beau de toujours penser qu’on va mourir, mais moi j’me questionne, c’est quand qu’on vit vraiment ? » Le spectacle se veut grinçant. Questionne la vieillesse, la souffrance, la solitude, l’attente. « À part le facteur, il n’a pas beaucoup de visites », décrit le jeune metteur en scène en présentant la vie du veuf Fernand. « Je brise le tabou social de la mort », analyse Alexis Mosimann, qui a fait ses premiers pas sur les planches, aux Clowns de la Chiffogne (lire notre article), à l’âge de 6 ans. Deux décennies plus tard, le Courcellois est diplômé de l’école internationale de théâtre de Bruxelles, l’école LASSAD.

S’il interroge la mort, Alexis Mosimann règle aussi ses comptes avec elle. Depuis son plus jeune âge, la mort est une angoisse. À l’inverse, il a toujours entendu son grand-père Michel dire « que ça lui tardait ». Allez comprendre cette différence. « Fallait que j’arrête d’avoir peur pour vivre complètement », confie-t-il depuis la maison de ses parents, rue de Voujeaucourt, à Courcelles-lès-Montbéliard. Et d’avouer : « En même temps, on la vivra tous. » Philosophe, le clown. Ou poète, peut-être. Sûrement les deux, à l’image de ces deux moitiés de masques inspirés de la Commedia dell’arte tatoués sur ses triceps, qui s’assemblent lorsqu’on regarde le comédien de dos, les bras le long du corps.

« On cohabite bien ensemble »

Alexis Mosimann est clown professionnel. Avec son nez rouge et son béret, ce sont les expressions de Gudule qui s’expriment. Il intervient avec l’association Cœur de clown, auprès d’enfants malades dans les hôpitaux ou de personnes âgées dans les Ehpad. Il a découvert le théâtre, ado. Il lui manquait alors quelque chose, avoue-t-il aujourd’hui. Il a notamment suivi l’option théâtre, au lycée Cuvier de Montbéliard. Mais le clown n’est jamais très loin.

Dans son spectacle, il brise le mur du théâtre pour profiter de l’oreille attentive du public, une pratique si chère aux clowns. « Je suis en frontal avec le public », prévient l’artiste. Et le Fernand, c’est un clown, finalement. Un clown « humain », qui a morflé. Un « personnage » comme on dirait. Il parle des travers de la société, « comme le fait le clown derrière son nez rouge. Il a « une inspiration clownesque et bouffonesque », valide Alexis Mosimann. « Je profite d’être caché derrière le personnage de Fernand pour dénoncer ces travers », observe-t-il. Le script, il l’a écrit en une dizaine de jours au printemps. Il savait ce qu’il voulait dire. Un premier travail dans la ferme d’une amie au début de l’été puis une résidence au Théâtre du Pilier, à Giromagny, en septembre, ont permis la mise en scène.

« Le théâtre m’amène beaucoup plus à jouer un rôle alors que mon clown est beaucoup plus proche de moi », détaille Alexis Mosimann. Le clown fait partie de lui. « Fernand, j’ai dû le « rencontrer » », explique-t-il. Si Fernand a été « apprivoisé », il a quand même été nourri par Gudule, qui a une dizaine d’années. « Dans sa tête, il a beaucoup moins », sourit-il. « Mais je l’aime bien. On cohabite bien ensemble », se marre Alexis Mosimann. Gudule ou Fernand, qu’ils soient ou non avec un nez rouge, sont des personnages importants. Ils disent des choses qu’on ne pourrait pas dire dans “la vraie vie”. Surtout à 27 ans. « Je me sers de lui », dévoile le metteur en scène. De lui ? D’eux ? Des deux, évidemment, à l’image de cette identité artistique qu’il construit depuis sa tendre enfance.

Cette place du clown dans le spectacle qu’il vient de monter est « inconsciente », acquiesce Alexis Mosimann, qui libère un autre lui depuis plus de 20 ans, lorsqu’il se pare de son fameux nez rouge. Sous les traits de Gudule, se dissimule-t-il pour autant ? « Non, répond-il, catégorique. On fait apparaître d’autres choses. On se permet beaucoup de choses. On se met à nu, en se cachant derrière un nez. » Une belle définition de son art.

Les uns et les autres

Professionnel, il en rêvait. Il l’est aujourd’hui. Et veut vivre de son activité artistique. C’est terminé les p’tits boulots. Il lui a bien manqué de la confiance en lui, par moment. Mais il passé le pas. Certains ont su lui insuffler le souffle nécessaire pour se lancer. Son prof de théâtre au lycée, par exemple. Son directeur d’école à Bruxelles, où il est parti pendant deux ans, pour « se professionnaliser », après avoir obtenu en cinq ans une licence Art du spectacle, option théâtre ; « j’étais pas très scolaire », pouffe-t-il, sous l’œil bienveillant de sa maman.

À Montbéliard, on est fier de ce parcours. « C’est un parcours exceptionnel », applaudit Bruno Kolanek, le président des Clowns de la Chiffogne, admiratif. « C’est un bel accomplissement », embraie-t-il. Aujourd’hui, « le clownet » d’hier revient à la Chiffogne pour mettre en scène le spectacle des clowns de la Chiffogne et redonner ce qu’il a reçu. La première fois, c’est l’iconique Broc, le créateur de l’association, qu’il l’a accueilli. Il s’en souvient. Il n’avait pas l’âge pour intégrer le cours, qu’il avait rejoint en suivant sa meilleure amie. Mais le clown l’a mis à l’essai. Un nez rouge sur le nez et un chapeau sur la tête. Derrière le paravent, son cœur battait la chamade. Ça résonne encore 20 ans plus tard. « J’étais mort de trouille. Je me souviens de ce poids sur la poitrine. » Une fois sur scène, le poids s’est envolé. Il ne voulait plus la quitter. Il avait trouvé sa voie, qu’il est toujours en train de construire. Avec Gudule, son clown. Avec Fernand, son premier personnage de pièce de théâtre, marqué de sa vie, qu’il va présenter à Courcelles-lès-Montbéliard, chez lui. Alexis. Gudule. Fernand. Michel… Ce n’est pas l’un sans l’autre. C’est l’un et l’autre. Les uns et les autres.

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