La côte pour atteindre la ferme des Minimes, à Seloncourt, est éblouie par le soleil. Les bâtiments de la ferme, au loin, avec de grandes baies arquées, ressemblent à une salle de réception. Situé sur les hauteurs, le domaine est très paisible, en cette journée ensoleillée du 6 juin. Les chevaux hennissent. Un poney tape le sol avec son sabot. Il s’impatiente. À l’ombre d’un bâtiment, deux couples s’occupent de Bombeck et Loulou, deux chevaux impressionnants, au pelage brun pour l’un, blanc pour l’autre. Sous les caresses d’Éric, Bombeck ferme les yeux. « Il s’endort », s’amuse-t-il. Sa compagne, Ghislaine, observe. Une équithérapeute, Marianne, prend la main de Ghislaine, l’aide à le câliner, le rassurer. S’assure qu’elle est du bon côté du cheval pour être en sécurité. En fauteuil roulant, Ghislaine souffre d’une maladie neuro-déficiente. Tout comme Raymond, qui s’occupe du cheval blanc quelques pas plus loin, accompagné par sa femme Michelle.
Comme tous les mois, les couples se retrouvent sous l’œil bienveillant de Marianne et Noémie, qui gèrent ensemble une société nommée Tekki spécialisée dans l’accompagnement de l’humain sous diverses formes. Avec comme fil conducteur : l’apport du cheval et de son environnement. Parmi plusieurs pôles d’activités, il y a l’équithérapie, que la société propose à des particuliers ou à des institutions pour des accompagnements thérapeutiques.
Aujourd’hui, les séances sont dédiées à des personnes porteuses de handicap et leur conjoint. Un format de médiation équine imaginée par Tekki et par la fondation Arc-en-Ciel, qui a aiguillé les couples accompagnée par la plateforme de répit de la résidence Surleau à Montbéliard pour participer à ces séances. « Quand il y a un handicap, s’installe souvent une relation d’aidant-aidé. Dans un couple, c’est souvent le conjoint qui s’occupe de l’autre. Ou le parent. Ces séances leur permettent de souffler, de prendre du temps ensemble mais aussi chacun de leur côté. Le cheval, dans ce travail, est un partenaire formidable. C’est un membre de l’équipe », explique Marianne, équithérapeute et infirmière. « Regardez ». Alors que Ghislaine s’est dirigée pour s’occuper du poulain nommé Papillon, vif et très curieux, Éric, plus loin, est en train de dialoguer avec Bombeck, de le brosser, le câliner. Le moment a l’air suspendu dans le temps. Plus loin, Raymond s’est assis sur une chaise, à l’ombre. Il observe sa compagne qui partage elle aussi un moment privilégié avec Loulou.
« Ils sentent que j’ai des problèmes ». Ghislaine caresse un poulain, Papillon, qui s’incline pour venir poser son museau sur ses genoux. « Il vient me faire un bisou. » Pour la première fois depuis le début de la séance, un sourire lumineux éclaire son visage.
Des parcours pour reprendre confiance
Après une bonne vingtaine de minutes de détente et de préparation, direction l’atelier parcours. Tout en longueur, des plots et des cerceaux ont été déposés sur un chemin de terre à l’ombre des écuries. Raymond se déplace jusqu’au parcours avec sa canne, qu’il tient fermement de ses deux mains. Marianne explique qu’il n’existe pas de session type. Elles sont adaptées en fonction des patients, mais aussi en fonction des chevaux. C’est le principe même de l’équithérapie : être à l’écoute de tous les protagonistes.
Tous, consciencieusement, écoutent les consignes de l’équithérapeute. « Chacun d’entre vous va devoir guider les chevaux avec votre voix et votre corps. Il faudra parler assez fort pour que le cheval vous comprenne .» Ni une ni deux, Michelle se lance. Le ton est au début un peu faible, puis elle prend confiance. À la fin du parcours, lorsque Marianne lui demande comment elle se sent, elle affirme avoir « un peu » réussi. « Enlevez le “un peu” Michelle, vous l’avez fait. » Un sourire franc se dessine sur son visage. C’est au tour de Raymond d’y aller. Sans sa canne, il s’empare des rênes du cheval, traverse, comme un chef, le parcours.
« Ce que je veux vous montrer, c’est que c’est encore possible de faire des choses », explique Marianne. C’est au tour de Ghislaine de prendre le relais. Elle appréhende de l’adaptation du circuit avec son fauteuil roulant. Marianne et Noémie la rassurent. Éric, son conjoint, a du mal à rester loin de son épouse. Il a l’habitude de l’aider et malgré les consignes, il peine à aller s’asseoir pour observer la scène de loin. « Allez, je vais vous montrer mon savoir-faire.» Avec cette note d’humour, aidée par Marianne, Ghislaine réussit toutes les étapes en guidant le cheval d’une main de maître. Éric, au loin, se relève pour la féliciter chaleureusement.
L'aidant les yeux bandés
Le prochain passage se prépare. Les yeux bandés, « l’aidant » se retrouve dans le noir, guidé par son partenaire. Qui lui, doit guider aussi le cheval. Un beau défi. Michelle enfile un masque sur ses yeux. « Je vous assure, je ne vois rien ! » Elle ne triche pas. Son passage avec Raymond se déroule sans accroc. « T’es pas trop mauvais », plaisante-t-elle. Sur une chaise, plus loin, la canne de Raymond est restée posée. Depuis le début de l’exercice, il ne l’a pas utilisé une seule fois. « Je me rends compte que je suis encore capable un peu de faire quelque chose.» Encore une fois, Marianne lui demande gentiment de retirer le “un peu”. « C’était excellent », lui assure-t-elle.
« Et moi, j’en ai manipulé deux en même temps.»Ghislaine vient de réussir son passage, avec Eric, les yeux bandés, pas très rassuré, et son cheval. « Pour une fois, Eric n’était pas le patron », glisse-t-elle malicieusement.
Avant chaque fin de séance, les couples peuvent dire au revoir au cheval. Bombeck approche sa tête de Ghislaine, la pose sur ses genoux, sur sa main. « Vous avez vu, il m’a fait un bisou. Il a beaucoup d’affection pour moi.» Cela restera son meilleur moment. Raymond, lui, retiendra « tout ». La bonne humeur, le lien avec le cheval qui se crée ; « c’est mon loulou », glisse-t-il. L’amitié entre les deux couples est, elle aussi, belle à voir. Le moment hors du temps s’arrête après un moment d’échange entre tous. Le pari de la séance semble réussi. Ils se reverront d’ici quelques semaines.