« Je suis venu au marché, moi », sourit, surprise, Sonia Louchene. Entre l’étal du boucher et celle d’un primeur du marché de la Petite-Hollande, quartier populaire de Montbéliard, cette femme âgée de 40 ans ne pensait pas ouvrir éventuellement un nouveau chapitre de sa vie professionnelle. Elle vient de se saisir d’un prospectus évoquant les 450 recrutements à l’usine Stellantis de Sochaux, située à une poignée de kilomètres de là. Au milieu du marché, le constructeur a installé des tonnelles pour accueillir les candidats, une oriflamme à l’effigie de la marque Peugeot et une Peugeot e-3008 trône fièrement à l’entrée du marché.
À partir du 4 novembre, le constructeur met en place une troisième équipe, de nuit (lire notre article), pour produire les nouveaux modèles Peugeot 3008 et Peugeot 5008 ; en termes d’effectifs, cela représente le volume d’une demi-équipe. Pour accompagner cette campagne de recrutements, Stellantis a mené trois opérations d’informations et de recrutement à Valentigney, Audincourt et Montbéliard. « C’est une première », confirme Séverine Brisson, en charge de la gestion de l’emploi du site Stellantis de Sochaux. Une opération en « complément » de ce qui est mené avec les agences de travail temporaire.
« Toute personne qui passe est un potentiel candidat »
« On veut aller vers les personnes », explique Brice Gaisser, responsable de l’équipe dédiée aux entreprises à l’agence France Travail Montbéliard-Hexagone, à la Petite-Hollande. « Nous allons vers les personnes les plus éloignées de l’emploi et qui ne viennent pas nous rencontrer », abonde Nathalie Gaillot, la directrice de l’agence. C’est aussi une manière d’informer qu’il y a du « recrutement », alors que le bassin de Montbéliard enregistrait 8,9 % de taux de chômage à la fin du 2e trimestre 2024, contre 7,3 % à l’échelle nationale. Et dans les quartiers prioritaires, « généralement, on double [ce taux] », appuie Marie-Pierre Granjon, directrice du pôle entreprises et territoire d’Idéis, qui porte la Mission locale. Ce sont « des recrutements qui pourraient être difficiles », convient-elle. « Il y a besoin de travailler en consortium », ajoute la travailleuse sociale, évoquant la coopération de ce « réseau pour l’emploi » entre le constructeur automobile, France travail, Ideis, les collectivités locales et les services de l’État. « On n’y arrive pas tout seul, notamment pour les métiers en tension », assure-t-elle.
Le comité communal d’action sociale (CCAS) de Montbéliard et les médiateurs des quartiers ont informé de l’opération et invité les candidats à venir avec un CV. Même si ce n’est pas forcément nécessaire. « Toute personne qui passe est un potentiel candidat », assure Brice Gaisser. Ce type d’opération pourra être renouvelé. « Le recrutement ne s’arrête pas le 4 novembre », prévient Monique Jeannaux, porte-parole de l’usine Stellantis, même si la mise en place de cette nouvelle équipe génère un important volume d’embauches. Il y a toujours un « turnover » des intérimaires à combler acquiesce Séverine Brisson.
Mustapha, pochette cartonnée sous le bras, vient de remettre un CV aux conseillers emploi de l’opération ; il a découvert l’initiative sur la toile. « Je suis demandeur d’emploi depuis le 4 octobre et je me suis dit que j’allais tenter ma chance », confie celui qui n’a pas voulu donner son nom de famille. Sonia Louchene, pour sa part, est encore en congé parental, mais elle veut reprendre le chemin du travail. Elle envisage sérieusement de tronquer sa blouse blanche d’aide-soignante pour le bleu de travail. Elle a travaillé « à PSA (sic) » il y a une vingtaine d’années et en garde un bon souvenir. Son père y a bossé pendant 42 ans. Son mari, Abdulhak, cherche aussi un emploi et réfléchit à « contacter » directement son agence d’intérim.
En novembre, l’usine comptera 6 000 collaborateurs confirme Monique Jeannaux, dont « un millier » d’intérimaires. Avec cette nouvelle équipe, l’usine sera en capacité de produire quotidiennement plus de 1 000 exemplaires. L’usine produit les nouveaux Peugeot 3008 et 5008, 100 % électriques ou hybrides. Actuellement, les voitures 100 % électriques représentent 25 à 30 % de la production indique Monique Jeannaux.
« Venez avec votre motivation, on s’occupe du reste »
Une fois ciblés, les candidats sont ensuite dirigés vers les agences de travail temporaire, qui assurent les premiers tests et sondent la motivation. Ensuite, les recrues sont accueillies au centre de formation de Stellantis. Cette école un peu particulière est située au fond de l’atelier de montage, non loin de la zone logistique. Elles reçoivent une formation d’une semaine, dans le cadre « d’un processus accéléré », informe Séverine Brisson. Normalement, ce sont deux semaines, mais la mise en place de cette équipe bouscule le quotidien. L’école reproduit des situations de l’usine, sur des petits postes de travail entièrement conçus sur place. « C’est du fait maison », replace Elsa Pattarozzi, superviseur training et assistance, fière de son équipe et de son ingéniosité. Avec les nouveaux véhicules, plusieurs postes ont été revus.
« Tout au long de la semaine, l’ensemble des exercices permet de définir le niveau de compétences sur chaque basique métier », indique-t-elle. Vissage, connectique, conformité… « On va leur apprendre aussi la vitesse d’exécution, car on travaille à la minute », poursuit-elle. Sur chaque poste, un chronomètre est installé, pour que les apprentis se testent avant de faire valider les opérations par l’un des encadrants. Pour les allophones, les tâches ont été filmées et retranscrites. Elles sont ensuite traduites. « Tout le monde doit avoir les mêmes chances de réussite, assure Elsa Pattarozzi, avant de garantir : Venez avec votre motivation, on s’occupe du reste. »
« Peut-être qu’on roulera avec leur voiture »
« À la fin de la semaine, on fait une toile d’araignée des compétences », indique Elsa Pattarozzi. « Et on détermine le meilleur endroit en fonction de leurs compétences », complète Séverine Brisson. Montage, ferrage, peinture, logistique… On regarde aussi la taille du candidat, par exemple, pour voir si certains postes sont plus ou moins adaptés. On sonde les besoins de l’usine et les envies sur le rythme de travail, pour trouver la meilleure « adéquation », assure Séverine Brisson. Morgan Grappe, 24 ans, doit travailler en équipe de nuit. Il a débuté sa formation le 14 octobre. « Je cherchais du boulot, car j’en avais vraiment besoin », raconte-t-il. C’est un grand changement pour lui, car auparavant, il était salarié agricole dans le haut Doubs. « C’est une nouvelle expérience », opine-t-il. La majorité des recrues découvre l’univers de l’industrie observe Elsa Pattarozzi. L’usine, Cloé Fichet la connait, alors qu’elle est en train de s’exercer au passage des câbles. Elle travaillait auparavant chez Trigo, un prestataire qui fait du contrôle qualité pour le constructeur. Elle a saisi cette opportunité de la création de l’équipe de nuit pour tenter sa chance chez Stellantis. « C’est plus actif », estime-t-elle. Et elle voit dans ce rythme de travail l’opportunité de bénéficier de primes.
Les 450 recrues seront réparties dans les différents secteurs de l’usine et dans les différentes tournées, en fonction des mouvements liés à la création de la nouvelle équipe de nuit. Après la semaine à l’école, elles bénéficient de deux semaines de formation, à leur poste, avec un opérateur. Puis elles prendront leur poste. L’école ne sera pas loin. Les encadrants repasseront régulièrement pour vérifier que la prise de poste se passe bien.
Au marché, les curieux continuent d’affluer pour se renseigner. Ce n’est pas la foule, mais régulièrement de potentielles recrues s’installent en face des conseillers emplois pour découvrir les opportunités de recrutement. En arrière-plan, Sonia Louchene s’apprête à reprendre le fil de ses courses et à réfléchir à cette reconversion « Peut-être qu’on roulera avec leur voiture, sourit-elle, en pointant du doigt la Peugeot e-3008. Mais faudra travailler longtemps ! »