Loéva Claverie
« Là, c’était la goutte de trop. On ferme en octobre », déclare Ibtissem Azguigou, de l’auto-école Mika Conduite à Valentigney. Délais de passage du permis, manque d’inspecteurs, système compliqué de places, clients mécontents… Ouverte depuis 2017, l’auto-école Mika Conduite voit depuis 2023 les problèmes s’accumuler et entraver son bon fonctionnement. Mais lorsque le père d’un candidat, en colère, tente de frapper les salariés, la ligne rouge est franchie. Mickaël Petit, le responsable de l’auto-école, décide alors de mettre la clé sous la porte.
« Le seuil de places sur la plateforme de réservation RdvPermis est trop petit par rapport à toutes les auto-écoles du secteur. Sur celui d’Arbouans, il n’y a que deux inspectrices et en moyenne six places par mois pour environ 80 candidats en attente, liste Ibtissem Azguigou. La colère des clients entraine des incivilités. Or, on ne peut pas privilégier un élève sur un autre. Et l’État nous dit de former des élèves, sans qu’on ait de soutien ensuite. On est bloqué. »
La fermeture de l’auto-école est envisagée pour mi-octobre, en fonction des examens de ses élèves, que l’établissement s’est engagé à faire passer avant de fermer.
« Il faut se bagarrer des places »
La situation de cette auto-école n’est pas un cas isolé. Partout en France, les établissements d’enseignement de la conduite dénoncent les problèmes de RdvPermis et du système de réservation instauré en 2023. Concrètement, un mardi toutes les deux semaines environ, des places pour l’examen du permis sont mises à disposition sur la plateforme. Il revient alors au personnel des auto-écoles de réserver des créneaux pour leurs candidats.
« Normalement, le nombre de places qui va être affiché à l’écran correspond au volume total des besoins. Mais il faut se bagarrer des places. Vous pouvez me croire que le gars qui travaille tout seul le mardi, une semaine sur deux il n’y aura pas de leçon pour qu’il puisse rester sur son ordinateur en espérant avoir des places, explique Vincent Eisen, responsable des quatre auto-écoles Eisen du Territoire de Belfort. On est comme des abrutis devant notre PC à cliquer à répétition sur la souris pour avoir des places. Sauf que si je clique trop rapidement, le système va bloquer pendant dix minutes parce qu’ils vont croire qu’il y a un robot derrière. Et quand on revient, il n’y a plus rien. » Un système tellement « insensé » que Vincent Eisen est pris de fous rires pendant ces explications face à son absurdité.
Un système de calcul à la limite de l'absurde
Mais le système de cette plateforme n’est pas seul responsable des difficultés de passage du permis. S’ajoute à cela un manque criant d’inspecteurs et une méthode de répartition des places plus que complexe. Pour ne pas dire absurde.
Pour répartir les deux seuls inspecteurs disponibles depuis un an dans le département, le dernier moyen en date se fait par le calcul de la production des écoles. « Si je ne dispense pas de leçon de conduite, je n’aurais pas le droit de classe d’examen », caricature volontairement Vincent Eisen.
Le système de calcul est élaboré et s’appuie sur le temps de travail des moniteurs d’auto-écoles sur un mois et le nombre d’inspecteurs disponibles dans le département. Effet pervers : une auto-école performante, où les futurs conducteurs seront formés plus rapidement, pour le même volume horaire des moniteurs – où il y a donc plus de candidats potentiels à l’examen à la fin du mois – est mécaniquement désavantagée. Le système valorise les auto-écoles où les moniteurs consacrent plus d’heures par élève.
Vincent Eisen est halluciné de ce système : « Aujourd’hui, si une école est performante, pédagogique, qu’elle arrive à atteindre un niveau avec le moins de leçons possible, elle est pénalisée. Ça tend à favoriser la mauvaise auto-école où les progrès sont plus lents, mais qui va quand même mieux tirer son épingle du jeu [en termes de places obtenues, NDLR]. » De dénoncer encore, avec véhémence : « On s’est plaint que le permis était trop cher, mais on incite l’auto-école à faire surconsommer ! »
Quelques chiffres sur l'année 2024
Dans le Territoire de Belfort et le pays de Montbéliard cumulés, il y a eu 5984 candidats à l’examen du permis de conduire. Le taux de réussite au premier passage s’élève à 66,8% dans le département de Belfort et à 68,2% dans le pays de Montbéliard.
703 signatures
Au niveau de l’Etat, c’est le ministère de l’Intérieur qui a à sa charge la sécurité routière. Vincent Eisen a donc adressé un courrier il y a quelques mois à Bruno Retailleau, ministre de l’Intérieur, pour lui faire part de la situation des auto-écoles. « Il y a un ras-le-bol de ne pas pouvoir faire son métier correctement. Ce sont des témoignages que l’on rencontre maintenant de plus en plus. » Sa pétition, lancée il y a trois mois, a récolté à date du mercredi 23 juillet, 706 signatures.
Dans son courrier, relayé par le sénateur Les Républicains (LR) du Territoire de Belfort, Cédric Perrin, Vincent Eisen liste plusieurs propositions de solutions. Pour « désengorger » le système « totalement saturé », il propose notamment : l’abaissement le temps de l’examen du permis de 30 à 20 minutes, pour augmenter de 46% le nombre de places ; l’augmentation du nombre d’inspecteurs ; et l’instauration d’une taxe de 30 euros sur l’examen du permis pour financer le recrutement des inspecteurs.
Ses propositions seront-elles entendues pour sortir de l’impasse ?