À Valdoie, deux propriétaires dénoncent l’état de l’immeuble dans lequel elles vivent, qui a entraîné l’exil de l’une d’entre elles pendant plusieurs semaines. Enquête.
À Valdoie, deux propriétaires d’appartement dénoncent l’état de l’immeuble dans lequel elles vivent. Elles ont été poussées à quitter les lieux, craignant pour leur sécurité. Elles sont prisonnières, qui plus est, de procédures qui n’avancent pas et d’acteurs qui se renvoient la balle. Enquête.
Au 11 rue Émile-Zola, à Valdoie, habite Laurence Desjardin, propriétaire d’un appartement au rez-de-chaussée, depuis 2016. En janvier, elle a dû quitter son domicile pendant trois semaines. Juste au-dessus, au premier étage, Camille Poret est aussi propriétaire d’un appartement, acheté en 2018. Un appartement dans lequel elle n’a jamais pu vivre. Parce que juste après l’achat, l’appartement est sujet à un dégât des eaux qui ruine l’ensemble du plafond, venant de l’appartement du dessus. Aussi, à cause du confinement et de l’accident de son conjoint. Puis parce que début 2022, l’immeuble s’affaisse. Obligeant Camille Poret et son conjoint à rester chez leurs parents, le temps des procédures et des travaux à venir. Mais dans cette affaire, « nous nous sommes sentis très seuls », expose les propriétaires. Démunies.
L’inquiétude a monté d’un cran début janvier, lorsque Laurence constate des fissures, longues et profondes, dans la chambre de sa fille. Puis dans l’entrée. Puis sur le sol de sa cuisine. « Le carrelage s’est fissuré, juste à côté de mon frigo qui pèse plus de 160 kilos. » Chaque jour, de nouvelles fissures apparaissent. Même constatation dans l’appartement de Camille Poret. Les propriétaires, inquiètes, descendent vérifier l’état des caves et se rendent compte d’un affaissement du plancher du rez-de-chaussée. Elles constatent également la prolifération de moisissures et champignons.. « Nous avons eu très peur que ça s’écroule. Car nous avions appris lors d’une assemblée générale en 2020 qu’un appartement s’était déjà affaissé deux ans auparavant à la suite de travaux; Nous avons pensé que cela pouvait peut être être liée à la structure de l’immeuble », confie Camille Poret.
Le syndic, Bersot immobilier, promet la venue d’un expert. Laurence quitte son logement avant, le 12 janvier. « Mes portes de cuisine et de salle de bain se bloquent, ainsi que mes volets. Cela (l’affaissement, NDLR) s’est aggravé », écrit-elle dans un mail au syndic que Le Trois a pu consulter. « Il y avait d’énormes bruits de craquements et de nouvelles fissures. J’ai donc décidé de quitter mon domicile en prévenant le syndic. J’avais peur pour moi et surtout pour ma fille », souffle Laurence. Elle prévient avoir constaté dans la cave un affaissement du plancher du rez-de-chaussée. Réponse du syndic après un premier passage : « Au niveau de l’extérieur, il y a quelques fissures superficielles, similaires aux fissures que nous pouvons voir sur de nombreux immeubles de Valdoie. Au niveau des parties communes intérieures, pas d’anomalies particulières dans les caves », expose le syndic dans un mail adressé à Laurence. « Tout au long de cet océan de problème, tout a été constamment minimisé », déplore la propriétaire.
La venue de l’expert, une semaine plus tard, confirme pourtant ces craintes : « Il m’a indiqué oralement que je devais quitter mon appartement jusqu’à ce que les poutres de la cave, qui menacent de s’écrouler, soient solidifiées », narre Laurence. Aucune attestation ne peut néanmoins lui être délivrée, avant que l’expert ne fournisse son rapport. Qui mettra plus de 8 jours à arriver.
Se reloger
Durant cette semaine d’attente, Laurence contacte le directeur de l’espace France Services et chargé de l’urbanisme à Valdoie. Dans un échange de mails que Le Trois a pu consulter, il expose que la mairie ne peut rien faire sur ce dossier. “C’est à votre syndic de prendre toutes les précautions nécessaires pour éviter les dangers. Je ne peux pas me permettre de faire de l’ingérence sur ce dossier.” Contacté par téléphone, il indique avoir suivi le dossier de près : « Dès que nous avons eu connaissance de l’affaire, nous avons contacté le syndic qui a rapidement réagi. »
Malgré cette réponse du syndic, le temps que met le rapport à arriver pousse Laurence à chercher un appartement supplémentaire, pour se mettre à l’abri avec sa fille. Elle contacte la préfecture, la maire de Valdoie, sans obtenir de réponse. Elle demande au syndic, par mail le 19 janvier, de la reloger. Sans réponse non plus. Contacté par téléphone, le directeur du syndic, Guillaume Massif, affirme : « Nous avons fait ce qu’il fallait dès que nous avons eu les informations. Notamment pour les travaux : nous avons très rapidement fait venir un maçon. Notre rôle est d’assurer la sécurité des locaux. Mais seule l’assurance habitation peut intervenir sur le relogement : ce n’était pas de notre ressort. » Pour cela, il fallait à Laurence une attestation, qu’elle ne pouvait pas obtenir sans le rapport de l’expert, une fois de plus.
La dernière solution : la production d’un arrêté de péril. Les arrêtés de mise en sécurité stipulent que « si une interdiction d’habiter temporaire ou si des travaux rendent les lieux inhabitables, le propriétaire ou le syndicat doit assumer l’hébergement. » Mais celui-ci « ne pourra se faire qu’aux vues du rapport de l’expert », expose le directeur de l’espace France Services et chargé d’urbanisme de Valdoie dans un mail adressé à Laurence Desjardin.. Au téléphone, il expose : « Une procédure de mise en péril aurait été longue et périlleuse. Le temps de mettre en place la procédure, les propriétaires auraient déjà regagné leur domicile. Cela aurait été coûteux pour le syndic, comme pour les propriétaires. »
Lorsque le rapport de l’expert arrive, le 27 janvier, il indique qu’un “étaiement complet de la solive et un redressement” doit être effectué avant que les propriétaires puissent réintégrer leurs domiciles. Laurence prévient son assurance, qui lui propose 5 nuits à l’hôtel. À condition qu’elle n’amène pas ces chiens. « Désespérée par la situation, j’ai pris un autre appartement à mes frais à Essert pour me reloger, avant d’annuler la location le 3 février, lorsqu’on m’a stipulé que je pouvais revenir. En tout, cela m’aura coûté plusieurs centaines d’euros », expose Laurence.
Finalement, Laurence a passé plus de trois semaines sans pouvoir retourner chez elle. Trois semaine où Camille Poret ne peut pas non plus entamer de démarches pour son plafond, ni revenir dans l’appartement pour entamer des travaux. Le 3 février, le syndic envoie un mail pour annoncer que les travaux ont été réalisés, que l’expert est passé. Et qu’il a confirmé par email que Laurence pouvait revenir. Camille Poret et son conjoint tiquent sur ce point : “Personne n’a été prévenu de la venue de l’expert. Nous n’avons eu aucune confirmation que l’expert était véritablement passé. Ni mail, ni rapport.” Le syndic promet le rapport de l’expert dans les jours à venir. Il doit confirmer que les travaux réalisés permettent de maintenir la structure et d’éviter un écroulement. Plus de 20 jours plus tard, le rapport n’est toujours pas arrivé (*). Laurence, qui n’avait plus d’autres solutions, est revenue dans son appartement sans aucune certitude d’une contre-expertise. De son côté, le directeur du syndic réaffirme ce fait, l’expert est bien passé : « Nous ne savons pas pourquoi son rapport prend autant de temps, nous l’avons relancé.» *
Vendre ?
Lors d’un entretien avec Camille Poret, son conjoint et Laurence Desjardin, début février, les propriétaires sont dépassés. D’un commun accord, il a été décidé que les propriétaires ne feraient plus de travaux tant que la structure ne serait pas vérifiée. Aujourd’hui, Camille reste donc bloquée avec son dégât des eaux. Chez ses parents. Laurence, elle, s’inquiète que l’étaiement ne suffise pas. D’autant plus que des témoins pour mesurer et vérifier les fissures auraient dû être posés il y a plus d’un mois. Chose qui n’a toujours pas été faite.
Vendre ? Les propriétaires y ont pensé. Mais ce n’est pas envisageable en l’état. « On se demande combien tout cela va nous coûter. Certains travaux ont été faits avant le rapport de l’expert, qui a beaucoup traîné en prime, comme pour être sûr de ne pas faire passer l’assurance du syndic », suspecte le conjoint de Camille. Porter l’affaire en justice ? Les propriétaires y ont aussi pensé. Trois avocats ont été contactés, mais aucun d’entre eux ne veut se saisir du dossier. Trop gros pour l’un, trop coûteux et long pour l’autre. Les solutions sont minimes. Et les propriétaires désespèrent.
(*) : Le rapport est finalement arrivé le lendemain de notre appel au syndic, alors que nous avions signalé que nous allions publier le lendemain. Il confirme que l’expert est bien passé et que des travaux supplémentaires vont encore devoir être effectués;