Anne-Sophie Labadie – AFP
Six autres prévenus aux profils hétéroclites comparaissent avec eux depuis lundi et jusqu’au 20 mars devant le tribunal correctionnel pour leur implication présumée dans ce vaste réseau de faux, entre belles montres et permis pour engins de manutention, qu’était cette chaîne cryptée.
Mardi à la barre, Anthony P., 28 ans, et Aurélien, 23 ans, deux comparses rencontrés lors d’un laser game et jugés notamment pour falsification de cartes d’identité entre 2022 et 2023. Après leur arrestation en avril 2023, les enquêteurs trouvent imprimantes, aérographes et presse hydraulique dans leur atelier, un appartement loué sous une fausse identité dans un pavillon d’habitation.
Les deux faussaires évoquent la production de 3 000 cartes d’identité et l’équivalent de plus de 400 000 euros encaissés. Parmi les quelque 300 photos trouvées, 40% des personnes figurent au TAJ (fichier des traitements d’antécédents judiciaires) et 27 sont activement recherchées par la police.
C’est Anthony P., fils d’une coiffeuse et d’un père ouvrier, qui est le cerveau de cette petite affaire. DUT et licence d’informatique en poche, alors qu’il travaille dans une grande entreprise spécialisée en cybersécurité, il fourmille en parallèle d’idées sur les services à vendre sur le darknet. Celui qui se nomme en ligne “Volrys” a déjà alors fait son “premier faux”, incité assure-t-il par une personne âgée.
Elle “m’a demandé comment faire une date sur une fausse facture”, il y a eu un “glissement”, “j’en ai fait de plus en plus”. Il fait des études de marché sur les chèques falsifiés, les diplômes contrefaits, une véritable “foire aux faux”, résume le président. Mais parce que “le darknet en France est en train de mourir” et qu'”il y a “tellement de problèmes entre des administrateurs qui arnaquent des vendeurs”, il bascule sur Telegram.
Quand la production de faux papiers “commence à décoller, il a fallu automatiser”, explique Anthony P., impassible. Il recrute alors Aurélien C., un ancien boulanger qui a connu la rue, travaillé à l’usine avant de plonger dans les faux pour rembourser ses dettes avant, espérait-il, de rentrer dans le rang, ceux de la marine en particulier.
"Sin papeles"
L’équipe Volrys monte en puissance, fabrique jusqu’à dix cartes par jour, vendues entre 100 et 400 euros selon la qualité choisie, avec possibles réductions pour les personnes incarcérées. Le client entrait sur Telegram, prenait contact avec un chatbot, puis il recevait un lien vers un site qui générait un formulaire comprenant les données biométriques et une photo d’identité.
La fabrication débutait une fois la validation des informations réalisées. Le paiement s’effectuait soit en cryptommonnaies, soit en coupon PCS vendus notamment dans les bureaux de tabac et qui permettent de créditer des cartes de paiement prépayées. “Tout argent qu’on sortait en crypto passait en Monero, seul moyen de rendre les fonds intraçables”, explique Anthony P.
Quant aux revendeurs, cinq se dégagent, dont “Sin papeles”, Geo TrouveTout” et “La Gèneverie”, le dernier n’étant pas le plus important assurent les deux prévenus qui comparaissent libres, contrairement à l’administrateur de cette chaîne Telegram. Ils continuent pourtant de faire affaire avec lui alors qu’il est en détention.
Au moment de leur arrestation, ils avaient déjà réduit la voilure, veulent-ils convaincre, et entendaient “monter une affaire légale”. Pourquoi ne pas l’avoir fait, interroge la procureur. Pour une histoire de séquestration, de vol de matériel et de rançons “par des gens à problèmes”, “c’était un peu frustrant de voir qu’on avait récolté que des ennuis”, avance Anthony P.
Interrogés aussi sur l’utilisation des faux qu’ils produisaient, Aurélien C. pensait que c’était pour “sortir des téléphones gratuits”. “Un des revendeurs, c’est un réseau de passeur comorien”, objecte la procureur. “Je pensais que c’était une blague” et, “sin papeles (sans papiers en espagnol), je n’ai compris que hier ce que ça signifiait”, répond Anthony P. “J’ai pourtant fait anglais et espagnol”, dit-il sans sourciller.