Une demi-douzaine d’épisodes de coups de feux en quelques mois. Le quartier est le théâtre d’une guerre des territoires. Depuis le 20 novembre 2019, sept personnes ont été blessées.
(AFP – Angela Schnaebelé)
Une demi-douzaine d’épisodes de coups de feux en quelques mois. Le quartier est le théâtre d’une guerre des territoires. Depuis le 20 novembre 2019, sept personnes ont été blessées. Reportage, au coeur du quartier.
“Cette drogue, cette violence armée, ça devient une calamité, un véritable fléau.” Depuis novembre, les habitants du quartier Planoise de Besançon assistent, désemparés, à une lutte armée entre trafiquants, friands d’un marché de la drogue en pleine expansion. Tirs et règlements de compte entre bandes rivales font rage au pied des vertigineuses barres d’immeubles de ce quartier sensible d’environ 20 000 habitants, avec plus d’une demi-douzaine d’épisodes de coups de feu en moins de deux mois.
“Le trafic, c’est tous les jours, sous nos yeux, on voit les billets, la drogue, on sait où ils la cachent dans les coursives”, témoigne une habitante, sous couvert d’anonymat par “peur des représailles”. Comme pour ses voisins, ce “commerce particulier”, est son quotidien. “En les laissant tranquilles, on vit tranquilles”, confie cette retraitée qui habite depuis vingt-cinq ans dans ce quartier où elle a élevé ses filles.
Cannabis, cocaïne ou héroïne, le secteur est “une plaque tournante importante du trafic de stupéfiants dans la grande région, c’est un trafic extrêmement dense qui est à l’œuvre”, confirme le procureur de la République de Besançon, Étienne Manteaux. “Ce n’est pas un problème purement bisontin. Il y a un constat général sur l’ensemble du territoire national d’une recrudescence nette des problématiques liées au trafic de stupéfiants”, note le magistrat. Mais à Planoise, classé quartier de reconquête républicaine (QRR) fin 2018, une étape a été franchie. Depuis le 20 novembre, les coups de feu se multiplient et sept personnes ont été blessées par balles, âgées de 14 à 31 ans, toutes suspectées d’être liées au trafic de drogue.
255 procédures liées aux stupéfiants en 2019
En voiture ou à scooter, les tireurs au visage dissimulé intimident leurs rivaux, parfois leurs alliés d’hier, et règlent leurs comptes. Une guerre de territoires se joue au pied des immeubles. Une fois, ils tirent en l’air, sans se soucier de la proximité d’une école. Une autre fois, deux balles perdues sont retrouvées dans une chambre d’enfant, et même une grenade sous une voiture. Les habitants du quartier n’en peuvent plus. “Depuis cinq ans, il y a beaucoup plus de violences, de tirs en veux-tu, en voilà”, s’inquiète la retraitée. “Ils tirent n’importe comment, on se croirait à Chicago ; ça fait peur”.
La physionomie de la criminalité a évolué : “Des mineurs vraiment jeunes, moins de 16 ans, sont utilisés pour faire de la revente de stupéfiants”, remarque Étienne Manteaux. “Est-ce que l’abaissement de l’âge et de la maturité des délinquants, plus impulsifs, explique cette désinhibition et le fait qu’ils tirent plus facilement ?” Les tireurs n’ont cependant pas encore formellement été identifiés. L’enquête bat son plein, alors que la préfecture du Doubs a annoncé des renforts de police dans le secteur. Fin 2018, un nouveau commissariat de proximité avec 16 personnels de police a été ouvert sur place dans le cadre du QRR. En 2019, 255 procédures liées aux stupéfiants ont ainsi été réalisés et 1,4 million d’euros ont été saisis en valeur.
"Éjectons les dealers !"
“L’objectif est de faire revenir la paix sociale, d’occuper le terrain et faire en sorte que ces habitants puissent vivre de manière paisible, sans avoir à baisser la tête en rentrant chez eux”, explique Jean Richert, directeur de cabinet du préfet du Doubs. En revanche, l’ensemble des autorités s’accordent sur une chose: “La répression n’est pas la seule solution.” Pour le maire de Besançon (115 000 habitants), Jean-Louis Fousseret (LREM), la reconquête de ce quartier passe par la prévention auprès des toxicomanes, la formation des personnes sans emploi et l’éducation, avec une meilleure prise en charge éducative des enfants. “Les guetteurs, les jeunes qui chouffent, comme on dit, ils ont 10 ans ! “ constate-t-il.
À l’aube d’un deuxième plan de rénovation urbaine, “Planoise concentre une partie importante de la population qui est en difficulté”, relève l’édile. “Mais c’est un quartier qui a une vie associative très riche, avec beaucoup d’activités et des enseignants de qualité. Ce n’est pas un quartier abandonné, bien au contraire”, insiste-t-il alors que le sujet s’invite dans la campagne, à deux mois des municipales.
Mercredi, quelque 200 habitants se sont rassemblés pour soutenir les responsables d’une grande surface fermée depuis le 31 décembre, après l’incendie criminel de la fourrière municipale située à proximité. Monique Choux, animatrice du conseil citoyen de Planoise qui a lancé ce rassemblement, veut faire passer un message: “Approprions-nous le quartier, notre quartier, et éjectons les dealers !”
200 habitants rassemblées mercredi pour se réapproprier "leur quartier"
Environ 200 habitants du quartier Planoise de Besançon se sont rassemblés mercredi pour se “réapproprier (leur) quartier”. “Il est temps que Planoise redevienne un espace sécurisé où ni la délinquance ni la violence ne sont tolérées“, a déclaré micro en main Monique Choux, animatrice du conseil citoyen de Planoise, à l’origine du rassemblement.
“Nous voulons vivre sans peur à Planoise”, pouvait-on lire sur une pancarte brandie par une manifestante. “Depuis l’incendie de la fourrière (le 31 décembre, NDLR) et les séries de coups de feu, les gens ont peur et beaucoup veulent partir de Planoise, notamment les familles, a expliqué Monique Choux, avant de lancer : “N’ayons pas peur, vivons ensemble et faisons de ce quartier un endroit où on est bien. Éjectons les dealers !”
Les habitants, une majorité des retraités mais aussi quelques mères de famille avec leurs enfants, se sont également rassemblés pour soutenir le gérant et les salariés d’une grande surface endommagée par l’incendie criminel de la fourrière municipale, située à proximité. Près de 160 véhicules avaient été détruits par les flammes. “Il faut repartir de plus belle et redonner des couleurs au quartier, qui n’est pas ce qu’en disent les faits divers. Ce quartier, c’est mon quartier, c’est le vôtre, c’est le nôtre !” a déclaré sous les applaudissements le directeur du magasin, Adrien Vitte.
Quatre suspects âgés de 18 à 30 ans ont été interpellés et placés en garde à vue mardi pour avoir déclenché l’incendie de la fourrière, a annoncé mercredi le procureur de la République de Besançon, Étienne Manteaux. Ils réfutent toute implication. Un “cahier de doléances” a été mis à disposition des habitants. Il sera remis au maire de Besançon, Jean-Louis Fousseret (LREM). La plupart des candidats à la mairie de Besançon étaient présents à ce rassemblement. Les députés LREM du Doubs, Fanette Charvier et Eric Alauzet, candidat à la mairie de Besançon, ont annoncé l’envoi d’un courrier au ministre de l’Intérieur, Christophe Castaner, “pour lui demander de prendre des mesures rapides et durables” après les événements dans le quartier.