Christian Millet, militant de la France Insoumise (LFI), connu pour sa mobilisation au sein de l’assemblée citoyenne et au sein des manifestations contre la réforme des retraites, passait ce jeudi 9 novembre 2023 devant le parquet correctionnel pour des faits présumés « d’outrage à personne chargée d’une mission de service public, dans l’exercice de ses fonctions ». Géraldine Grangier, députée Rassemblement National (RN) de la 4e circonscription du Doubs, avait porté plainte contre le militant le 13 mai dernier.
Que s’était-il passé ? Une altercation entre le retraité de 65 ans et la députée, le 12 mai, lors d’un marché du soir à Voujeaucourt. Dans un communiqué de presse envoyé par l’assemblée citoyenne à ce moment-là, on pouvait lire que lors de cette rencontre, la députée aurait indiqué « être en accord avec l’assemblée citoyenne sur le refus de la réforme » lors d’un vote symbolique organisé ce soir-là. Le retraité affirme lui avoir rétorqué que l’assemblée « n’était d’accord sur rien avec elle » et lui aurait rétorqué : « Au RN, vous êtes des imposteurs et des fachos ».
Géraldine Grangier, elle, affirme avoir « directement été insultée de facho ». « Moi, pas seulement le RN », avait-elle poursuivi par téléphone. L’objet de sa plainte était « au nom de la députée, et au nom de [s]es électeurs.»
Deux avocats du barreau parisien
D’abord convoqué le 23 juin dernier pour une procédure de composition pénale – une procédure utilisée pour des faits de faible gravité où le délégué du procureur propose une ou plusieurs sanctions qui doivent « réparer le préjudice » – Christian Millet avait finalement refusé ce qui lui était proposé : un stage de citoyenneté au sein de l’association Léo-Lagrange. Le Parquet l’a donc renvoyé devant le parquet correctionnel, où il était attendu ce jeudi 9 novembre à 14 h. Et ce sont deux avocats parisiens qui sont venus pour défendre leurs clients. David Dassa-Le Deist, avocat connu pour défendre le Rassemblement national depuis plus de dix ans et Arié Alimi, avocat du barreau parisien connu notamment pour son engagement contre les violences policières et membre de la Ligue des droits de l’homme.
Dans une salle comble d’une soixantaine de soutiens au militant, l’avocat de la partie civil plaisante : « Je suis tout seul ». Géraldine Grangier, sa cliente, en déplacement, n’est pas sur place. À la barre, Christian Millet le réaffirme : « Je considère que je n’ai pas outragé Géraldine Grangier. » Pour lui, il a visé le parti politique et non la députée en tant que telle. Son avocat l’interroge : « Le RN est-il un parti de facho ? » Le militant répond par l’affirmative. « Envisagez-vous de le dire ? » Même réponse. « Oui, il ne faut pas en avoir peur. »
Me Dassa-Le Deist, dans son rôle, a affirmé qu’il y avait bien eu outrage. « Il n’y a pas de doute sur la qualification de la personne visée. Traiter une députée de facho, oui, c’est outrageant. »
En grande partie, les débats se sont concentrés sur ce point. Le terme “facho” a-t-il été utilisé pour viser la députée, ou son parti politique ? Dans les pièces versées au dossier, seule la députée elle-même affirme que le terme « facho » la visait directement. Son chef de cabinet, interrogé, a corroboré les faits, mais en expliquant seulement que le terme « facho » avait été utilisé à deux reprises. « Ce qui n’est pas la même chose », martèle Me Arié Alimi.
Outrage ?
« Comment peut-on poursuivre mon client, alors que seule la députée affirme cette version. Et que la seule autre personne convoquée est son salarié, à qui elle verse un salaire, et qui lui-même ne dit pas clairement que le terme était visé. » Pour Arié Alimi, il n’y a pas de matière suffisante, alors qu’aucune autre personne interrogée sur place n’a confirmé cette version des faits. « Nous ne savons pas ce qui a exactement été prononcé. Il n’y a pas eu d’autres investigations. Malgré la fatigue, l’épuisement dans le monde judiciaire, on ne peut pas se contenter de ça. »
D’autres questions, plus pointues, se sont aussi ajoutées. Celle, intéressante, de la qualification d’ « outrage ». Les faits se sont-ils déroulés dans le cadre d’un débat public ? Si oui, la qualification d’outrage n’est plus évidente. Pour Me Dassa-Le Deist, ce n’est pas le cas. « À ce moment précis, il n’y avait ni campagne polémique, ni débat qui pouvait justifier ces mots. C’est bien le mandat qui était visé. » Or, les faits se sont déroulés lors d’un marché, public, où était présentes de « 30 à 50 personnes », défend Me Alimi. « Il faut aussi savoir qu’ils ont été opposants politiques aux dernières législatives, ils étaient dans ce débat d’homme à femme politique. Géraldine Grangier représentait à ce moment un parti politique et non une personne dans sa fonction de députée. Il n’y a rien qui affirme de dire que c’est sa fonction qui était visée. Cela reste dans les limites permises du débat. » Il a donc plaidé la relaxe.
Le procureur, Emmanuel Vion, aligné avec les propos de l’avocat de la partie civile, a demandé une amende de 800 € avec ou sans sursis. Pour lui, il y a outrage et cela ne fait pas de doute. « Depuis quelques années, peu importe le parti politique, les élus sont sujets à des atteintes. Ce comportement est inadmissible », a-t-il affirmé. « Il l’a traitée directement de “facho”, en face à face, ce n’est pas ainsi qu’on forme le débat. » Il rappelle par ce biais que la liberté d’expression peut avoir ses limites (article 10 de la Cour européenne des droits de l’homme).
Après une quinzaine de minutes de délibération et à l’issue de plus de deux heures d’audience, c’est la relaxe qui a été décidée « par jugement contradictoire ». Le tribunal correctionnel a estimé qu’il n’était pas possible de connaître avec exactitude les propos tenus de ce jour-là. « Mme la députée a engagé elle-même le débat politique », a estimé la présidente d’audience, Nelly Dupret.