Le Trois –

Un train de retard pour les vélos [Long format]

Une famille belfortaine a voulu se rendre en Bretagne en train, en amenant leur vélo pour y faire un périple à bicyclette. Les contrôleurs du train Mulhouse-Paris n’ont pas voulu les laisser voyager. La cohabitation entre les vélos et le train est délicate.

L’initiative était belle. Et respectueuse de l’environnement. Au cours de l’été, une famille belfortaine a voulu se rendre en train en Bretagne avec ses vélos pour parcourir cette région à bicyclette. Les contrôleurs leur ont refusé l’accès au train. Les vacances ont tourné court et il n’y a pas eu de remboursement. Cette histoire évoque toutes les contradictions entre une communication institutionnelle favorable au vélo et la réalité.

Destination : la Bretagne. En train. Le but, réaliser un périple familial à bicyclette entre Alençon et Rennes, en passant par le Mont-Saint-Michel et Saint-Malo. Départ, le 28 juillet à 8 h 16, depuis la gare de Belfort-Ville. Avec les vélos. Tel était le projet de Marie-Ève Belorgey, son mari et leur fille de 10 ans. « C’est la cinquième année que nous partions à vélo », confie la Belfortaine. Depuis quelques années, la famille n’a plus de voiture. Un choix motivé, d’abord, par un motif économique. « Dorénavant, avant de faire un trajet, on se pose d’abord la question du meilleur moyen de voyager, glisse-t-elle, avant d’énumérer : Est-ce à pied, à vélo, en train ou en louant une voiture Optymo… » Les vacances ne font pas exception.

Ils ont testé cette pratique grâce à des amis et y ont pris goût. « On ne voyage pas au même rythme. C’est plus souple, plus adapté à un rythme de vacances. » Ce choix – qui implique une certaine motivation pour l’organiser – peut aussi tourner court. C’est la désagréable expérience qu’a faite cette famille belfortaine.

Décision des contrôleurs

Avant 8 h, le dimanche 28 juillet. La famille est arrivée à la gare de Belfort-Ville à vélo. En avance. Elle se renseigne et arrive à connaître le quai du train, qui n’est pas encore affiché. Ensuite, on recherche où sera le compartiment des vélos. « C’est une découverte à chaque train », s’étonne toujours Marie-Ève Belorgey. Compte tenu du statut de train express régional (TER) de cette desserte – elle a perdu son statut Intercités il y a quelques années – on ne peut pas réserver d’emplacement pour les vélos. Et il n’y a pas non plus de réservations pour les voyageurs. C’est le principe des TER.

Le train entre en gare. « Les contrôleurs viennent vers nous. Ils nous disent qu’on ne montera pas, car il y a déjà trois vélos à bord et qu’ils n’en prendront pas plus. » La famille les rassure en disant que les vélos ne gêneront pas et qu’ils n’ont pas le choix. Ils ont de nombreuses correspondances pour arriver à bon port le soir et ne peuvent pas manquer ce train. Les contrôleurs vaquent à leurs occupations. La famille monte ses vélos à bord et veille à les ranger correctement, sans gêner le passage ni bloquer les portes. 

L'accessiblité des gares est un autre problème pour les cyclotouristes.

« À chaque fois que j’ai pris ce train, j’ai toujours vu plus de trois vélos », poursuit Marie-Ève Belorgey. L’opération faite, elle se dirige de bonne foi vers les contrôleurs pour leur montrer que cela ne dérange personne. « Et que c’était en sécurité », insiste-t-elle. « Il me répond alors que le train est arrêté par notre faute et qu’il a appelé la police pour nous faire descendre. Il nous dit que tant que l’on est dans le train, il ne bougera pas ! » La police est vraiment intervenue. La famille est descendue sans protestations. Mais on imagine le choc pour la jeune fille. En pleurs. « D’autres passagers du train ont tenté de discuter avec le contrôleur… » Sans succès.

« On ne voyage pas au même rythme. C’est plus souple, plus adapté à un rythme de vacances. »
Marie-Ève Belorgey

SNCF Mobilité, qui assure le service, défend l’attitude des contrôleurs. « Les contrôleurs sont responsables d’un certain nombre de critères, notamment de la sécurité, confirme Nabil Djaafer, directeur régional communication en Bourgogne-Franche-Comté. Et c’est une décision qui leur appartient. » Les contrôleurs adaptent leurs décisions aux conditions de circulation insiste-t-il. Mais parfois, un sentiment de choix à géométrie variable s’exprime. « Comment choisit-on qui monte et qui ne monte pas ? interroge la Belfortaine. On ne peut pas commencer un trajet en ayant peur de se faire refouler plus loin sur le périple. »
Cet avis est partagé par Julie de Breza, conseillère départementale d’opposition du Territoire de Belfort. Une semaine avant, elle a effectué un voyage similaire vers l’ouest. En famille. Elle a pu prendre ce train. Et elle transportait deux vélos adultes et deux vélo enfants… À son retour, à la gare de l’Est à Paris, elle a vu deux cyclotouristes refoulés du train en direction de Belfort. « Les derniers jours des vacances, j’étais stressé car on se demandait si on allait pouvoir prendre le train Paris-Belfort ». Cette desserte semble être problématique.  de la 

Une situation ubuesque

Les billets étant compostés – et le train parti – la famille n’a pas pu non plus se faire rembourser. Marie-Ève Belorgey a entamé des démarches, mais sans grand succès pour le moment. « C’est une situation tellement ubuesque… analyse-t-elle. C’est le serpent qui se mord la queue. On nous reproche maintenant d’avoir bien fait les choses. » La Région Bretagne a refusé de leur rembourser les billets concernant les voyages effectués dans cette région, car ils ont été achetés sur Internet… « Comment fait-on pour acheter un billet TER Bretagne quand on n’habite pas dans la région ? » interpelle la Belfortaine. Pour trois personnes, le voyage initial aller-retour s’élevait à 422 €. « Un prix élevé pour des conditions loin d’être exceptionnelles », déplore-t-elle également

« En faisant ce type de voyage, constate Nabil Djaafer, qui va étudier le dossier de remboursement, on prend quand même un risque. » Confirmant, entre les lignes, que l’accès n’est pas garanti, que ce soit pour les vélos ou pour les voyageurs si l’affluence est trop grande. Il concède, malgré lui, que le réseau ferroviaire français ne favorise pas les longs déplacements en dehors des grandes lignes… Où c’est encore plus difficile de transporter les vélos ! Le directeur de la communication ne s’aventure pas plus loin dans l’analyse, la place des vélos dans les TER étant du ressort de l’autorité organisatrice des transports, c’est-à-dire le conseil régional Grand Est en ce qui concerne ce train reliant Mulhouse à Paris.

Les élus interpellés

Julie de Breza a adressé un courrier aux présidents des régions Grand Est et Bourgogne-Franche-Comté sur ce dossier. Un courrier qu’elle a fait suivre à la ministre des Transports, Elizabeth Borne. Car ce sont les régions qui choisissent quelle politique TER elles mettent en place. Et donc quelle politique vélo elles appliquent. « L’avenir, ce sont les transports en commun. Et nos voisins le font très bien », interpelle l’élue qui souhaite une prise de conscience sur ce dossier.  L’association CycloTransEurope a aussi interpellé la ministre des Transports cet été (lire ci-dessous), alertés par des cyclotouristes contraints d’arrêter leur voyage du fait d’emplacements insuffisants pour les vélos.

Cohérence politique 

Dans ce dossier, on compare souvent la facilité de voyager dans les trains, affrétés dans l’ouest de la France. On parle de la Bretagne. Des lignes longeant la Loire. On parle aussi de l’accessibilité des gares. Ce sont des dessertes dotées d’équipements pouvant accueillir les vélos. Comme le glisse subtilement le directeur de la communication de la SNCF, l’une des problématiques de ce cas est la capacité d’emport de vélos (trois) du TER Mulhouse – Paris : un Coradia Liner. Ce que confirme la Région. Les vélos sont autorisés gratuitement, mais dans la limite des places disponibles. « Mais nulle part n’est marquée le nombre de place pour les vélos », dénonce Marie-Ève Belorgey. Alors, comment anticiper ? « Dans le train menant à Nantes, compare Julie de Breza, il y avait un espace pour les vélos toutes les deux rames, avec sept espaces, en hauteur, pour les installer. Dans l’ouest, nous n’avons pas eu de souci. » La différence est saisissante.  

« Les Coradia liner incriminés ont été commandés par l’État avec un cahier des charges Grandes Lignes, puis ont été transférés avec la gestion de la ligne à la Région Grand Est en 2018 », se dédouane le conseil régional dans une réponse formulée par mail et transmise par le service des relations avec la presse. Aucun échange avec un élu n’a pu être organisé. Dans sa réponse, la Région précise qu’adapter les rames pour accueillir plus de vélos coûterait très cher et condamnerait des places (il y a 279 places aujourd’hui), alors « qu’aujourd’hui il manque déjà de la capacité en heure de pointe pour les voyageurs ». Et elle rappelle qu’elle a hérité, plus que choisi, le parc roulant actuel. Pourtant, certaines initiatives, peut-être provisoires, d’autres régions, ne semblent pas hors de prix. Les réseaux sociaux en présentent certaines (voir ci-dessous).

« Il me répond que le train est arrêté par notre faute et qu’il a appelé la police pour nous faire descendre. Il nous dit que tant que l’on est dans le train, il ne bougera pas ! »
Marie-Ève Belorgey

« Si nous voulons faire de l’intermodalité, il faut mettre les moyens. Tout est mal conçu. Le vélo est un moyen de se déplacer et un moyen de faire du tourisme », tance Julie de Breza. Cette idée a été reprise par l’association Vélo et mobilités actives. « Au moment où la Région Grand Est entend développer le tourisme à vélo dans le cadre de son Schéma Régional de Développement Touristique, cette péripétie doit nous alerter sur les moyens à mettre en œuvre par la Région pour accompagner le transport des touristes à vélo vers leur lieu de randonnée, qu’ils soient Français, Franciliens ou d’autres régions, ou voisins frontaliers », écrit l’association dans une lettre adressée au président de la Région Grand Est, Jean Rottner, que Le Trois a pu consulter. Puis de prévenir : « Promouvoir ces itinéraires sans offrir les services de transport associés pourrait très rapidement s’avérer contreproductif si cette mésaventure belfortaine venait à se multiplier. »

Bientôt plus de places

« La capacité d’emport des vélos dans les trains déjà fortement occupés, voire sur-occupés, mérite une réflexion globale et innovante », acquiesce la Région, qui affirme que les vélos sont quand même les bienvenus. Rien n’est identifié, mais la Région glisse quelques idées : réservation gratuite ; réservation tarifée ; réservation tarifée en heures de pointe ; interdiction des vélos dans le train. « Le champ des possibles reste ouvert », glisse-t-elle dans sa réponse, rappelant qu’une interdiction d’emporter les vélos dans 12 « TER 200 » aux heures de pointes, en 2007, avait conduit à la mise en place d’une pétition qui avait recueilli plus de 10 000 signatures.

L'accessibilité des gares est un autre problème des cyclotouristes, ici à Belfort, en cours de réaménagement (©Le Trois – Thibault Quartier).

Après le dédouanement, la Région cultive l’espoir. Les prochaines commandes de matériel roulant auront des capacités supplémentaires d’emport. Pour accueillir, justement, les voyageurs occasionnels. « Les prochains Régiolis disposeront, pour les rames à 4 caisses, de 9 places vélos et pour les rames à 6 caisses, de 12 places, annonce la Région. Les Régiolis transfrontaliers, qui répondent quant à eux au cahier des charges du matériel allemand, disposeront de 18 places dédiées aux vélos. »

Se tourner vers l’Allemagne – ou encore plus à l’Est comme le présente CycloTransEurope (ci-dessous) – fut également la décision retenue par cette famille belfortaine pour partir en vacances. Et elle ne regrette pas son choix. « Il n’y a pas de surcoût pour les vélos dans le train et on y trouve des automates pour acheter les billets », énumère Marie-Ève Belorgey. Elle a pris conscience du niveau de qualité supérieur des Allemands sur ces sujets, avec des gares adaptées et un système qui permet aux voyageurs d’anticiper les correspondances. Surtout, à un prix raisonnable. « Quand vous portez des bagages et des vélos, vous faites attention aux équipements et à l’accessibilité de la gare », sourit-elle. Malgré toutes les opérations de communication, le sentiment de nombreux usagers est clair : « Les vélos ne sont pas les bienvenus dans les trains », résume Marie-Ève Belorgey. Pis, rien n’est simple et rien n’encourage à adopter cette pratique. Ça mouline. Pourtant, l’urgence climatique nous encourage à réfléchir nos déplacements autrement.

L’Est, carrefour de plusieurs véloroutes

L’association Vélo et mobilités actives remarque que les dessertes Paris – Mulhouse et Paris – Strasbourg en TER permettent d’assurer des connexions avec les véloroutes régionales suivantes :

  • Troyes : Seine à vélo (V33), véloroute des Lacs (V56)
  • Langres : Meuse à vélo (EV19 /V54), canal entre Champagne et Bourgogne (V53)
  • Chaumont : Canal entre Champagne et Bourgogne (V53)
  • Vesoul : Moselle – Saône à vélo (V50)
  • Mulhouse : Véloroute des Fleuves (EV6), Véloroute du Rhin (EV15), Londres – Rome (EV5)
  • Toutes les gares de Dormans à Strasbourg : Véloroute Paris – Strasbourg – Prague (V52)

  • Vitry-le-François, Saint-Dizier : Canal entre Champagne et Bourgogne (V53)

  • Bar-le-Duc, Saint-Dizier : Véloroute des Lacs (V56) 

  • Commercy : Meuse à vélo (EV19/V54)
  • Nancy : Moselle – Saône à vélo (V50)
  • Sarrebourg et Saverne : Londres – Rome (EV5)
  • Strasbourg : Londres – Rome (EV5), Véloroute du Rhin (EV15)

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