11 h 30. Rue du Général-Leclerc, à Seloncourt, juste au niveau du rond-point qui dessert la salle polyvalente. Une passante interpelle une policière, de faction juste devant des clôtures de chantier qui entravent la R.D. 34 en direction d’Hérimoncourt : « Je voulais savoir si je pouvais aller à la Banque populaire ? » C’est encore possible. Ce ne le sera plus pendant la pause méridienne, ni en début d’après-midi lorsque les autorités judiciaires reconstitueront le moment précis du meurtre, survenu en pleine rue juste devant la banque, le 5 novembre 2024 (lire notre article).
Pour mener une telle opération, la municipalité a fermé la rue du Général-Leclerc sur près de 200 mètres ; une rue fréquentée par 15 000 véhicules, chaque jour. Une petite dizaine de magasins a dû baisser le rideau pour garantir le bon déroulement de la procédure. Les voitures et les camions ont été déviés. Ainsi que les bus du réseau Evolity. Depuis 9 h, le quartier est bouclé par plusieurs dizaines de policiers. Enquêteurs, magistrats, avocats, traducteurs, experts, quelques témoins et le mis en cause, en détention provisoire à Besançon, reconstituent les événements menant aux coups de feu et à la mort d’un homme d’une cinquantaine d’année (lire notre article). Les échanges sont d’abord menés à l’intérieur de l’établissement de restauration rapide Yeah Baba Yeah, qui fait face à la banque et jouxte le bureau de tabac, puis en extérieur.
« On refait la chronologie, explique Pierre-Édouard Lallois, le procureur de la République de Montbéliard. Quasiment seconde par seconde. » Une reconstitution est une sorte d’interrogatoire, dans des conditions le plus près possible du réel, où l’on confronte aussi les différentes versions, image le procureur. Elle permet aussi « d’affiner les investigations techniques », explique Pierre-Édouard Lallois, avec pédagogie. Que ce soit les éléments balistiques ou le rapport du médecin légiste. La procédure judiciaire évoque aujourd’hui « un fait d’assassinat », indique le procureur de la République. C’est-à-dire un meurtre avec préméditation.
Un acte prémédité ?
Dans le restaurant, les enquêteurs réécoutent les versions du mis en cause et des employés du restaurant. Le prévenu était-il assis face à la rue, suggérant une posture de guet comme le suggèrent certains témoignages ? Ou dos à la rue, comme l’indique le mis en cause, qui « maintient » sa version des faits. Il est bien l’auteur des coups de feu ; il l’a reconnu. Mais réfute la préméditation. Il se sentait en danger. « Il craignait pour sa vie », rapporte le procureur de la République, en évoquant la version du prévenu. Cela expliquerait la détention d’une arme, indique-t-il aux autorités.
Pendant de longues minutes, on retrace également le trajet de la voiture de la victime – une Peugeot 607 grise – venant d’Hérimoncourt et passant devant l’enseigne de restauration rapide. La juge d’instruction demande plusieurs fois de refaire le trajet et de varier les vitesses, pour apprécier différents points de vue depuis le commerce.
Beaucoup d'images de vidéo-protection
Juste après avoir dépassé le restaurant, la victime entame un demi-tour sur la chaussée. C’est là que le prévenu a surgi et tiré « plusieurs coups de feu », après avoir sorti de derrière son pantalon une arme de poing. « Cela se passe très rapidement », indique le magistrat. Une poignée de secondes. La scène a été reproduite. La voiture de la victime, transportée par un dépanneur, a été replacée à l’endroit exact des tirs, aux alentours de 12 h 15. Un mannequin est placé dans l’habitacle de l’automobile ; des tiges lui traversent le corps, représentant les trajectoires des balles. La zone où la voiture a été placée a été identifiée grâce aux images de vidéo-protection, très nombreuses dans cette enquête, indique le procureur.
La reconstitution n’apporte pas forcément de faits nouveaux. Elle les éclaires les uns par rapport aux autres. Elle peut aider aussi à comprendre certaines zones d’ombre. Ou pas. Pourquoi, par exemple, la victime a entamé un demi-tour juste après avoir dépassé le restaurant ? Quelles étaient ses intentions ? Cette étape de l’enquête doit permettre de poursuivre et de clore l’instruction. Ensuite, le procureur de la République prendra ses réquisitions pour le renvoi vers la juridiction de jugement. Interviendra alors le procès.