Thibault Quartier – AFP
Un dossier de 8 000 pages, des enquêteurs mobilisés en France, au Japon et au Chili, une avalanche d’éléments à charge mais pas de corps et encore moins d’aveux: les jurés de la cour d’appel de Vesoul, dans l’est de la France, ont trois semaines pour déterminer la responsabilité de l’accusé, âgé de 32 ans, dans la disparition de son ex-compagne, survenue le 5 décembre 2016.
En séjour universitaire en France, l’étudiante japonaise, alors âgée de 21 ans, n’a plus été vue depuis cette date. La veille, elle avait eu la surprise de découvrir Nicolas Zepeda sur le campus: il venait de traverser l’Atlantique sans prévenir, plusieurs semaines après leur rupture. Les anciens amants étaient rentrés ensemble dans la chambre louée par Narumi Kurosaki dans une résidence à Besançon (est), après avoir dîné au restaurant.
La nuit même, des “cris de terreur” avaient réveillé bon nombre d’étudiants, mais aucun n’avait prévenu les secours ou la police. Et dans les jours suivants, des messages avaient été envoyés depuis l’adresse email et le compte Facebook de Narumi Kurosaki. Rien ne prouve cependant que la jeune femme était toujours en vie : Nicolas Zepeda connaissait les identifiants de Narumi, et les enquêteurs estiment qu’il a sciemment diffusé ces messages pour couvrir sa fuite, le temps de reprendre l’avion dans l’autre sens.
Une fois au Chili, il s’était d’ailleurs réjoui auprès de son cousin que son pays n’avait “aucun d’accord d’extradition avec la France”. Il a fallu toute la ténacité de la juge d’instruction et du procureur, qui se sont rendus en personne à Santiago, pour finalement obtenir son extradition.
"Vous n'avouerez pas"
En première instance, en avril 2022 à Besançon, le Chilien, décrit comme possessif et jaloux, avait nié continuellement toute implication, jusqu’à crier en larmes dans la salle d’audience. “M. Zepeda vous n’avouerez pas. Je suis persuadé que ce n’est pas votre intérêt, mais c’est votre droit”, avait fini par lâcher Etienne Manteaux, le représentant de l’accusation, visiblement énervé par les “mensonges” et circonvolutions de l’accusé.
Même sa propre avocate, Jacqueline Laffont, avait essayé de lui faire tenir un autre discours: “Est-ce que vous êtes en mesure d’aider à retrouver ce corps aujourd’hui?”, l’avait-elle interrogé, mais son client n’avait pas dévié de sa ligne. A l’issue de ce procès éprouvant, rendu parfois compliqué par les nécessaires traductions des échanges en espagnol et en japonais, la cour l’avait finalement jugé coupable d’assassinat, et l’avait condamné à 28 années de réclusion criminelle.
Son procès en appel devait se tenir en février, mais à l’ouverture des débats son nouvel avocat, Antoine Vey, était absent, une surprise de plus dans un dossier qui n’en manquait pas. Nicolas Zepeda avait alors sollicité un autre avocat, Renaud Portejoie, qui avait demandé et obtenu un délai pour préparer sa défense.
Nouvelle expertise psychiatrique
Conscient qu’en première instance, chaque partie avait campé sur ses positions, Renaud Portejoie espère que ce second procès permettra “de changer la donne”, et compte bien apporter “une autre lecture du dossier”.
A cette fin, il a fait réaliser une nouvelle expertise psychiatrique et pourrait s’appuyer sur de nouveaux témoins à l’audience. Surtout, Nicolas Zepeda lui-même aborde différemment ce nouveau rendez-vous aux assises: il n’est plus détenu à l’isolement, et a appris le français en prison, deux facteurs qui devraient l’amener à s’exprimer différemment face aux juges. “Ca va changer les échanges, mécaniquement.
Le déroulé du procès va être différent, et sans doute, que la perception qu’on aura de Nicolas Zepeda sera différente”, estime Sylvain Cormier, l’autre avocat en défense. Les parties civiles, elles aussi, attendent de l’accusé qu’il adopte une autre posture. “Je garde l’espoir d’un aveu dans ce second procès”, déclare ainsi à l’AFP Randall Schwerdorffer, avocat du compagnon de Narumi au moment de sa disparition. Il se rappelle d’un Nicolas Zepeda “très chancelant, plusieurs fois” en première instance.