Philippe Weber, directeur général d’Amaëlles, anciennement Domicile 90, témoigne de la condition des aides à domicile du collectif depuis la hausse du prix de l’essence.
Philippe Weber, directeur général d’Amaëlles, anciennement Domicile 90, témoigne des difficultés rencontrées par les aides à domicile du collectif depuis la hausse du prix de l’essence. Si le collectif d’aide et de soins à la personne essaye d’aider au maximum les employés, la crise est difficile à gérer. Tous attendent des réponses de l’Etat.
Comment votre personnel gère-t-il la hausse du prix de l’essence ?
La situation est très compliquée pour nos salariés. La hausse des carburants a été extrêmement brutale il y a trois semaines et cela a directement affecté leur pouvoir d’achat : comme dans beaucoup de professions. Mais pour nos salariés, il ne s’agit pas juste du pouvoir d’achat mais de la continuité même des soins. Pour nos salariés qui travaillent d’un domicile à l’autre, leur voiture est un outil de travail au sens premier du terme.
Nous remboursons des indemnités kilométriques fixées par la convention collective à hauteur de 0,35 centime du kilomètre. Face à l’augmentation démentielle du coût de l’essence, cela n’a plus suffi. Avec des pleins passant de 60 à 80 euros, l’effet a été immédiat pour nos salariés. Tout en sachant que le niveau de salaire dans nos métiers est déjà plutôt faible…
Nous avons saisi avec d’autres collègues l’Etat, les députés, les sénateurs, les présidents de conseils départementaux et l’agence régionale de santé il y a moins de trois semaines. Nous les avons prévenus que nous avions un vrai problème. Si nos salariés ne sont plus en capacité de faire le plein avec les indemnités kilométriques que l’on leur verse, nous allons avoir un problème de continuité des soins chez les patients.
Quelles ont été vos réflexions concernant cette nouvelle crise ?
Nous nous sommes posé une question majeure : faut-il augmenter l’indemnisation des frais kilométriques et donc augmenter le prix pour nos usagers ? Pour y répondre, nous avons regardé tous les secteurs d’activité aujourd’hui qui se retournent vers l’État en leur demandant de l’aide. Les transporteurs routiers demandent à l’Etat de compenser leurs frais, d’autres secteurs également. Et ils ont été entendus. La question est une question de société : est-ce qu’on considère qu’accompagner les gens à domicile est moins important que d’autres corps de métiers ? Et donc est-ce à l’usager final, au patient, au malade, de devoir payer plus pour un service souvent fondamental à leur dignité et à leur équilibre ?
Aujourd’hui, force est de constater que nous ne figurons pas dans les métiers prioritaires. Dans le plan de Résilience présenté par le gouvernement la semaine dernière, j’ai cherché en vain pour voir si nous étions accompagnés. Nous déplorons que non. Pendant ce temps-là, nos salariés nous interrogent. Ils comprennent mais n’en peuvent plus. La remise des 15 centimes au litre va arriver le 1er avril. Peut-être que les fournisseurs vont jouer le jeu aussi. En fait, il est difficile de se projeter sur la manière dont va évoluer la crise.
Avez-vous pris des décisions à votre échelle ?
Nous avons pris deux décisions. Nous avons revalorisé les indemnisations kilométriques de 3 centimes par kilomètre sur les trajets qui ont été réalisés l’an passé. Ce qui a permis de verser à nos salariés un petit pécule de 100 à 250 euros, pour leur permettre de voir venir pendant un mois, environ. Cela nous coûte, mais nous avons pris la décision de ne pas laisser nos salariés dans la panade avant que des décisions nationales soient prises.
Ensuite, nous avons placé dans la durée le niveau d’indemnisation de 0,35 à 0,38 centime du kilomètre. Avec les 15 centimes de l’Etat, nous espérons que cela permettra aux salariés de tenir le choc. Nous avons aussi acheté six véhicules pour les prêter aux salariés qui n’en ont pas. Ainsi que deux véhicules électriques sans permis grâce à la Région et EDF. Aussi, 5 vélos électriques qui permettent de se déplacer dans les secteurs mi-urbain mi rural entre Giromagny et Rougemont-le-Château.
Ce sont des réponses immédiates. Mais est-ce que cela va suffire ? On ne sait pas. Au-delà de tout ça, avec le réseau Amaëlles, qui a une force de frappe importante, nous allons essayer de résoudre cette équation avec tout un tas de rendez-vous institutionnels dans les semaines qui viennent : autorités de la Région, Département et Etat.
Qu’en attendez-vous ?
Tous les secteurs qui ont été aidés jusqu’ici sont aidés de manière économique. Nous, nous avons une dimension sociale et humaine supplémentaire qui mérite d’être accompagnée davantage. Si ce n’est pas le cas, nous serons obligés d’augmenter nos prix. Sauf qu’ici, nous ne sommes pas à Cannes ou à Neuilly, nos populations ont globalement des moyens limités et on ne peut pas ponctionner sur leur propre revenu. Dans tous les cas, nous espérons être reconnus comme un secteur d’activité prioritaire. D’un point vue social et économique. On ne demande pas un soutien durable, mais peut-être une aide qui permettrait d’amortir les coûts le temps de cette crise. Pour nous et nos aides à domicile, la situation est angoissante.
Nous savons que l’argent ne tombe pas du ciel. Mais c’est une question de choix. Qu’est-ce qu’on considère comme étant prioritaire ? Ce sont éminemment des choix politiques. Dans la durée, cela nous interroge sur la manière dont on considère la profession. Nous n’allons pas lâcher l’affaire. Car derrière nous, il y a les clients, les usagers et leurs familles. Si demain, nous ne pouvons plus offrir à nos aides à domicile des indemnisations kilométriques correctes, surtout dans les secteurs les plus ruraux comme en Haute-Saône ou certaines parties du Doubs, qu’est-ce qu’on fait ? Les aides à domicile ne peuvent pas arrêter d’aller chez nos personnes âgées. Humainement, ce n’est pas possible.
Aujourd’hui, une aide à domicile, une auxiliaire ou une aide-soignante qui doit mettre de l’argent de sa poche pour faire son métier, il y a un vrai problème. Notre représentante du personnel nous a indiqué que 8 ou 9 de nos salariés pensent à arrêter de travailler à domicile. En envoyant un CV, elles savent qu’elles pourront trouver du travail dans les structures puisqu’il y a une pénurie d’aides-soignantes, en prime. Donc cela les amène à réfléchir d’autant plus. Elles s’interrogent.