AFP par Damien Stroka
“Dans sa chambre que s’est-il passé ? Quel degré d’horreur a-t-elle subi ? J’aimerais connaître la souffrance de Narumi. Mais cet homme ne dira jamais la vérité, ça je le sais!”, lance cette femme de 56 ans à Nicolas Zepeda, le plus souvent impassible. Condamné à 28 ans de réclusion pour l’assassinat de l’étudiante, le Chilien de 33 ans est jugé en appel depuis le 4 décembre pour ce crime qu’il ne cesse de nier.
"Grand menteur!"
“Je ne te pardonnerai jamais Zepeda, ce grand menteur ne changera jamais!”, lui a-t-elle encore lancé dans un témoignage d’une grande dureté à son endroit. En première instance devant les assises du Doubs, le témoignage de la mère de Narumi avait ému aux larmes la salle. Il avait duré environ quatre heures. Cette fois, mouchoir en main, sanglots dans la voix, Mme Kurosaki, 56 ans, a déposé encore plus longtemps : à la barre depuis 09H00, elle continuait sans faiblir à s’adresser à la cour en milieu d’après-midi, après une courte pause.
Six heures déjà d’une intensité parfois insoutenable durant lesquelles elle est longuement revenue sur leur vie brisée, à elle et ses deux filles, depuis la disparition de son aînée, début décembre 2016. Dans le sillage des témoignages déjà poignants de ses deux autres filles mardi, elle revient sur son amour fusionnel pour Narumi, son enfance, sa scolarité parfaite, ses rêves d’aller étudier à l’étranger… Puis, toujours face aux jurés, elle ôte sa longue veste noire : “à partir d’ici, permettez-moi de me présenter telle que je suis (…) complètement à nue”. Sur son dos, on aperçoit le croisement d’une écharpe, celle qui tient le portrait de Narumi au plus “près de (sa) peau, de (sa) poitrine” pour qu’elle soit “à chaque instant avec elle”.
Le silence est total dans la salle boisée des assises de la Haute-Saône. Taeko Kurosaki se cramponne à la barre, reprend son souffle. “C’est pour vous montrer comme c’est douloureux depuis sept ans (…) en permanence. Je me suis pratiquement greffé ce portrait de Narumi (…) afin d’être avec elle à tout instant.” Depuis qu’elle a appris la disparition de Narumi, “cette horrible nouvelle”, en décembre 2016 elle confie n’avoir plus pu se nourrir, avoir cherché “en vain le sommeil” : “au bout de deux mois, j’avais perdu 17 kilos”. “J’étais et je suis psychologiquement et physiquement détruite, je traîne mon corps détruit et mon âme meurtrie”, “j’ai cessé de travailler” et “je ne pourrai plus jamais” le faire, explique-t-elle, la voix souvent étouffée par l’émotion, avant d’asséner : “nous trois, sa famille, avons été indirectement assassinées”.
"Bravo mon poussin"
Elle imagine “l’agonie” de sa fille, qui à dû l’appeler: “Maman, au secours! Mais je n’ai pas pu la sauver…” “J’ai pensé rejoindre Narumi je ne sais combien de fois, j’ai tenté de me tuer”, clame-t-elle encore. Elle raconte également que, dans l’espoir insensé de retrouver une “preuve” que Narumi était toujours en vie, elle dit avoir fait quatre voyages au Chili, en 2017 et 2018, avant l’extradition vers la France de Nicolas Zepeda en juillet 2020.
Elle y voit le jeune homme à deux reprises, dont une fois sur un pont, marchant “à pas vif, heureux épanoui”. Ils se sont croisés, Nicolas Zepeda l’a regardée fixement, puis il a baissé les yeux “et a continué son chemin pour m’éviter”, raconte Mme Kurosaki. Ce n’est que le 23 juillet 2020, jour de l’extradition de Nicolas Zepeda vers la France mais aussi anniversaire de Narumi, qu’elle aura la preuve de sa mort.
Comme un “signe” qu’elle nous adressait : “j’ai compris qu’elle ne faisait plus partie de ce monde. J’ai dit bravo Narumi, bravo mon poussin”. Ivre de douleur, Taeko Kurosaki se demande aussi si Nicolas Zepeda pourrait être pardonné une fois sorti de prison. “Si la grâce se trouve au bout de ces années, je pourrais également commettre le même crime moi-même”, lâche-t-elle, évoquant plus ou moins explicitement une éventuelle vengeance.