Une justice pleinement numérique
Cette année marque une étape importante : toutes les procédures pénales seront désormais enregistrées numériquement et jugées sans support papier. Sandrine Batalla, présidente du tribunal judiciaire de Belfort, souligne que ce changement transforme profondément les pratiques : « C’est une évolution importante, qui implique d’autres méthodes de travail pour les présidents d’audience, pour les services de greffe. C’est un changement de culture et on doit l’assumer dans la continuité du volume d’activité que l’on a. » Elle met cependant en garde contre les effets de l’accoutumance aux écrans et la fatigue visuelle : « Mais c’est une évolution qu’on ne peut pas arrêter, elle s’impose à nous comme elle s’impose au reste de la société. »
Pour Jessica Vonderscher, l’informatisation reste cependant inaboutie. « La numérisation, j’y crois beaucoup. […] Mais j’ai pêché par excès d’optimisme », avoue-t-elle. Malgré l’avènement de nouveaux outils de travail, « les logiciels sont souvent inadaptés et lents. Le rêve serait d’avoir un ordinateur qui fonctionne. Nous passons trop de temps à saisir des données au lieu de nous consacrer pleinement aux dossiers. » La procureure rêve d’un système interconnecté, où les plateformes pour les policiers, gendarmes, avocats, et procureurs seraient les mêmes. À l’image de l’Estonie, qui a la justice digitale la plus avancée en Europe. « En un clic, ils ont ce qu’il nous faut six mois de travail à avoir pour les enquêteurs. La justice se numérise, mais sans les résultats attendus. Les logiciels sont inadaptés, lents. 20 fois par jour, je rentre mon nom, mon prénom et mon mot de passe et cela prend beaucoup de temps. » Pendant ce temps, relate-t-elle, les délinquants n’attendent pas pour se mettre à la page du numérique.
Faire face au manque de moyens humains
Le tribunal de Belfort fonctionne sous tension, avec des effectifs insuffisants. Depuis 2022, le pôle social a vu ses dossiers augmenter de 50 %, tandis que des services comme l’application des peines et le tribunal pour enfants sont surchargés. Ces augmentations sont « absorbées » mais « chaque absence nous expose », relate Sandrine Batalla, présidente du tribunal. Pour la première fois en quinze ans, les magistrats du siège ne sont plus assistés. « Il est difficile aujourd’hui d’être magistrat sans être inquiet. À propos de notre indépendance, de la qualité de travail, du traitement de la surpopulation carcérale. La justice est asphyxiée dans l’attente des moyens promis » , relate-t-elle encore.
La loi de programmation a positionné à Belfort un certain nombre de nouveaux postes. Le tribunal attend l’arrivée d’un juge d’application des peines et espère la création de six postes de greffiers d’ici 2027. Dans une situation politique encore instable, le tribunal ne sait pas si les recrutements qui étaient envisagés, « absolument essentiels » pour le tribunal, selon les mots de Sandrine Batalla, seront maintenus.
Le tribunal manque aussi de magistrats à titre temporaire, d’assesseurs pour le tribunal pour enfants, pour le pôle social, de conciliateurs. « La société civile » est invitée à s’intéresser à ces fonctions « qui sont plus accessibles qu’on ne le croit », selon Sandrine Batalla.
Jessica Vonderscher, procureure de la République, espère d’abord « que les effectifs, avec un peu de chance, se maintiendront ». Et pense aussi aux effectifs des forces de l’ordre, dans son discours.« Les gendarmes et les policiers doivent être partout à la fois. Nous avons besoin de davantage d’enquêteurs. Pourquoi ne pas sanctuariser l’enquête et la séparer de l’administratif ? » questionne-t-elle.
Renforcer l’ouverture au public
Si le tribunal est accessible, peu de citoyens franchissent ses portes. Pour y remédier, le tribunal de Belfort, après ses travaux, veut poursuivre sa politique d’ouverture. Un programme d’accompagnement aux audiences, actuellement destiné aux collectivités et au personnel des administratifs, va s’étendre au grand public en 2025 sur inscription. L’idée est de permettre à des personne de venir au tribunal, en présentant l’audience du jour . « Venir seule au tribunal sans accompagnement, c’est risquer une incompréhension. Il n’est pas facile de comprendre le fonctionnement d’une audience, d’identifier les rôles de chacun », explique Sandrine Batalla. L’idée de ce programme est d’apporter une explication en amont et de pouvoir ensuite engager une discussion, un débat, pour expliquer ce qui a pu surprendre. L’objectif est de lever les incompréhensions et de redonner confiance dans l’institution. « Ces discussions participent à une meilleure perception de notre action », ajoute-t-elle.
Poursuivre une politique de justice restaurative et humaine
Jessica Vonderscher a rappelé, lors de son discours, l’importance des « 3 H » : humour, humilité, humanité. « Ce sont des qualités nécessaires. L’humour pour le cocasse de certaines procédures. Pour faire face à des situations ubuesques. Face à une administration qui n’a rien à envier à Kafka. » Elle questionne également l’efficacité de la sur-incarcération : « Cela fait trente-cinq ans que l’on construit toujours plus de prisons. De 45 000 à 80 000 places de prisons aujourd’hui. Pour les cas les plus graves, on n’hésite pas à incarcérer. Mais pour les délinquants du quotidien, est-ce la solution ? Est-ce que cela fonctionne ? Non. On note 60 % de récidive dans les cinq ans. C’est ce que j’appelle un échec cuisant. Moins incarcérer pour mieux incarner, voilà la politique de Belfort. »
En 2025, le tribunal souhaite poursuivre son travail sur la justice restaurative en explorant des solutions alternatives. Des stages sont déjà proposés aux auteurs de violences conjugales et aux victimes. Une nouveauté sera introduite dès le 30 janvier : une audience dédiée aux affaires de violences intrafamiliales (découvrir ici). « C’est un nouveau format à Belfort et on sera très attentifs au retour qu’on pourra obtenir de toutes parts pour évaluer la pertinence de ce format, éventuellement le faire évoluer », explique Sandrine Batalla.
Enfin, la procureure rappelle la nécessité de juger avec humilité : « Nous ne jugeons pas des numéros, mais des personnes qui ne se résument pas à leurs actes. » Elle souligne également que « la délinquance est majoritairement le fait de citoyens français. 90 % des délinquants sont de nationalité française ». Un rappel essentiel pour éviter la stigmatisation.